24 avril 2020

Du Pacifique sud

Une fois n'est pas coutume, je propose  un texte que je n'ai pas écrit.
C'est un mail qui m'est arrivé cette nuit vers 3h35.
Il est venu de... loin...


Un petit salut du matin par 16°33 S / 120°03 W, 
En attendant, ici sur notre îlot de bois et de voiles, on regarde la mer. J 27 depuis notre quasi fuite du Panama. Bien calme depuis plusieurs jours. Trop, car ça veut dire pas de vent. Elle est connue la zone des grands calmes, on a essayé de l'éviter, mais rien à faire, la bougresse recule dès qu'on essaye de passer derrière. Même Dragon, le grand spi, pendouille comme une vieille peau qui n'y croit plus. Le moteur, certes, mais vu les 960 milles et le mou encore probable devant, la réserve n'y suffirait pas. Alors on guette la ride sur cette peau drapée de satin qui, certains matins, est un ciel lentement qui respire, tant la lumière, pale, encore indécise, brouille le regard et abolit l'horizon.  
J'en ai profité pour prendre mon premier bain de mer australe. 3827 m de fond, au milieu de nulle part, ça chatouille un peu. Mais l'envie aussi de descendre, aller voir rien dans ce bleu irréel, sa masse qui à cet instant paraît si légère à porter mon corps minuscule, Alchimer, C. et notre monde posés à côté de moi. S'écarter un moment, prendre de la verticalité, le temps d'un aller-retour s'effacer, être totalement. Je ne l'ai pas fait. Trop de courant, une certaine appréhension, et la peur de C. me regardant me dissoudre dans la transparence de l'océan. Car le fait est que la visibilité, soleil au zénith, va fouiller profond. Beau et effrayant à la fois : très vite tu peux ne plus savoir le haut du bas, au mieux ne plus évaluer la distance à la surface, ou ne plus en avoir envie.  
Je décidai d'un autre exercice : la carène commence à se couvrir d'un genre de mini grappes d'algues. Un grattage s'impose. Un autre genre d'apnée, un vrai boulot. Mais d'habitude, au mouillage à Marie Galante, je vois le fond.  
Les grands calmes sont aussi l'occasion de sortir la liste des "onfraçaquandonseraaucalme". Sauf quand le machin a justement choisi ce jour là.  Bon, c'est vrai que de dépit après un bas de ligne encore perdu, je venais de monter la ligne pour gros de chez gros sur le gros tambour fixé au gros barreau du gros portique, et la cordelette renvoyée à l'envers sur un winch. Sans conviction, à 3.8 nds on ne pêche pas ... Hé bien j'ai passé l'après-midi à transformer ses 14 kg en 9 kg de pure viande pour les deux semaines à venir. Sais-tu s'il existe des desserts au thon rouge ? Parce que côté recettes, on va épuiser le bouquin.  Quand je pense que j'ai dû sacrifier mes bacs à glaçons pour gagner de la place dans le congélo ! (Du coup je ne suis fait un méga pastis avec tous les glaçons. La vache, il était frais !) Après ça, y a plus qu'à aller siester les 2 steaks du midi.  
C. est en forme, fait de bonnes nuits depuis que plus personne ne croise notre route (pour ce qu'on peut en voir). On forme un bon binôme
en manœuvre et en décisions de nav', et son pain mixé farine de maïs cuit au wok est à tomber. Alors te dire que la vie est exactement là, dans l'instant où j'écris cette ligne, oui, il y a de ça, une certaine idée du bonheur, quand même ce qui manque nous laisse comblés. 

On te bise plein le cœur, M/C.



Soyez bien heureux comme il faut tous les deux là-bas si loins, si proches. Bonne longue traversée...



2 commentaires:

M a dit…

Un crumble de thon rouge ... ? C'est ce qui m'est venu, certainement pour échapper aux chatouilles des 3827 !!!! Quel bonheur d'en savoir au moins deux qui y goûtent (au bonheur hein !)

chri a dit…

@ M Prochain mail je leur suggère promis... Mais j'ai un doute... Ils vont accoster aux îles Gambier quand le vent leur permettra. Une autre classe que d'attendre celle de Castaner...

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