20 juin 2020

Sait-on jamais

Au fond, si un jour tu as choisi de venir vivre ici c'est sans doute pour la douceur des pentes et les couleurs de ses collines, peut-être pour celle, si pure de son ciel nettoyé à grands seaux d'un bleu étincelant par un mistral de forte rougne, c'est pour les senteurs bleues qui montent des champs de lavandes en fleurs, pour les villages perchés aux ruelles ruisselantes d’ombres épaisses, pour les clochers en ferrailles laissant les cloches visibles et leur chant se répandre, pour les places aux tilleuls géants dominant les jeux de boules animés par du verbe exagérant, pour les allées de platanes vaguement penchées dans le sens du vent dominant, c'est aussi pour la transparence et la fraîcheur des sorgues, pour les eaux limpides du Partage, pour les champs rouges de coquelicots, pour les vues embrassantes d’ici et de là et de là encore, pour le chant exténuant des cigales quand le chaud revient, pour le vol furtif des pipistrelles en chasse dès la tombée en pente douce de la nuit, pour l’heure bleue du soir qui s’allonge à n’en plus finir jusqu’au vingt et un à se demander si la nuit ne serait pas partie en voyage d’été, pour les bêtises dites avec un accent qui enjolive la parole et embellit la réalité, pour la joliesse des noms de Barbentane,  Eygalières ou Montmajour, pour les trois mots gravés au fronton de l'église de Villes sur Auzon: Liberté, égalité, fraternité, pour la cuisine qui nourrit mais régale surtout, pour le savoir faire des moments festifs, c'est encore pour les jeux du vent et des blés dans  les champs de Murs, comme des pactoles ondulés, pour les chênes patriarches de Murs et aussi ceux de la banlieue de Saignon, pour les maisons de pierre du hameau de Sivergues et du Castelas en bout de route, pour le chant fragile et mélodieux de l’Aiguebrun au pied des murailles de Buoux, pour les panoramas des églises d’Oppède et du Beaucet, pour les longues lignes de vignes de Lagnes, pour le plateau de Margoye et ses asperges sauvages, pour les halles d’Avignon et ses légumes merveilleux, pour les invectives accentuées qui cascadent dans les calades: "Oh Ferdinand prétentieux que tu es, tu me le rendras quand mon bonjour de ce matin? Jamais, jamais, tu m'entends bien, counifle que tu es", c'est pour les petits marchés de semaine gorgés de fruits gorgés de soleil et de sucre, pour les bouquets de thym sauvages, ceux de sarriette qui gondolent et emparfument les garrigues, pour les tunnels d'ombre des allées des villages, pour les hauts de Bonnieux, de Ménèrbes, de Venasque, pour les terrasses des cafés sous les platanes, pour le calme, la sérénité et la blancheur minérale de Senanque, pour l’eau vive des marmites accueillantes du Toulourenc et l’arrière pays du Mont Ventoux, pour les rougeurs des murs de Flassan et l’arrondi comme un dos au sommet de Blauvac, pour les ombres lentes des soirs de juillet sur la place du palais des papes, c'est pour les nuits de théâtre dans la Cour d’honneur, pour les montées vers Suzette  et l’ensemble dentelé des dentelles de Montmirail, pour le cimetière paisible et modeste de Lourmarin, pour toutes les fontaines de Pernes, c'est pour les hauts de Saumane où l’on peut se perdre en beauté, si ce n'est pas pour le gel de janvier, pour la rudesse des hivers et les oliviers sous la neige, alors c'est sans doute pour le rond vert et mystérieux de la résurgence, pour les jours tièdes et les soirées douces, pour la proximité de la mer ses plages et calanques, pour le delta du Rhône, et l'infini plat vivant de la Camargue, pour les Alpilles, ses villages et ses fantassins d'oliviers en arbres, c'est pour toutes les nuances des verts des eaux de L’Isle sur la sorgue, pour le mistral brutal qui bleuit le ciel, pour les chapelles et les mazets isolés dans les fins fonds des campagnes,  pour l’étonnante chaleur du cœur de ses étés moitouffants, pour

Non, non j’ai choisi de venir y vivre parce qu’autrefois, pendant quelques jours, j’y ai été profondément heureux et donc, on ne sait jamais...






6 commentaires:

Tilia a dit…

Très beau texte, bien en résonance avec celui qui dit « On ne sait jamais »

chri a dit…

@ Tilia Merci, merci

chri a dit…

@ Tilia L'auteur de "Je sais" est Jean Loup Dabadie ce que je voulais être quand j'étais jeune...

Brigitte a dit…

Hé oui ,qui sait ? Un beau texte très imagé qui sent le Sud ...
Belle semaine à toi

chri a dit…

@ Brigitte Merci! Qu'elle te soit belle aussi!

Nathalie H.D. a dit…

Profondément heureux pendant quelques jours autrefois.... mais ne pas oublier d'être heureux aujourd'hui, chaque jour.
Ca m'arrive souvent de me dire ça, presque à haute voix : "ne pas oublier d'être heureux". Parce que si tu ne l'es pas aujourd'hui alors que tu as tout ça, toutes ces merveilles que tu as décrites, alors quand est-ce que tu le seras ? Mais les écrire, justement, c'est déjà être heureux. Tout est juste, tout est beau.

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