02 août 2021

Emilienne

 Ce qu’on voyait d’abord d’elle c’était la blancheur banquisale de ses cheveux très courts. Un peu après on remarquait ses mains. Noueuses, aux paumes larges, aux doigts de traviole comme des racines de cade à cause de l’âge, des mains de travailleuse, des mains de terrienne, et son regard noir bienveillant et son sourire vaguement édenté mais d’une oreille à l’autre, lobe to lobe. Emilienne portait toujours une blouse à fleurs sur des pantalons noirs et le casque blanc de ses cheveux ras. Elle habitait dans le bas du village juste en face du cimetière. Elle n’avait plus d’âge mais conduisait encore une  4L flambant rouge. Enfin, conduisait… C’était à se demander si ce n’était pas l’épave qui la menait. Elle devait voler bancale tant ses quatre ailes étaient froissées de frictions. On avait beau lui dire : 

«  Emilienne ce n’est plus raisonnable de conduire, un jour vous allez avoir un accident. » 

« Dites que je conduis mal pendant que vous y êtes! Peuchère, à la vitesse que je roule il ne sera pas bien grave, l'accident! » 

On ne pouvait pas lui donner tort. Du reste elle ne la prenait que pour monter à la boulangerie. À l’arrivée, la voiture se rangeait devant fallait voir comme. Il valait mieux ne pas être garé sur la trajectoire dans les environs. Elle ne faisait aucun créneau. Elle montait, se rangeait, un peu, le moteur ne se coupait pas, tout juste le frein à main et elle repartait par le chemin du stade. En bas elle tournait à droite, longeait le mur du cimetière et elle était arrivée au point de départ. Elle avait fait une boucle avec Emilienne derrière le volant.  En traversant le village, elle saluait de la main comme une Miss France à peine élue. Pas certain qu’elle reconnaisse ceux à qui elle envoyait un signe, parce qu’un des problèmes d’Emilienne c’est qu’elle ne voyait plus guère mais comme ici tout le monde le savait, il suffisait de se planquer un peu quand vers les neuf heures la 4 L d’Emilienne déboulait de la Carrièro Frédérique Mistral. Quels que soit le temps, la pluie, l’orage, le vent, le mois, la saison, depuis des années il en était ainsi. Ses jours étaient réglés. Le matin le tour vers la boulangerie pour sa baguette de pain frais "J'en ai besoin vous savez, mes dents ne sont plus aussi fortes qu'avant!" et l’après midi c’est seulement dans le bas du village qu’on la voyait. Elle sortait de chez elle vers quinze heures, après la sieste qui suivait le café noir et deux biscuits ramollis dedans. Elle sortait là  sans sa blouse, jamais de blouse l'après midi, elle avait sa coquetterie, elle traversait la rue puis elle entrait dans le cimetière. Et là, à petits pas sur le gravier rose des allées, elle faisait ses tours. Tranquille, les mains croisées dans le dos elle marchait entre les tombes. Elle les inspectait toutes, l’une après l’autre, trois fois plutôt qu’une. Elle enlevait ici les fleurs fanées, là, elle redressait un pot en déséquilibre, ailleurs elle arrosait une fleur trop sèche et enlevait les fanées, elle balayait de la main des grains de gravier de dessus les pierres tombales. De temps en temps entre deux tours, elle  se posait sur le coin froid  d’une dalle et semblait discuter un peu avec le propriétaire qui ne répondait jamais. Une fois ses tours accomplis, elle sortait du cimetière puis retraversait la route et rentrait chez elle. Un peu avant que les dix huit coups de la cloche de Saint Michel sonnent.

Quand on lui demandait mais Emilienne, vous faites quoi tous les jours à aller au cimetière ? Il n'y a pas d'autres endroits pour balader? 

Elle répondait avec son sourire :

«Et où voulez vous que j'aille à mon âge? Ici, je viens voir mes morts, je leur tiens compagnie,  je suis la seule qui reste, je leur parle de nous, je leur raconte ce qu'ils loupent,  je les prépare à mon arrivée, je les fais patienter un peu et j’en profite, moi pour me faire à l’idée. Comme une fois que ce sera fait ça risque de durer un peu il faut bien que je m’y prenne bonne heure. 

Et puis, tant que je suis sur le dessus à marcher dans les allées, à avancer dans l'édredon doux de l'odeur entêtante du figuier de l'entrée, à voir le ciel enbleui de mistral,  à sentir sur la nuque et  les bras l'ombre apaisante du grand tilleul, derrière le vent qui me pousse aux épaules et manque de me faire tomber à chaque rafale, à entendre les pies qui jacassent et les cigales de l'été qui baroufent tout le jour, même quand je passe, je ne suis pas dans le dessous, dans l'immobile et le silence..."






3 commentaires:

Bonheur du jour a dit…

Très joli texte.

chri a dit…

@ Bonheur du jour Oh Merci à vous (Quel joli pseudo!)

Anonyme a dit…

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