On ne devrait pas avoir d’enfant, jamais.
D’abord à cause de la peine immense qu’on va immanquablement leur faire en mourant (enfin si tout se passe bien, parfois il peut y avoir du bon débarras, du hé ben c'est pas trop tôt, du ouf j'ai cru qu'il ne partirait jamais… On n’est à l’abri de rien !) mais plus surement à cause du chagrin terrible, inconsolable, indestructible qu’ils pourraient éventuellement nous faire en partant avant nous. Cela écrit, on a beau le pressentir, on a beau le savoir, on a beau en être persuadé, on fait comme la plupart de ceux qui nous ont précédés, ce qui fait qu'évidemment nous sommes là pour en parler : Vient le jour béni, bienheureux, éblouissant, chamboulant, déflagrant, où on devient soi-même parent.
Et puis, vient aussi un moment maudit où les parents s’en vont comme on dit pudiquement. En vrai, ils ne s’en vont pas. Ils meurent comme à peu près tout ici bas. Les roses, les chats, les piles AAA, les belles idées et les vélosolex. Dans le réel, ils s’arrêtent de vivre. Leur cœur ne bat plus, leur corps les abandonne, leur âme si on y croit se sépare de l’enveloppe et s'envole. Alors, ils deviennent un nom qu’on ne peut plus appeler comme par exemple celui de Papa. On peut encore parler de son père mais l’appeler pour savoir dans quelle pièce il est, pour lui poser une question, pour lui dire une importance ou une futilité, c’est fini. Quand on perd un amour on peut encore, plus tard, si on a la chance d’en retrouver un, on peut encore redire « mon amour » à quelqu’un d’autre que le premier ou le second ou le troisième si la santé reste bonne, si on a un bon karma et l’énergie de vivre suffisante, mais appeler quelqu’un « papa » c’est fini.
Désormais ce sera plus jamais.
D’après ce que j’ai entendu, et je veux bien le croire, je ne suis pas le premier fils qui perd son père. Enfin qui le perd, c’est une façon de parler. Pas le premier dont le père meurt serait plus juste. Du reste, cette idée de perdre est étrange. Le même verbe pour quelqu’un qui égare ses clés et celui-là qui pleure son père. Comme si la langue ne s’était pas foulée, comme si elle n’avait pas cherché plus loin. Perdu c’est perdu. Ça vaut pour un trousseau, un emploi, un père ou un amour.
Je veux bien l’entendre que je ne suis pas le premier à qui ça arrive, seulement moi c’est le premier que je pleure. Et ce sera le seul. J'espère bien qu'il n'y en aura pas d'autre. Ça, c’est fait. Pour la vie. Et cette idée bien qu’admise, je ne suis pas complètement dingue, je sais que la mort existe qu’un jour ou l’autre elle touche tout le monde riches et pauvres gna gna, a du mal à passer. Elle me reste en travers de la gorge comme un camion de miettes qui fait fausse route.
Maman m’a appelé en tout début de soirée pour me dire qu’il faisait un malaise. Le temps de fermer la maison de monter dans la voiture et de faire les deux cent kilomètres du trajet, quand je suis arrivé. Tout était fini. Pour lui. Quand quelqu’un meurt tout fini pour lui et assurément quelque chose commence pour ceux qui restent : La vie sans lui, déjà.
Je suis arrivé chez mes parents une heure après sa mort.
Nous nous étions manqué, une fois de plus. Comme souvent, donc. En vrai, nous ne nous sommes jamais manqué, nous ne nous sommes pas ou très peu trouvés voilà tout. Lui a eu sa vie riche, dense, engagée et si, d’une certaine manière nous, sa famille proche, femme et enfants, nous faisions partie de l’équipage nous n’étions pas avec ses amis et lui sur le pont. Là où se faisait ce qu’il faisait. Nous menions notre vie à côté de la sienne, sur les ponts du dessous. De temps en temps on se voyait sur les marches d’escaliers entre deux étages. Nous avons appris très tôt à vivre la notre de vie sans lui. Ses absences permanentes nous ont forcé à nous arranger, à ne pas compter dessus. Il n’était pas là point. Alors nous avons fait sans. Et même c’est quand il était là plusieurs jours d’affilée que c’était étrange. Que fait-il là celui là ? Se surprenait-on à penser. Mais il va rester encore longtemps ici? Normalement il ne devrait déjà plus être là. C’est presque mieux sans, non?
Et voilà. Maintenant nous y sommes.
Nous voilà bien avancés. Nous repensons à lui. À lui sans nous puisqu’il a fait sa vie ainsi. Nous nous disons qu’il a eu une belle vie avec plein d’amis qu’on connaissait comme ça de vue mais que lui a fréquenté plus intimement, plus régulièrement, plus durablement que nous, certains étaient même comme des enfants pour lui. D’autres enfants… Nous, il nous a très peu vu, au fond. On était là. Pas lui. Nous sommes encore là, plus lui.
Heureusement si l'on peut dire ces dernières années nous avions fait quelques pas l'un vers l'autre. Tu n'étais pas un grand lecteur mais comme ton corps t'avait assigné à résidence, condamné à quai, tu lisais mes écrits et tu les aimais. Oh tu n'en faisais pas de longs discours mais tu disais juste trois quatre mots dessus.
Je savais que tu avais lu, tu savais que je savais.
Et puis, nous voilà déjà orphelins. Ma sœur et moi sommes orphelins.
Et ce n’est pas rien d’être, veuf, orphelin, en deuil.
C'est tout de même moins appétissant et glamour que jeune marié ou récent père...
C'est ainsi.
Il va falloir nous habituer.
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