11 décembre 2024

Aujourd'hui

Je savais, depuis quelque temps déjà, qu’un jour, je devrais, moi aussi, écrire cette phrase. 

Nous y sommes, j’y suis.

Bien que j’en ai la conscience vive, elle ne m’est pas plus facile à écrire. Pour tout dire, elle me reste un peu en travers des phalanges. Le fait de savoir que les choses vont arriver ne les rend pas plus faciles à encaisser quand elles sont là. 

Mes pensées vont, à cet instant, à tous les fils et filles, à tous les enfants à qui il est arrivé d’avoir ces mots à dire ou écrire, ils seraient, parait-il, légion. Ce n’est pas une mince affaire que de devoir se les dire à soi ces quatre mots. Et, quand on y pense, ils sont pourtant d’une extraordinaire banalité. C’est arrivé si souvent... On voudrait bien, tout en sachant que c’est impossible, n’avoir jamais à le faire. Mais un vilain jour c’est là, il faut s’y résoudre, c’est inéluctable, difficile et glaçant. Si glaçant que je repousse le plus possible vers le fond de la page l’endroit de les écrire comme si cela allait changer le cours des choses, comme si le mur qui se dresse devant nous allait pouvoir être contourné, comme si la poigne qui nous serre le cœur allait pouvoir un peu se relâcher. Tant que je ne l’écris pas ça n’arrive pas. C’est bien un truc d’enfant, ça. Ça tombe bien, j’en suis encore un, d’enfant et ce que je perds aujourd’hui c’est exactement de cet ordre là. C’est de l’enfance qui vient de s’évanouir, de disparaître. Une immense part d’enfance et, peut-être même, celle-ci toute entière. 

À un âge avancé, pour un vieux monsieur ce n’est pas une mince affaire.

 Cette fois c’est fait. Je suis vieux et je vais peut-être devenir adulte puisque je ne suis plus l’enfant de personne sur cette terre.  Nous sommes, ma sœur et moi bels et pas très biens orphelins. Des deux. Je suis certain qu'elle aurait aimé croire qu'elle irait rejoindre son homme parti quatre ans avant, en éclaireur. Alors qu’elle a passé la plupart de sa vie à l’attendre, pour une fois, c’est lui qui l’a un peu attendue.

Elle est partie chez elle, accompagnée, entourée, choyée, apaisée, aimée, sans souffrir. Mais elle est partie. Nous te devions bien ça au regard de toutes ces années que tu as passées, seule ou quasiment, à t’occuper de tout pendant qu’il allait courir le monde pour une médaille, un podium ou un contretemps bien envoyé.

Demain, nous l’entendrons encore, mais autrement, demander, comme elle le faisait tous les matins: « Alors, il n'est pas mort, Poutine? ». Elle s'en est allée avant lui, la belle.

« Aujourd’hui, maman est morte ». 


C’est dit.

08 décembre 2024

Voyage voyage... Voyage

Ce sont trois jeunes jeunesses qui, dix minutes avant le départ ont pris le wagon d’assaut. Elles ont déboulé salle haute, adolescentes, volubiles, souriantes, enthousiastes, excitées et américaines. Elles pouffaient pas mal, parlaient fort, éclataient de rire souvent, surjouaient tout le temps avec cette agaçante énergie que peuvent avoir parfois les nords américains, en étant souvent trop tout. Tout, pour elles semblait merveilleux, amazing, crazy, cute à nous faire redécouvrir l’émerveillement insensé d’être assis terré dans un wagon Ouigo  en fin de vie. 

Ici, la vérité, enfin la nôtre, c’est que c’était vieux, sale, abimé par le temps, les allers retours innombrables, le ménage rare et les voyageurs indélicats. Ici, c’était terne et pour tout dire objectivement moche. Nous aurions pu, tous voyager dans un wagon de première que ça nous aurait procuré un plaisir inouï. Et ces trois jeunes filles là, en quelques éclats de phrases avaient rendu cet endroit lumineux et embelli le trajet à venir. Et puis une fois leurs bagages rangés, une fois leurs vestes enlevées il y eut cette annonce : En raison de problèmes techniques : que le conducteur va s’empresser d’essayer de résoudre nous ne partirons pas à l’heure. Nous nous excusons pour cette gène occasionnée bla bla bla… Alors ma voisine a gentiment expliqué aux adolescentes ce qui se passait dans leur langue.

Il n’y eut qu’elles dans tout le compartiment pour trouver ça cute, formidable. Dans l’air flottaient des relents de rougne et commençaient à monter des : Ah bravo Ouigo, ça commence, pas déjà partis qu’on est déjà arrêté, comme d’habitude on sera en retard, en somme l’habituel, le commun, le banal, le rien venant. Nous étions aussi prompts à râler qu’un coureur de cent mètres à arriver. Alors une autre annonce est venue troubler leurs gazouillages : « Mesdames et messieurs les voyageurs, l’attente avant le départ sera sans doute plus longue que prévue vous pouvez descendre sur le quai mais ne vous éloignez pas. » Elles piapiataient fortement quand elles ont commis l’erreur qu’il ne fallait pas commettre. Elles ont décidé de descendre pour aller acheter de l’eau. Elles n’ont pas compris ne vous éloignez pas, nous allons repartir sous peu…

Quelques minutes après, le silence revenu dans le wagon du fait de leurs absences, le train, d’un coup, s’est ébranlé. Nous allions partir, nous partions, sans elles à bord. Leurs bagages désormais seuls, abandonnés. Nous nous les sommes imaginées revenir leurs bouteilles à la main ne trouvant plus leur train le long du quai. Leurs désarrois, leurs inquiétudes leurs paniques. Une vague d’empathie nous a douché. Les pauvres. Puis le réel est revenu. Heureusement elles n’étaient pas parties sans leurs sacs à mains, donc pas sans portable, ni passeport. Elles allaient pouvoir communiquer, on allait pouvoir les joindre. On a regroupé leurs sacs et valises et on a couru en toucher deux trois mots avec les contrôleurs. Les choses se sont organisées et cette fois on peut ne pas bavouiller sur l’entreprise. Les contrôleurs ont été parfaits. Elles ont été jointes, elles ont été placées sur le train suivant, leurs affaires ont été surveillées puis débarquées à leur arrivée et trois billets ont été émis pour atteindre leur destination. Leur voyage ne serait bientôt plus qu’une péripétie à raconter, qu’un souvenir joyeux qui, cependant fait un peu peur, qu’une aventure qui se termine bien mais pas un scénario niais d'un film de Liam Neeson.

Et qui plus est, il faut quand même avouer que, dans le wagon, leurs absences n’ont pas fait de tort à grand monde, certains qu’elles allaient bien nous casser les oreilles avec leurs enthousiasmes énervés. 

Trois heures de trajet dans un wagon calme semble déjà long, alors les oreilles vrillées... Enfin calme... Il y eut bien cet épisode de début de bagarre avec interventions des contrôleurs puis de la police des trains pour une conversation téléphonique trouvée trop bruyante...

La magie des voyages qui, parait-il, la forment, la jeunesse, mais à condition qu'elle monte dans le train...


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