30 avril 2009

Un cœur en vacance.

Je ne voulais pas y aller, moi. Et puis, qu'allait-on faire dans ce trou perdu. Il ne fait que pleuvoir, là-bas, vous n'en avez pas marre de la pluie, vous ?
Va savoir pourquoi, cette année là, ils s'étaient entichés de la Bretagne Sud, alors que d'habitude nous allions toujours vers la Côte d’Azur du côté des serres et pas des parasols.
Tu verras, tu vas t'y amuser, il y aura les Grandoin, les Schmett et les Boutel…
__ Mais ce sont des amis à vous, ça, ce ne sont pas les miens, c'est vous qui allez vous amuser, oui, pas moi.
__ Ecoute, c'est comme ça et pas autrement, quand tu seras grand, tu choisiras tes vacances pour le moment c'est nous qui choisissons et nous on a choisi Port-Manech. Regarde les photos, c'est une magnifique petite plage, ça nous changera de la Méditerranée et puis il y a un club de voile très sympa, comme ça, tu apprendras à naviguer.
__ Et c'est à moi que vous dites ce genre de truc ? Il suffit que je regarde un bateau pour être malade, vous le savez, non.
__ Justement, c'est pour ton bien. Regarde Tabarly…
J'ai préféré ne pas faire le lien entre mon mal de mer et Tabarly mort en mer, les raccourcis des parents sont parfois mystérieux et vaguement tordus…
Bref, je n'étais pas très joyeux ce deux Juillet, quand on a pris la route pour le Finistère. Rien que le nom… J'ai passé le voyage à l'arrière de la voiture sans décrocher un mot, histoire de leur montrer mon mécontentement. Me taire était le seul moyen que j'avais trouvé pour me faire entendre. Plein Ouest, direction le fond de l'ennui.
Bien sûr, à peine arrivés, ils m'ont inscrit au Club Cap Sailing. Bien sûr, je me suis inventé une grand-mère possédant un assez grand manoir sur la route de Tréguenez, en restant tout de même imprécis, ils les connaissaient et les fréquentaient tous ces bâtisses là, bien sûr j'allais au club de voile en vélo, avec sur le dos, ma vareuse bordeaux que j'avais passée à la javel, je ne voulais pas qu'ils voient dans quelle voiture on pourrait venir me chercher. Je n'avais oublié qu'un détail trahissant tout le reste, il était neuf mon vélo... Les leurs étaient tous de vieux biclous sans âge, d’un chic...
Nous ne venions pas de la même banlieue. Ici, c'était plutôt réservé aux gens de l'Ouest de Paris, le 78, voire du seizième arrondissement, alors que nous débarquions de l’ Est. L'Est de Paris, ce qui est quand même moins glamour, enfin c'est ce que je me disais. Bien sûr que j'ai porté du matin au soir un pull marin à rayures, en coton, pour faire couleur locale. Un de ces trucs qui grattent et qui font les cous rouges comme ce devrait être interdit. Ils avaient tous des polos Lacoste, eux.
Bien évidemment, je suis tombé, dès la première heure, raide amoureux de Marie-Cécile, une petite blondinette jolie comme un cœur, souriante comme un matin de Juillet.
Et, comme j'étais qui j'étais, j'ai passé mon temps à éviter de faire équipe avec elle, à ne pas la regarder, à ne pas lui parler, à faire comme si elle n'existait pas, alors que je ne voyais qu'elle, n'entendais qu'elle, ne pensais qu'à elle et à ses couettes de toute petite fille et à ses petits seins riquiquis, mais si présents.
Par force, cet air mystérieux que mon sombre silence me donnait l'a intriguée, puis séduite. Alors, comme elle n'avait pas froid aux yeux et surtout qu'elle n'aimait pas qu'on ne succombe pas, sur le champ, c'est elle qui est venue me chercher, c'est elle qui a demandé à Eric le moniteur que l'on fasse équipage dans le même 420, c'est avec moi qu'elle a voulu courir toutes les régates et le fait que je me vide les tripes à chaque sortie ne l'a en rien rebutée. Au contraire, je la faisais rire, elle devait me trouver, sans doute, si exotique, si drôle, si petit marin perdu dans cet océan de convenances.
Et puis, un soir, alors que les bateaux étaient rangés, alors qu'un feu commençait à crépiter à même le sable, alors que tout le club s'était retrouvé là, sur la plage pour fêter la première quinzaine de cours, elle est venue vers moi qui m'étais mis gentiment à l'écart du groupe. Elle s'est assise sur la plage et rouée comme une vieille de dix huit ans, elle a fait mine d'avoir froid. Je lui ai proposé mon autre pull, le bleu marine, en laine, celui avec des boutons en ligne sur l'épaule, celui qui grattait encore plus que l'autre. Elle a souri et m'a juste dit: "Volontiers, je n'osais pas te le demander, tu ne vas pas avoir froid?" et puis après mon " Non, t'inquiète", "Mais tu parles? Tu n'es donc pas muet ?" Et comme il lui fallait décidément tout faire, c'est elle qui, la première, a saisi ma main et l'a posée sur ses petits seins si riquiqui... mais si vivants. C'est elle qui m'a embrassé dans le cou en disant: "Tu sens bon." C'est elle, encore, qui nous a entrainés loin du feu, derrière les rochers, à l'abri des regards, à l'abri des moqueries des Pierre Henri et François Paul, sans doute mortifiés par une jalousie dévorante alors que la guitare et la voix de Bernard-Etienne commençaient à naufrager un Santiano délabré...
C'est encore elle qui, deux ou trois heures après, en rangeant ses couettes sous un bonnet blanc, m'a dit, d'un air détaché : "Je pars demain matin, nous rentrons sur Versailles, les vacances ici sont finies, pour nous, je décolle après demain avec mes parents pour New York. Je te remercie, tu resteras ma belle soirée de l'été…"
Et voilà, je me suis retrouvé là, transi sous les étoiles, les genoux dans le sable, déjà humide de la marée montante, le souvenir encore chaud de ses deux petits seins dans mes paumes toutes inutiles, des larmes coulant sur mes joues salées, mon amour pour elle sur mes bras malingres sans savoir qu'en faire…
Ce qu'il ne savait pas c’est qu'il allait en voir d’autres…
Douarnenez

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui, mais de moins en moins malingres, les bras.

slev

chri a dit…

Hin hin!

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