Et puis, et puis, un matin, j’ai reçu un mail qui disait:
“Cher Chra, vous ne me connaissez pas, mais je viens vous lire régulièrement et j’aime assez commencer mes journées par la lecture de vos petites histoires, un thé à la main. Après les dernières, je me permets de vous envoyer une adresse qui pourrait peut-être vous intéresser. J’ai eu affaire à lui voilà quelques années et ma vie a changé. J’espère qu’il exerce encore et qu’il vous soulagera comme il m’a soulagée. Bien à vous. D.Voilà ses coordonnées:
Alphonse Plagnol Clos D’Hullias 30 760 à Saint Christol de Rodières ”.
J’ai lu et relu l’adresse et je l’ai copiée sur un morceau de papier que j’ai glissé dans mon portefeuille. Et j'ai tout oublié. Jusqu’à ce jour où, chez le médecin que je venais consulter pour une une vieille indécrottable douleur dans le bas du dos, le bout de papier est venu AVEC ma carte vitale. Que j’ai eu à me baisser pour le ramasser n’a pas arrangé mes affaires… Je me suis dit que conduire avec une chaise collée aux fesses n’allait pas être vraiment pratique. J’ai dû patienter un bon quart d’heure avant de pouvoir me relever. Je n’étais pas bloqué définitivement, mais passagèrement ça oui, on pouvait le dire. Je voyais bien que le doc si patient, si retenu, si empathique, commençait à me maudire, je voyais bien dans ses yeux qu’il allait, si ça continuait, devoir rentrer chez lui bien après la nuit tombée et que ça lui était insupportable. Je le sentais bien qu’il ne souhaitait qu’une chose c’est que je lève le camp et que je dégage de son cabinet. J’ai compris à cet instant là ce qu’avaient dû être les dernières heures des tyrans méditerranéens qui en ces temps bousculés dégageaient les uns après les autres...
J’ai fini par réussir à me déplier et c’est sur le trottoir que j’ai composé le numéro que j’avais écrit sur le papier tombé de ma poche. C’est une voix avec un accent de galets qui m’a répondu, enfin répondu est beaucoup dire puisque j’étais tombé sur un répondeur: “Je ne suis pas disponible, je suis avec mes bêtes, ne me laissez ni votre numéro ni votre nom, je ne rappellerais pas, appelez moi plus tard. Et après un silence: Mais pas après vingt heures, le soir, j'aime bien être tranquille. Ah, venez avec deux pieds d'olivier.
S'il vous plait ce sera pour un autre jour, j'ai pensé.
S'il vous plait ce sera pour un autre jour, j'ai pensé.
Je suis rentré chez moi, tant bien que mal, et je l'ai appelé. J’ai eu un rendez vous pour le surlendemain. Il m’a dit de chercher où il vivait, il n’avait pas de temps à perdre à m’expliquer, vous trouverez, m’a-t-il dit.
___ Les "vraiment motivés" trouvent toujours a-t-il ajouté. N'oubliez pas les oliviers.
S'il vous plait ça doit être trop long à dire ou bien il a perdu l'habitude avec ses bêtes, je me suis dit. Ce n'était pas faux, non plus vous vous voyez dire s'il te plait donne ton lait deux cent cinquante fois d'affilée? Je me suis couché. Je me suis mis en chien de fusil c’est ce qui m’allait le mieux au teint. Le lendemain, j’ai passé une belle heure à trouver sur la carte Moppy, puis sur le site Michelan la route pour monter au Clos d’Hullias. Ce n’était pas une mince affaire d’arriver là-bas. Un cul de sac, une fin du monde, un bout de route. A une bonne centaine de kilomètres de mon lit. Était-ce bien raisonnable de faire ce trajet dans l’état dans lequel je me trouvais? Ne valait-il pas mieux mourir maintenant ici, de suite, sans rien tenter qui risque d’aggraver mon cas? Ne fallait-il pas renoncer à tout jamais à aller moins mal plutôt que tenter ce voyage?
S'il vous plait ça doit être trop long à dire ou bien il a perdu l'habitude avec ses bêtes, je me suis dit. Ce n'était pas faux, non plus vous vous voyez dire s'il te plait donne ton lait deux cent cinquante fois d'affilée? Je me suis couché. Je me suis mis en chien de fusil c’est ce qui m’allait le mieux au teint. Le lendemain, j’ai passé une belle heure à trouver sur la carte Moppy, puis sur le site Michelan la route pour monter au Clos d’Hullias. Ce n’était pas une mince affaire d’arriver là-bas. Un cul de sac, une fin du monde, un bout de route. A une bonne centaine de kilomètres de mon lit. Était-ce bien raisonnable de faire ce trajet dans l’état dans lequel je me trouvais? Ne valait-il pas mieux mourir maintenant ici, de suite, sans rien tenter qui risque d’aggraver mon cas? Ne fallait-il pas renoncer à tout jamais à aller moins mal plutôt que tenter ce voyage?
J’ai à ma façon répondu à toutes ces questions puisque le lendemain, je suis monté en bagnole. Le vieux, enfin sa voix, m’avait dit:
__ Treize heures, soyez à l’heure parce qu’après, j’ai les bêtes. Je n’ai pas que vous à m’occuper. Ne vous croyez pas au centre du monde, non plus.
Après deux bonnes heures de conduite, dont la dernière demi-heure dans un paysage magnifique, déserté mais somptueux, aride mais d’une beauté à couper le souffle… Dire qu’il nous arrivait de prendre l’avion pour aller en vadrouille dans des endroits lointains alors qu’à notre porte on pouvait trouver aussi beau… J’ai approché d’un hameau en bout de ligne sur le sommet d’une colline ronde comme le sein plantureux de femme généreuse. Plusieurs bâtisses de pierre regroupées comme des noix dans un panier. Le chemin de terre se terminait là, au pied d’un gigantesque tilleul sur une sorte de place. Sur la droite, un bâtiment tout en longueur comme une bergerie. J’ai stoppé la voiture et je suis descendu. J’ai été accueilli, agressé serait plus juste par une forte odeur de chèvres, moutons, agneaux… bref d’ovins. Nom de bleu! J’en ai porté la main à mes narines et du pouce et de l’index, je me suis pincé le nez. J’ai regardé mon poignet, la montre m’a dit treize heures. La porte en bois de l’une des maisons s’est ouverte et un type sans âge est sorti sur le palier de pierre. Il avait une barbe fournie comme un maquis corse mais coupée au cordeau. Il portait une combinaison de travail d'une couleur usagée et j'ai vu, dessous le vieux vert, l'impeccable blanc d'une chemise et, ce qui m'a vraiment surpris, le bleu de soie noire d'une cravate classieuse:
__ Bien tu es à l’heure, approche.
Je me suis avancé, mes oliviers dans les bras.
__ Pose-les au pied des marches, je m'en occuperais demain. Vous guérissez et moi, je plante... Une belle boucle non?
Je me suis avancé, mes oliviers dans les bras.
__ Pose-les au pied des marches, je m'en occuperais demain. Vous guérissez et moi, je plante... Une belle boucle non?
J’ai monté le petit escalier, lui, il avait fait demi-tour et était rentré. Je l’ai suivi. Une cuisinière à bois ronflait gentiment. Je n’avais pas vu ça depuis celle de ma grand mère qui s’allumait tous les matins avec des bûchettes fines qu’elle préparait le soir. Dessus un des cercles de métal noirci, un faitout en fonte dans lequel un petit salé aux lentilles frissonnait. Ça sentait le lard chaud, la salive m’a giclé dans la bouche. J’ai entendu:
___ J’y mets des clous de girofle, c’est ça qui sent si bon… Je n’en ai préparé que pour moi, n’y pense même pas! Tout ce que je peux te proposer c'est un verre de MON vin. J'ai décliné poliment:
__ Merci mais il ne me reste qu'un point, je préfère le garder...
J'ai remarqué une vive lueur éclairant le noir de la pièce d'à côté... Le type, Alphonse, car c’était lui, bien sûr, a posé:
__ Merci mais il ne me reste qu'un point, je préfère le garder...
J'ai remarqué une vive lueur éclairant le noir de la pièce d'à côté... Le type, Alphonse, car c’était lui, bien sûr, a posé:
___ Je vais me laver les mains. Je reviens.
Puis il a disparu dans l’escalier de pierre. J’en ai profité pour aller faire un tour dans la pièce d’où luisait l’étrange lueur. Là, je suis tombé, enfin façon de parler, sur le cul! L’écran 27 pouces d’un imac dernier cri était allumé… C’était donc ça cette lumière! S'emmerde pas l'Alphonse! J’ai juste eu le temps de retourner dans la cuisine avant qu’il revienne. Ce type est bien plus qu'étrange me suis-je dit. Ma perspicacité m'a fait trembler. Je n'ai su qu'un peu plus tard qu'il vendait ses fromages par internet et qu'il faisait un malheur, avec.
___ Alors, c’est ton dos qui te fait des niches il m’a envoyé?
Je lui ai expliqué mes ennuis en gros et je suis passé très vite sur mes différentes tentatives de soin qui étaient jusqu’à présent restées sans trop d’effet. Il m’a regardé de haut en bas puis de bas en haut. J’ai eu le sentiment d’avoir été parcouru par un scanner. Un scanner qui sentirait le bouc et le petit salé aux lentilles avec des clous de girofle dedans...
Après un long silence, il m’a seulement prescrit:
___ Je ne vais pas te toucher, je ne vais rien te faire. Tu vas rentrer en te demandant pendant le chemin du retour, s'il ne serait pas temps pour toi, d'enfin, changer de vie. Quand tu auras la réponse, je crois qu'il te foutra la paix, ton dos... Le chemin que tu as choisi n'est pas le plus facile, mais dis-toi, pour te consoler, qu'il n'y a pas de chemin facile...
Tu ne me dois rien. J’ai été ravi pour toi que tu viennes jusque là., tu as décidé d'avancer, enfin... Maintenant, tu peux t'en aller, j’ai mon repas à prendre.
Tu ne me dois rien. J’ai été ravi pour toi que tu viennes jusque là., tu as décidé d'avancer, enfin... Maintenant, tu peux t'en aller, j’ai mon repas à prendre.
Bonne route, petit…