20 février 2011

Un petit somme…

Je me remettais lentement d'un épisode assez peu glorieux dans lequel j'avais, chez un acupuncteur de génie, chef cuistot à ses heures, joué les oursins à l'envers... Quand j'écris je me remettais, cela signifiait que maintenant, je pouvais à nouveau m'assoir sur un siège de voiture, par exemple, ce qui n'avait même pas été envisageable pendant trois longues semaines... J'étais percé de partout, je ressemblais à un très vieux pneu bardé de rustines. Je repensais à tout ça au volant et je ne crois pas que ce soient les premiers coups de klaxon qui m'ont tiré de là où j'étais parti...

__ Nom d’un sorcier birman!
__ Que t’arrive-il encore? Qu’as-tu à râler comme une fin de vie?
__ Mais c’est ce mal qui ne lâche pas mon dos, qui le suit partout, sans arrêt, tout le temps…
__ Toujours, quoi?
__ Oui c’est ça, toujours!
__ Et as-tu essayé l’hypnose?
__ L’hypnose? Ah non, ça je n’ai pas encore fait! J’ai testé les aiguilles chinoises, les pierres, les massages, TOUS  les massages, du shiatsu à l'ayurvédique,  en passant par le Nuad Bo Rarn. J'ai gouté à presque toutes les écoles de kinés, aux rebouteux d’à peu près tous les accents… Du rocailleux profond des Basses Alpes, au rocailleux doux du Gard en passant par le berrichon ou le lozérien, tu vois j’en connais un rayon… Et ce n’est pas moi qui ruine les mutuelles! Je ne leur prends pas UN centime! Je suis même allé chez un chamane aztèque si tu veux savoir! J’ai arrêté parce qu’il m’avait accroché les lombaires aux doigts de pieds…
__ Dis moi, et les médecins de la médecine,  tu les as essayé les médecins?
__ Ben non! Pourquoi faire?
__ Pour rien… Mais tu devrais tenter l’hypnose alors au moins pour l’expérience,  pour voir, tu ne risques plus rien! Et puis, on ne sait jamais, sur un malentendu, ça pourrait marcher! En tous les cas, ça ne  risque de ne pas te faire davantage de mal.
Alors, je me suis mis en quête d’un hypnotiseur. Quinze jours après, j’appuyai sur la sonnette d’un petit immeuble de banlieue à deux pas d’une gare. Au: Oui?  Je  m’annonçai. Entrez! C’est au troisième, la porte sera ouverte...
Ça sentait l’encaustique et la soupe de poireaux. J’ai poussé la porte et j’ai été accueilli par un nuage d’odeur d’encens et par la plus belle femme que j’avais jamais vu. Une trentaine triomphante, brune comme un œil de séducteur andalou, de longs cheveux attachés en une queue de pur sang, une peau mate et une voix grave comme une nouvelle d'importance.
Nom de Dieu, je me suis dit à moi-même, tout seul et comme la beauté des femmes m’intimide, j’ai été très intimidé. Un mauvais coup pour le lâcher prise… Elle m’a fait entrer dans son cabinet qui donnait sur les voies ferrées. Un porte manteaux, pour nos ennuis? Un bureau minuscule, deux grands fauteuils de cuir en face à face et un mur entier couvert de livres de chez Odile Jacob.  Il semblait y avoir tout François Roustang, tout  Victor Simon et je ne parle ni des Rufo, ni des Cyrulnik, ni des Kristeva... Si elle les a tous lu, c'est une pointure, je me suis dit.
Après m’avoir fait asseoir sur un des deux fauteuils, de sa voix  de Bessie Smith sous angine blanche ou de Sarah Vaughan sous laryngite, elle m’a entrepris:
___ Alors, qu’est-ce qui vous amène ici?
Ah, oui, elle avait un vague accent, aussi...
___ L’annuaire, j’ai dit bêtement, mais je voulais détendre un peu mon atmosphère.
Elle a souri gentiment mais n’a pas lâché le morceau.
___ Oui, mais sinon, à part lui?
Je me suis un peu raconté, dans les grandes lignes, bien aidé par les bruits des trains qui passaient sous les fenêtres…
Puis elle a fait: On va y aller, on va voir ce qu’on peut voir.
___ Asseyez vous bien au fond du fauteuil, installez vous le plus confortablement du monde. Regardez le plafond, essayez d’y repérer les deux points de couleurs qui y sont, allez de l’un à l’autre, lentement, paisiblement.
Au plafond, on avait fait deux cercles de couleurs un rouge et un vert distants de trois mètres environ, je n’ai pas eu de mal à les trouver et j’ai commencé à me balader de l’un à l’autre, puis de l’autre à l’un. Ce prénom ne me dit rien je me suis dit. J’étais aux taquets, concentré comme un tube de lait Nestlé.
Après quelques secondes de ce manège, la voix incroyable de la personne assise en face, m’a demandé de compter de un à dix puis de dix à un tout en continuant mes allers retours d'un point à l'autre. Jusqu’à dix ça va elle me prend pour qui?
Je m’y suis mis, consciencieusement, avec application et j’ai bien senti qu'il se passait quelque chose, comme un bazar qui s'installait. J'ai vaguement commencé à sortir de la pièce mais sans aller trop loin. J’ai juste fait un tour près des locomotives...
Elle, je continuais de l’entendre qui me disait des trucs où il était question de niveau de conscience, d’ici et maintenant, de relâchement… Et sa voix profonde faisait une si jolie musique qui me couvrait les épaules que je l’écoutais avec un immense et chaleureux plaisir. Un moment, elle m’a dit que mon bras droit allait avoir envie de se lever tout seul. Il n’a rien voulu savoir, il est resté ancré dans le bras du fauteuil. Alors, elle l’a pris de sa main. Elle m’a touché, j’ai été touché par elle…
Elle me l’a levée, ma main et l’a laissée en l’air, comme un imbécile et l’autre devait la rejoindre. Elle y est allée sans doute par solidarité. J’ai fait un petit tour en dehors de moi et je me suis vu, assis dans un fauteuil en cuir, en face d'une bombe, dans  le salon d’un petit appartement, les deux bras levés… J’ai souri. Alors, elle m'a proposé plusieurs balades. Une dans une barque planant au-dessus d'une forêt accueillante, une dans un traineau tiré par des rêves bleus, une sur un tapis volant poussé par le courant paisible d'une rivière enchantée... J'aurais préféré qu'elle m''invite à une petite marche  avec elle le long des quais de Seine, mais bon...  Puis, elle m'a invité à une pause dans une clairière pleine de mousse douce et là, je m'y serais bien allongé à ses côtés, mais il n'en a jamais été question. Tout ça est resté très professionnel...
Malgré ses injonctions, je ne me suis pas endormi, je suis resté là dans les odeurs d’encens, de soupe de poireaux et dans les bruits de départs et de freinages des trains d'à côté.
Pour une première séance, votre résistance est normale m’a-t-elle dit. Nous nous revoyons dans quinze jours, même heure. Je lui ai fait un chèque et je suis sorti à regrets. Ce n’est pas tous les jours qu’on passe des instants avec une si jolie personne, on a envie d’en profiter encore, un peu.
J’ai rejoint ma voiture et j’ai pris la route du retour. J’étais dans le doute.  Hypnose, hypnose, me suis jamais endormi vraiment, mon bras il n’est pas monté seul, si elle n’était pas allé le chercher, il serait resté là, je me souviens de tout, je n’ai jamais perdu le contact... Est-ce que ce ne serait pas une arnaque cette affaire? Je vais y retourner, mais c'est bien parce qu'elle est si belle...

Ce sont les deux derniers coups de klaxons agressifs des bagnoles derrière la mienne qui m’ont sorti de là.
J’étais à l'arrêt, au beau milieu de la voie, le feu était au vert, une bonne demi-heure après ma première séance d'hypnose où il ne s'était pas passé grand chose.

Je pensais à tout ça en dormant, les deux mains agrippées au volant comme un routier décérébré.

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14 commentaires:

Tilia a dit…

Une histoire à dormir... assis au volant ;-)

Pas besoin d'avoir vu une belle pouliche pour se faire klaxonner au feu vert. En attendant au feu, mon mari a tendance à s'endormir, vu que bien calé dans le siège de la voiture, son sciatique lui fiche la paix !

C'est ce genre-là votre beauté hypnotique (hippo-nautique) ?

chri a dit…

@Tilia Nicole est presqu'aussi belle que mon hypnotiseuse!

Anonyme a dit…

J'ai eu peur, un moment, que ce soit au milieu de la voie ... ferrée, et que les klaxons ... à cause d'un train qui arrivait, et que tu l'entendais mais c'est pas grave c'est l'hypnose chuis dans le fauteuil, et que la dame à la grande beauté elle sait aiguiller son monde, mais que tout de même ça fait beaucoup de bruit par cette fenêtre, et que Oh mais nom de d... c'est pas la fenêtre c'est la vitre baissée de ma voiture et que les deux yeux là bas sont pas au plafond mais bien sur le nez d'une grosse locomotive et que 10 secondes ça risque d'être juste ... dommage, elle était vraiment belle, je crois même que j'avais un ticket.
- Monsieur, monsieur ...
- Hein, quoi ? Qu'est-ce que c'est ?!!
- Désolé de vous réveiller : contrôle des billets.

Slev
Ps : oups, excuse ce dérapage, mais on aimerait vraiment savoir s'il y avait toujours cette odeur de soupe de poireaux ou si elle aura vaincu tes résistances à la 2ème séance.

chri a dit…

@Slev Ca fout un de ces bazars ces injonctions contradistoires Incroyable! On ne sait plus ni qui est qui, ni qui fait quoi!

Anonyme a dit…

Oui, c'est vrai, c'est mon problème parfois, avec les bonnes histoires, elles me déclenchent un film en parallèle de ma lecture. Avantage : ça m'en fait 2 pour le prix d'une ; inconvénient : souvent à l'arrivée, je suis un peu embrouillé par le mélange. Alors 2ème avantage : après décantation, je retourne au début, je laisse tomber mon film, et là, c'est encore meilleur.

Slev

chri a dit…

@Slev remarque j'ai tout fait pour les brouiller les pistes... A parler sans arrêt des voies ferrées et des locos... Loco?
Et pis moi j'aime vach'ment bien quand les lecteurs s'emparent de l'histoire et la font partir vers des ailleurs ou je n'avais pas pensé aller!

Nathalie a dit…

Il y avait café neuf-pain grillé et fleurs de rose-porc caramel, maintenant il y a encens-poireau, le parfum dernier cri de chez Chri!

Nathalie a dit…

Résumé des épisodes précédents : le héros, dont l'odorat est aussi développé que son dos est bloqué, cherche une botte d'aiguilles dans le foin (il la trouvera derrière son dos) et une bombe au bout de son bras mou (il ne la trouvera qu'au prix d'un sommeil intempestif au feu vert).

On attend l'épisode suivant : bourguignon-bouquet de menthe chez le rebouteux ou métal froid-céleri rémoulade chez le radiesthésiste ?

Nathalie a dit…

Et le garde du corps, il garde toujours le petit spécimen ?

Nathalie a dit…

... chez aucha je veux dire?

chri a dit…

@Nathalie: C'est drôle, je n'avais pas vraiment fait les liens entre les différentes odeurs, mais j'aime bien ça (dit-il modeste!)
Si c'est du même body guard dont tu parles, oui, il reste encore caché, pour l'instant... Mais quelque chose me dit qu'il finira par faire comme les autres!
Mangue-omelette chez un interprète de rêves...

Nathalie a dit…

:-)))

Lautreje a dit…

un délice vos essais ! bénissez votre dos qui vous fait tant découvrir !

chri a dit…

@Lautreje: Merci à vous! Tous les jours je le bénis non-non!

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