Comme souvent, le dimanche matin, j’y allais, puis j’en revenais.
J’aimais beaucoup y aller à partir d'Avril pas tant pour côtoyer le monde innombrable qui s’y pressait mais surtout pour y prendre mon lexomil hebdomadaire. Et il n’était livré qu’à partir de fin Avril, quand les très beaux jours et les, un peu moins beaux touristes reviennent en masse. Il avait l’apparence d’un trio de musiciens. En fait, ils étaient quatre (eux trois plus le talent) qui se posaient toujours au même endroit et qui envoyaient dans les ruelles un swing à faire bouger une phase terminale. Si en l’écoutant, pas un de tes muscles ne se mettait en branle il y avait urgence à composer le 18. Gig Street, ils s'appelaient. Un chanteur-saxophoniste rond, noir et américain, Léonard Blair, un guitariste sec et un contrebassiste désabusé. Les écouter une demi-heure épargnait, et de loin, les frais d’un stage rebirth dans une lamasserie de Haute Drôme. Ils faisaient danser les notes et gigoter les orteils. C’est donc en tongs que j’allais au marché juste pour leur permettre d’être plus à l’aise pour leur séance hebdo de gigotage.
Les entendre nourrissait pour la semaine. J’avais quand même acheté leur CD pour les écouter à la maison en cas de crise grave. Septembre venu, ils disparaissaient, peut-être hibernaient-ils au fond de je ne sais quelle grotte, ce qui est certain c’est que s’ils continuaient à jouer, ils ne mourraient jamais de froid. Je m’installais devant eux, j’écoutais: mes doigts de pieds s’en donnaient à cœur joie, je jurerais pouvoir sentir les pavés de la rue, sous les tongs, battre la mesure et en levant les yeux on voyait nettement les volets des maisons alentours en faire de même. Tout le monde s'y mettait. Et le ciel s'éclaircissait et les coeurs des gens s'ouvraient à l'unisson de leurs chakras et l'Universelle Paix déboulait sur la place avec ses compagnons de régiment, l'Amour Parfait, le Bonheur Absolu, la Quiétude Céleste...Tout ça à cause de quelques notes de saxo bien soufflées.
J’aimais beaucoup y aller à partir d'Avril pas tant pour côtoyer le monde innombrable qui s’y pressait mais surtout pour y prendre mon lexomil hebdomadaire. Et il n’était livré qu’à partir de fin Avril, quand les très beaux jours et les, un peu moins beaux touristes reviennent en masse. Il avait l’apparence d’un trio de musiciens. En fait, ils étaient quatre (eux trois plus le talent) qui se posaient toujours au même endroit et qui envoyaient dans les ruelles un swing à faire bouger une phase terminale. Si en l’écoutant, pas un de tes muscles ne se mettait en branle il y avait urgence à composer le 18. Gig Street, ils s'appelaient. Un chanteur-saxophoniste rond, noir et américain, Léonard Blair, un guitariste sec et un contrebassiste désabusé. Les écouter une demi-heure épargnait, et de loin, les frais d’un stage rebirth dans une lamasserie de Haute Drôme. Ils faisaient danser les notes et gigoter les orteils. C’est donc en tongs que j’allais au marché juste pour leur permettre d’être plus à l’aise pour leur séance hebdo de gigotage.
Les entendre nourrissait pour la semaine. J’avais quand même acheté leur CD pour les écouter à la maison en cas de crise grave. Septembre venu, ils disparaissaient, peut-être hibernaient-ils au fond de je ne sais quelle grotte, ce qui est certain c’est que s’ils continuaient à jouer, ils ne mourraient jamais de froid. Je m’installais devant eux, j’écoutais: mes doigts de pieds s’en donnaient à cœur joie, je jurerais pouvoir sentir les pavés de la rue, sous les tongs, battre la mesure et en levant les yeux on voyait nettement les volets des maisons alentours en faire de même. Tout le monde s'y mettait. Et le ciel s'éclaircissait et les coeurs des gens s'ouvraient à l'unisson de leurs chakras et l'Universelle Paix déboulait sur la place avec ses compagnons de régiment, l'Amour Parfait, le Bonheur Absolu, la Quiétude Céleste...Tout ça à cause de quelques notes de saxo bien soufflées.
Ensuite, je faisais le tour de la ville puis avant de partir, je revenais engranger, comme une piqûre de rappel, quelques notes, un ou deux chorus de sax et je rentrais, ragaillardi.
Ce matin, après avoir pris ma pilule, je suis allé m’asseoir devant un Vichy orgeat (le sucré salé ne me faisait pas peur) au bar de l’Arquet, tu sais, celui où les tables et les chaises sont peintes de toutes les couleurs, sur la petite place dominée par la maison de la tranquillité urbaine... J’étais passé devant l'étal de ma marchande de légumes préférée, j’en avais profité pour lui demander de remettre à plus tard la date de notre mariage, j’avais prétexté, pour ne pas la froisser, qu'elle était bien trop jolie et que ma jalousie maladive, je m’en montrai convaincu, ne pourrait pas la rendre heureuse et compliquerait singulièrement les choses entre nous. Elle avait été d’accord mais m’avait demandé de réfléchir encore, un peu. Je n’avais pas su lui refuser ce délai. D’une semaine. J’avais acheté une part de pissaladière que j’avais englouti en marchant et, bien sûr, deux ou trois petits morceaux d’oignons bien huilés, étaient venus se poser gentiment comme deux moineaux fragiles sur le devant de ma chemise. J’avais, au passage, réprimandé des yeux une mère excédée qui venait de balancer une gifle sur la joue d’une gamine, lui faisant payer ainsi sa peur de l’avoir perdue. Je ne me baladais pas avec le numéro de la Dass sur moi, sinon, j'aurais bien appelé.
Ce matin, après avoir pris ma pilule, je suis allé m’asseoir devant un Vichy orgeat (le sucré salé ne me faisait pas peur) au bar de l’Arquet, tu sais, celui où les tables et les chaises sont peintes de toutes les couleurs, sur la petite place dominée par la maison de la tranquillité urbaine... J’étais passé devant l'étal de ma marchande de légumes préférée, j’en avais profité pour lui demander de remettre à plus tard la date de notre mariage, j’avais prétexté, pour ne pas la froisser, qu'elle était bien trop jolie et que ma jalousie maladive, je m’en montrai convaincu, ne pourrait pas la rendre heureuse et compliquerait singulièrement les choses entre nous. Elle avait été d’accord mais m’avait demandé de réfléchir encore, un peu. Je n’avais pas su lui refuser ce délai. D’une semaine. J’avais acheté une part de pissaladière que j’avais englouti en marchant et, bien sûr, deux ou trois petits morceaux d’oignons bien huilés, étaient venus se poser gentiment comme deux moineaux fragiles sur le devant de ma chemise. J’avais, au passage, réprimandé des yeux une mère excédée qui venait de balancer une gifle sur la joue d’une gamine, lui faisant payer ainsi sa peur de l’avoir perdue. Je ne me baladais pas avec le numéro de la Dass sur moi, sinon, j'aurais bien appelé.
Puis, j’étais allé m’asseoir en terrasse.
Et c’est là que je l’ai aperçue. Imagine la tête de l’iceberg quand il a vu le Titanic foncer sur lui. Voilà j’avais fait exactement ces yeux là, en plus chaud. Elle était assise à deux rouges et bleus de la mienne et me tournait légèrement le dos. Elle tenait une cigarette dans sa main gauche en s’appuyant le menton dessus. De la droite, elle écrivait, fébrilement, sur un épais carnet. Elle semblait comme enveloppée dans une bulle, toute à son écriture, toute aux mots qu’elle traçait nerveusement sur le papier. Vu l’épaisseur du carnet, elle en avait un paquet à dire. Elle devait avoir une mince trentaine, habillée sobrement d’une tunique blanche, qui laissait voir des épaules larges et noueuses, et d’un jean court. Sa nuque balayée d’une queue de cheval vite tressée. Des lunettes noires sur le nez. C’est quand elle a tourné la tête que j’ai vu une larme couler de son œil droit, glisser sur sa joue, tâcher le blanc. Alors, je l’ai regardée. Ca m’arrangeait qu’elle ne puisse pas me voir. Ainsi, elle ne sentirait pas le poids de mon regard insistant sur son dos. De toutes façons elle semblait tellement inaccessible au monde autour d’elle. Un avion aurait pu s’écraser sur la place, je suis certain qu’elle n’aurait pas bougé d’un millimètre. Je suis resté un long moment ainsi comme un naja sous hypnose. Cette femme qui écrivait, en larme, là, à cet endroit là… Quand la table à côté de la sienne s’est vidée, je suis allé y finir mon deuxième verre. Par-dessus son épaule, j’ai réussi à voler quelques mots :"...On me dit que nos vies ne valent pas grand chose et qu'elles passent en un instant comme fanent les roses..." ça pourrait faire le début d'une chanson, puis, plus loin sur la page"... mon désamour brutal, pour toi m’est insupportable, tu resteras mon bel amour blessé … "
Le monde, qui est, comme l'a écrit Wittgenstein, tout ce qui arrive, était, ce matin, un univers bien rangé. En parfait équilibre:
Un chanteur faisait danser les rues où marchaient des milliers de touristes étrangers souriants d'y être, une mère avait frappé son enfant avec une violence à la mesure de l’amour qu’elle lui portait, une femme gravait rageusement sur le papier la souffrance de devoir quitter avec, sans doute, un vague plaisir à la relecture des phrases écrites et des bouts d’oignons parfaitement cuits s’étaient collés sur le blanc étincelant de ma chemise.
Un matin banal d'un dimanche ben ordinaire, en somme... Comme on le dit d'un certain gars.
ORDINAIRE
paroles: Mouffe
musique: Pierre Nadeau, Robert Charlebois
Je suis un gars ben ordinaire
Des fois j'ai pu l' goût de rien faire
J' fumerais du pot, j' boirais de la bière
J' ferais de la musique avec le gros Pierre
Mais faut que j' pense à ma carrière
Je suis un chanteur populaire
Vous voulez que je sois un Dieu
Si vous saviez comme j' me sens vieux
J' peux pu dormir, chu trop nerveux
Quand je chante, ça va un peu mieux
Mais ce métier-là, c'est dangereux
Plus on en donne plus l' monde en veut
Quand j' serai fini pis dans la rue
Mon gros public je l'aurai pu
C'est là que je m' r'trouverai tout nu
Le jour où moi, j'en pourrai pu
Y en aura d'autres, plus jeunes, plus fous
Pour faire danser les boogaloos
J'aime mon prochain, j'aime mon public
Tout ce que je veux c'est que ça clique
J' me fous pas mal des critiques
Ce sont des ratés sympathiques
Chu pas un clown psychédélique
Ma vie à moi c'est la musique
Si je chante c'est pour qu'on m'entende
Quand je crie c'est pour me défendre
J'aimerais bien me faire comprendre
J' voudrais faire le tour de la terre
Avant de mourir et qu'on m'enterre
Voir de quoi l' reste du monde a l'air
Autour de moi il y a la guerre
Le peur, la faim et la misère
J' voudrais qu'on soit tous des frères
C'est pour ça qu'on est sur la terre
Chus pas un chanteur populaire
Je suis rien qu'un gars ben ordinaire...
paroles: Mouffe
musique: Pierre Nadeau, Robert Charlebois
Je suis un gars ben ordinaire
Des fois j'ai pu l' goût de rien faire
J' fumerais du pot, j' boirais de la bière
J' ferais de la musique avec le gros Pierre
Mais faut que j' pense à ma carrière
Je suis un chanteur populaire
Vous voulez que je sois un Dieu
Si vous saviez comme j' me sens vieux
J' peux pu dormir, chu trop nerveux
Quand je chante, ça va un peu mieux
Mais ce métier-là, c'est dangereux
Plus on en donne plus l' monde en veut
Quand j' serai fini pis dans la rue
Mon gros public je l'aurai pu
C'est là que je m' r'trouverai tout nu
Le jour où moi, j'en pourrai pu
Y en aura d'autres, plus jeunes, plus fous
Pour faire danser les boogaloos
J'aime mon prochain, j'aime mon public
Tout ce que je veux c'est que ça clique
J' me fous pas mal des critiques
Ce sont des ratés sympathiques
Chu pas un clown psychédélique
Ma vie à moi c'est la musique
Si je chante c'est pour qu'on m'entende
Quand je crie c'est pour me défendre
J'aimerais bien me faire comprendre
J' voudrais faire le tour de la terre
Avant de mourir et qu'on m'enterre
Voir de quoi l' reste du monde a l'air
Autour de moi il y a la guerre
Le peur, la faim et la misère
J' voudrais qu'on soit tous des frères
C'est pour ça qu'on est sur la terre
Chus pas un chanteur populaire
Je suis rien qu'un gars ben ordinaire...
12 commentaires:
il est curieux ce lexomil en pilule une fois par semaine - et ill a de beaux effets
J'en prendrais bien un comprimé moi aussi, voir deux, quitte même à faire une overdose ..
vos ptits dimanches matins sont plutôt sympas, mais vous savez regarder et voir aussi Chriscot !rien ne vous échappe.
J'aime les détails, toutes ces petites choses qui nous échappent parfois... et puis cette chanson de Charlebois, si vous saviez comme je l'ai écoutée, à fond, souvent dans ma voiture quand je suis toute seule pour pouvoir hurler avec lui ! genre Karaoké en pire !vous auriez du nous la mettre en musique de fond, j'en aurais profité pour, comme vous le dites, me faire une piqûre de rappel. Un ptit air de musique et hop tous ces souvenirs qui remontent ! cela m'étonne toujours cette mémoire auditive que nous avons ! mais je déborde du sujet :o)
merci en tout cas.. je me suis évadée un instant
@Véronique:
C'est fait, elle est chez deezer sur le blog... Mais si vous cliquez sur le titre de la note vous y arrivez aussi vite...
ah bon ... alors y a un truc qui m'échappe, j'ai autre chose !
J'aime le café de France et la chanson Ordinaire... Voilà.
c'est bon ! je l'ai .... merciiiiiiiii
une version que je ne connaissais pas en plus !
Extra ...
Slev
Vichy orgeat, Léonard Blair,
tongs, pissaladière,
une recette extra-ordinaire !
@Tilia De quoi sentir détendu
Bien raison de choisir ce temps "hors saison", hors la foule, pour savourer au mieux !
Savoir "… engranger quelques notes qui font gigoter des pieds ; engloutir une part de pissaladière en marchant ; siroter un Vichy orgeat en reluquant les tables et les chaises de toutes les couleurs ; rester scotché comme un naja sous hypnose devant des mots touchants ; s'indigner d'une gifle déplacée…" (!!!)
voilà bien la démonstration, s'il en fallait, qu'avec de l'ordinaire on peut s'offrir de l'extraordinaire quand les cinq sens et le cœur demeurent en éveil…
PS :
Jolie, la déco du Café de France, mais les clients… ça rigole pôs ! … :(
pas la moindre trace de p'tits oignons à l'huile sur les chemises blanches !… :)
@Odile: Merci à vous !!! Regardez bien, les clients sont tous anglais...
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