04 novembre 2017

Jours noirs, nuits blanches.

J’ai froid. Dès le milieu de la nuit, j’ai eu froid. Et la nuit d’avant pareil. 
Cette nuit, je me suis déjà réveillé trois ou quatre fois depuis que je me suis allongé. J’étais pourtant épuisé, abruti de fatigue. J’avais pas mal marché, presque tout le jour sans me poser. Malgré ça, j’ai mis assez longtemps pour trouver le sommeil. À un moment, j’ai même dû me relever et me mettre à marcher pour tromper l’ennemi, pour faire quelque chose, pour agir et ne plus être en attente, passif. Surtout pour que le sommeil vienne me trouver, pour qu’il s’empare de moi, pour qu’il ne me lâche plus. Que je dorme. Je veux dormir. Je ne sais plus après combien d’heure il m’est enfin arrivé. Et encore, il ne m’est pas venu profond, il m’est resté plutôt léger. Il faut dire que le moindre bruit me réveille, me sort de cet état étrange qui n'est plus de la veille, je serai prêt à me lever et à courir si je devais. Je me sens comme un animal en danger, un de ceux dont la défense est la fuite, un de ceux qui ne dorment que d’un œil ou sur trois jambes, un de ceux qui sont prêts à s’enfuir en galopant. Seulement eux, ils  savent faire, c’est inscrit dans leurs gènes, pas comme nous, les humains qui sont faits pour s’abandonner puisqu’ils sont dans des endroits protégés. En suis-je encore un, d'humain ? Alors, quand il ne vient pas, je me tourne vers le mur et j’attends de replonger. Je me couvre la tête pour lutter contre le bruit et le froid qui me prend le haut du crâne, la nuque et les épaules. Je me regroupe, les jambes sous le corps en me mettant en boule pour tenter de ne perdre aucun degré. J’ai renoncé à en gagner. Je ne veux plus entendre les plaintes des autres à côté, alcoolisés, fous, délirants, souffrants.
J’ai renoncé aussi à rêver. Je cauchemarde ? C’est ma vie tout entière qui en est devenu un vrai. J’ai froid, je suis seul, j’ai peur. C’est arrivé si vite. Je n’ai rien vu venir. Je me suis retrouvé ainsi sans même avoir le temps de le penser. Comme une porte en pleine gueule, comme un pneu qui éclate à cent soixante.
On ne peut pas se préparer à ça. J’avais une famille, un boulot, un appartement et en quelques jours j’ai perdu les trois. Sans préavis. Et je me retrouve là, à dormir dehors, à trembler de froid comme un vieux diesel au milieu d’autres détresses aussi perdues que moi.
Les autres, ceux qui passent sans nous voir comment leur en vouloir ? Comment je faisais quand j’étais du bon côté du manche ? Comme eux, je passais avec la peur que ça m'arrive accrochée au ventre. Sans un regard, pour ne pas me voir.
Et tout ça parce qu’un type zélé, un cadre, m’a vu, dans la remise, prendre une banane et la bouffer. Une seule putain de banane, un simple fruit. Pensant se faire bien voir, il est allé me dénoncer à la direction.
Alors, tout s’est emballé très vite, comme si une avalanche d’emmerdements m’était  tombée dessus et m'avait enseveli.
Quand son tour viendra, parce qu'il viendra, plus personne, désormais n'est à l'abri de rien, ce moment venu, je ne donne pas cher de sa peau.



7 commentaires:

Pastelle a dit…

Excellent ce texte qui colle si bien à l'actualité. J'espère que l'histoire se terminera mieux pour le vrai personnage. Ce n'est juste pas possible autrement.

Anonyme a dit…

Bravo Chris ! Je n'osais pas dire qu'en allant au cinéma ce samedi, dans ma grande ville, un peu plus tôt que d'habitude, j'ai flâné , j'ai croisé plus de mendiants qu'en semaine et qu'à une heure plus tardive,j'ai même été poursuivie par un jeune homme qui me suppliait de l'écouter, ce que j'ai fait.Bien en avance sur l'horaire du film, je suis allée visiter une célèbre enseigne possédée désormais par les milliardaires du Quatar et j'y ai vu des jolies bottines à 796€. Je ne parle pas du type d'acheteur.e.s que j'y ai vu.e.s pour résister aux préjugés. Alors je me suis dit que cette société était sans doute au bord de l'implosion à condition qu'on se bouge un peu les fesses.
Je suis informée de cette histoire de banane chez Leclerc- François Morel a fait une excellente chronique sur le sujet hier matin je crois. Mais chez Lidl ou d'autres c'est pire. Dans ma ville universitaire la plupart des logements étudiants sont dans un état que peu de gens imaginent : cafards, salpètre, vent entrant par les huisseries pourries, douches homéopathiques , punaises ..! Dans la 5ème puissance du monde , avec le record européen de multimillionnaires , de fraudeurs fiscaux et de dividendes versés aux actionnaires-je ne parle même pas des GAFA ! Alors j'hésite. Est-ce que je prends davantage de séances de méditation,de Tai Qi, de Qigong ou bien ?

Papy-rené-bien-triste-ce-soir

chri a dit…

@ Pastelle Merci à vous. Oui, je l'ai ressentie, cette histoire comme inqualifiable, insupportable.
@ Papy Cette misère partout est à pleurer. Le pire dans cette histoire c'est aussi le type qui est allé au bout de la démarche et qui n'a pas été foutu de se dire que pour une banane on ne va pas en faire tout un plat...

Anonyme a dit…

Bon, j'ai rien à dire, ça me désespère -)
marie.

chri a dit…

@ Marie Désolé, mais je suis d'accord.

Brigitte a dit…

C'est terrible ...

chri a dit…

@ Brigitte Oui, et à deux pas de chez nous.

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