24 février 2019

Conter Fleurette (Portraits de femme 3)

Mais oui, je m'en souviens très bien, maintenant, c'est ce soir là que j'ai eu labelle chance de croiser Fleurette.  Que je raconte Fleurette:
C'est seulement quand elle sortait de l’hôpital vivante, avec des trucs en moins à l'intérieur qu'elle se remettait à sourire. Elle était comme ça Fleurette, elle était plutôt bonne vivante, mais il ne fallait pas la faire chier. Or la vie s’y était entendue pour ça. Ses amis l'appelaient Fleurette parce que ça lui allait bien mais ce n'était bien entendu pas son vrai prénom. Si des parents étaient assez dingues pour appeler leur fille Nadège ils auraient pu tenter Fleurette. Son vrai prénom, elle voulait bien qu'on s'en serve mais Fleurette, elle aimait davantage. 
Et puis c’était elle qui avait choisi. En vrai, elle n'était pas compliquée, elle.
 Du moins c’est ce qu’elle nous a dit, à propos de l'hôpital. Pas grand-chose qui pouvait l’entamer cette fille là, même si les coups qu'elle avait reçus de la vie lui laissaient de vilaines marques à l’âme et sur la peau, elle ne faisait rien pour cacher ces traces. Elle s’en foutait pas mal de ses cicatrices de pirate, ça ne l’empêchait pas de se baigner à poil. Elle ne cherchait pas à les montrer mais n’empêchait pas qu’on les voit.  Alors que d’autres les portaient comme un étendard : Voyez, voyez tout l'monde, comment j’ai souffert atrocement… Si vous saviez tout ce qu’ils m’ont enlevé ! Elle c’était, pfffuit, on balaie ça d’un geste de la main : l’important c’est d’être là, aujourd’hui, avec vous…
Elle devait bien peser ses quarante kilos, cette plume d’acier trempé. Mais en face d’elle on était comme devant un pack de rugby juste avant l’introduction de la balle et c’est un visage tout en sourires qui l’accueillait. Je ne la connaissais pas assez pour savoir si en pilier de bar elle avait ses diplômes, mais au jugé, comme ça, à la va-vite, à l’estime, au coude près, j’aurais volontiers parié que oui. Elle avait deux yeux dorés et un joli regard, léger et profond à la fois, comme tous les gens qui ont beaucoup pleuré en douce. Je ne la connaissais pas assez mais j’étais certain qu’elle avait dû en jeter des containers de caisses de paquets de kleenex. Plus que son compte et sans doute seule, dans le noir, après le départ du dernier fumeur. En toute pudeur.
 Elle avait une voix de brume et pourtant elle s’était depuis bien longtemps mise aux blondes et peut-être même à d’autres herbes plus gentilles, de celles qui se fument entre amis, certains soirs après le rhum. 
Contre les douleurs, pour rire. Un peu. Ou pendant. Ou avant… De celles qui consolent après avoir tant pleuré.
 Elle avait fait cent boulots Fleurette, elle avait même été hôtesse sur catamaran, j'aurais gouté avec plaisir à sa cuisine, la meilleure des Caraïbes à ce qu'on entendait dire, mais pour elle c’était facile, ce qui lui plaisait le plus était, quand même, de rendre les autres heureux. Autrement dit, elle avait pas mal navigué, Fleurette. C’est pour ça que ce soir là, qu’elle avait débarqué des pots de confiture bios dans son sac alors qu’elle ne restait même pas dormir :

« C’est pour votre petit déjeuner de demain matin, ce sont mes confitures à moi-même que je fais. Que du bon avec des fruits d'ici. »
Fleurette en bonne maman... Elle avait collé sur les pots, une étiquette avec les fruits, la date de fabrication et son nom, le tout écrit à la main d'une jolie écriture de petite  fille.
 On s’en est léché les babines et on n’a pas attendu le lendemain pour vider les pots. 
Ce qui lui allait le mieux, à Fleurette, c’était le présent, enfin, ce qu’elle était en train de vivre. Elle ne s’attardait pas sur le passé, pas toujours rose, à ce que j’ai vaguement compris, rien que cette histoire d'hôpital où elle avait manqué d'y rester, sortie avec des bouts d'elle en moins, il paraît qu’avec ce qu’on lui avait enlevé on aurait pu en faire une deuxième, elle ne pensait pas à l’avenir, il viendra bien tout seul, sans qu’on s’en préoccupe, disait-elle, alors…
 Alors, elle était gaie d’aménager sa maison sur son ile, à la campagne, de s'échiner à en faire un gîte acceptable et de recevoir ses premiers clients mais elle n’aimait pas trop ce mot là, Fleurette, on avait vite fait quelques chances de devenir son ami. Elle vivait là entourée de cabris, de chats, d’un chien, de sourires, d’alizés et se demandait si elle allait trouver quelqu’un pour lui bricoler une douche et l’aider à refaire la terrasse d'une maison qu’avait tendance à aller voir du coté de la pente qui penche… 
Elle ne se faisait pas de bile, le vent souffle toujours dans le même sens, elle savait qu’elle trouverait en finale, si besoin était, la force de le faire elle-même de ses propres mains.
 Et je la regardais parler, raconter ses malheurs, et surtout ses bonheurs à venir, sans plainte, juste raconter comme ça, pour donner de ses nouvelles, qu’étaient plutôt bonnes en ce moment, en descendant son ti punch, en attendant le deuxième, en scellant, déjà, le sort du troisième…
Bref, si la vie l'avait castagnée dix fois, elle s'était relevée onze, Fleurette.
En l’écoutant, sur le pont de ce bateau au mouillage, dans la nuit tropicale qui s’amenait avec ses habits de paradis, tout en rose et en douceurs cuivrées, dans les odeurs appétissantes d'une langouste en train de griller, je me disais que nous sommes presque tous faits pareils, de petits animaux fragiles, craintifs mais têtus et solides comme des rocs, capable de résister à tout ce que la vie peut proposer de moche, dotés d'une sorte de mignon sourire comme une lance magique, fichus de désarmer une entière armada  d’amers emmerdements… Mais que les femmes l'étaient quand même vachement plus que nous, les hommes, si prompts à chouinasser à la première minuscule écharde enfoncée dans un de nos petits petons si sensibles... Pauvres malheureux que nous étions ! Un rhume et la fin du monde en approche, une douleur et c’est au moins, la mort qui s’amène, un grain de beauté sur le bras et ce sont les mélanomes malins de la Création qui nous tournent autour comme des hyènes malades… Fragiles et vains, les petits bonhommes.
Quoiqu’il en soit, c'est ce soir là que j’avais croisé Fleurette, une crème de femme, le séjour avait été inoubliable, le couchant grandiose, la soirée  magnifique... 
Je m’en souviendrai longtemps de tout ça, je m'étais dit…

4 commentaires:

chri a dit…

D'odile b j'ai reçu:

C'est l'impatience d'attendre la sortie du premier ? ou c'est l'envie furieuse d'en préparer un deuxième ? Apparemment la Galerie de Portraits est en gestation... :-))

"FLEURETTE", c'était tout sauf une mauviette. Une sacrée tête !
"Fleurette" : un portrait qui s'affiche aussitôt après celui de "Tempête"...
Elle m'a fait courir, votre Fleurette. Oui, bien sûr, le nom ramène à : "conter fleurette", mais aussi à... "la crème fleurette" => Fleurette : une crème de femme"...
Ne sachant plus très bien, ce qu'est exactement la crème fleurette, j'ai glané quelques définitions extraites des articles parcourus.

1 - "Autrefois, le terme "fleurette" qualifiait la "fleur" du lait cru, c’est-à-dire la crème qui se formait spontanément à la surface du lait quand on le laissait reposer", un peu comme la "fleur de sel" ( NDLR : ce qui explique l'appétit légendaire des Bretons pour le beurre salé de Guérande... :-))
2 - "La crème fleurette est une crème fluide pasteurisée, obtenue à partir de la crème de lait. À ce titre, elle est naturelle et issue du lait entier de vache. C’est son procédé de fabrication qui la distingue des autres crèmes."
3 - "À la différence de la crème fraîche épaisse, la crème fleurette n’a pas subi de maturation, c’est pourquoi elle est liquide. Elle n’a pas été ensemencée par des ferments lactiques, ni stérilisée, comme les crèmes UHT de longue conservation, d’où sa saveur plus douce."
4 - "Comme les autres crèmes fraîches, la crème fleurette présente l’avantage d’apporter de la vitamine A, dont le rôle est important pour la croissance, la santé de la peau, la résistance aux infections et les processus de détoxication."
5 - "La crème fleurette doit impérativement être conservée au réfrigérateur, avant et après ouverture, en surveillant la date de péremption. Elle doit être très fraîche pour la cuisine. Trop "vieille", elle tourne si on la chauffe."
6 - "On trouve la crème fleurette au rayon frais de tous les supermarchés, en bidon ou en brique."
7 - "Il est facile de la reconnaître : le mot "FLEURETTE" est écrit dessus"

Le plus beau slogan pour Fleurette c'est le Nº 7 :
==> "Pour FLEURETTE, pas besoin d'étiquette : ça lui colle à la peau !"

odile b.

chri a dit…

@ odile b
Merci à vous. Quel plaisir d'être lue par vous, me dit Fleurette.

Slevar a dit…

Je l'ai revue, ça faisait longtemps, à l'occasion d'une escale à MG. Elle va.

Francine a dit…

Nous conter Fleurette de cette façon est un pur bonheur ! Merci pour elle et pour nous...

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