08 mai 2021

Au beurre d'où?

 « Non mais tu t ‘écoutes des fois ? Est ce que tu te rends compte des conneries que tu es capable de me sortir ? J’te jure parfois tu brandis l’pompon, tu décroches la queue, tu fais carton plein ! Je n’arrive pas à croire qu’on soit de la même famille toi et moi. Tu sais je crois que je préfèrerais être sourd que d’entendre de telles bêtises sortir de ta bouche !  Comment ?  Tu m’assures que c’est vrai ? Que ça marche ? Prends moi pour une tanche aussi ! »

Une fois de plus lui et moi on avait commencé à parler gentiment et puis ça c’était gâté. Encore une journée qui ne commençait pas par un vol de gentilles colombes. On était à peine réveillé que ça partait montait dans les tours. Une conversation d'un cochon et d'une pie. C'était tout nous ça. La plupart du temps, on n’arrivait à être d’accord que sur le fait qu’on ne soit jamais d’accord. Ça ne datait pas d’hier, ça avait été toujours comme ça. Du jour où il avait débarqué de la maternité dans son landau, qu’il avait pris toute la place sur la banquette arrière de la voiture, que je m’étais retrouvé collé contre la vitre de la fenêtre arrière et qu’en plus j’avais dû manifester ma joie profonde d’avoir un petit frère. À partir de cet instant, dans la maison, il n’y en avait plus eu que pour lui. Moi je l’avais vu comme une grosse chenille qui braille.  Le pire avait été quand ils l’avaient installée dans ma chambre. Pouvaient pas la prendre avec eux leur larve rougeaude? Pourquoi la collaient-ils dans MA chambre. M’étaient alors venues des envies d’étouffement, des désirs d’ouvrir les fenêtres et de balancer ce truc dehors si possible au moment du passage d’un camion. Mais j’avais su résister et je me l’étais coltinée, jusqu’à maintenant. En vrai, au fond nous passions notre temps à nous engueuler mais si un troisième crétin s'avisait de dire du mal ou même d'en penser d'un de nous deux, l'autre serait le premier à le défendre. 

De là à admettre que mes sentiments anti chenille avaient changé…

Depuis plusieurs jours, il avait le dos en compote. Un mal l’avait saisi quand il avait enfilé sa veste. La rouge, celle en grosse toile à motifs qu’il avait soit disant ramenée du Québec. Ma veste de trappeur du Grand Nord qu’il disait. Tu parles ! Du Grand Nord il n’en connaissait que la gare et encore. Il n’avait jamais mis les pieds là-bas et il était tout à fait incapable de distinguer un orignal d’un écureuil. Lui, trappeur ? Laissez moi rigoler. Ça faisait partie des histoires qu'il racontait pour se rendre un peu intéressant. Pour lui venir en aide, on lui avait donné des adresses d’ostéopathes réputés, mais rien n’y avait fait. Après plusieurs consultations, il restait plié en trois. Et, ma foi, ça ne me faisait pas tant de peine que ça. Alors il s’était démerdé. Et un beau soir il était revenu droit comme un if libéré de ses douleurs, soulagé, souriant. "Mais qu’as-tu fait?" lui avait-on demandé. C’est là qu’il nous a raconté ce qu’on n’a pas voulu croire.

« Figurez vous qu’une amie d’un cousin d’une connaissance de boulot m’a donné une adresse d’un type qui masse avec des bols et du beurre ». 

« Des bols et du beurre? » On avait fait, stupéfaits.

« C’est quoi cette connerie ? »

« Ouais des bols et du beurre clarifié même c’est un truc qui se fait en Inde et au prix que ça coûte, quatre vingt dix balles le massage, on dirait que  tu paies le voyage, je peux te dire. Là-bas ce sont les gamins qui massent leurs parents et grands parents. Il faut que le bol soit composé d’un alliage de cinq métaux différents et ça te plonge dans un état second, les douleurs disparaissent c’est génial, vous devriez essayer vous seriez moins tendus. »

« Fais le malin toi avec ton bol kansu et ton beurre ghee. Tu veux pas jeter un œil dans le frigo steuplé, il doit me rester une demi plaquette, tu la veux en massage ? »

« Vous êtes lourds parfois, vous le savez ça ? »

« Ah oui t’a vraiment pas de bol d’être tombé sur nous… »

« Des massages au bol avec du beurre, n’importe quoi. »

 

Une fois de plus, il avait quitté la pièce en claquant la porte si fort que tout l’immeuble avait tremblé. On l’avait entendu hurler dans les escaliers des trucs très désagréables à notre égard mais on s’en foutait un peu. On l’imaginait sur la table de massage tartiné de beurre indou et ça suffisait à notre plaisir... 


C’était pas très malin mais cette engueulade à fait notre petit déjeuner. Le soir on n'en a pas rajouté. Alors on s'est à nouveau engueulé sous le prétexte qu'on ne se parlait plus de rien sans s'engueuler...






2 commentaires:

Tilia a dit…

Un sans faute, bravo ! C'est tellement bien vu sur les relations entre aîné(e) et cadet, que ça semble être du vécu vrai de vrai. Je sais de quoi je parle, chez nous notre fille et notre fils ont passé leur enfance à se disputer :-(

Quant au bol kansu, dans la page en lien il est bien question d'un alliage de métaux, mais l'auteur parle de cinq métaux et il en cite six : "un alliage de 5 métaux : l'or, le zinc, le cuivre, le bronze, l'argent et l'étain".. Allez comprendre :D

chri a dit…

@ Tilia Bravo et merci pour votre voyance très claire!!!

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