Quitter les Marquises
On a quitté les Marquises avec un goût de trop peu malgré les 4 mois passés. C'est tout juste le temps de se glisser derrière les premiers sourires et de commencer à parler autant qu'à se taire. Tu poses ton ancre au pied de leur montagne, tu foules l'unique allée de leur village, ils savent qui tu es mais ne savent pas encore comment tu es, ils t'observent. Tu dis le mot dont eux seuls savent souffler le h, "kaoha", "bonjour", leurs yeux rient, ils te font signe.
"Tu viens d'où ?". À toi de choisir : est-ce l'île où tu es passé avant celle-ci ?
Ou bien ton pays d'origine ? Tu t'arrangeras pour répondre aux deux.
"Et toi, tu es né ici ? ". Il faut aimer le temps qu'ils prennent à ce petit hochement de tête, le menton un instant suspendu, l'oeil légèrement arrondi, pour dire oui.
Et... et rien. Une phrase derrière ? Un supplément ? Tu devras comprendre que "oui", ici, est déjà une phrase.
Plus tard, après un silence, tu sauras -ou pas- de quelle île est sa femme, où sont ses enfants, l'aîné à Papeete, le cadet au collège, la dernière encore là. Souvent, tu repartiras avec des fruits en se disant à demain. Reviens le lendemain, c'est important.
Pour les mots.
Là, on a encore rien dit. Il faut du temps pour faire une parole. On ira cueillir des goyaves, tu m'aideras, je fais des confitures. À quelle heure on vient ?
Sourire, un blanc, le sourcil comme pointant une planète jusqu'alors inconnue, puis le verdict, "plus tard, le matin, quand tu es prêt". Ici, l'horloge a des rondeurs que les aiguilles caressent en attendant la bonne heure. Mieux que s'immobiliser, je crois bien qu'aux Marquises on a vu le temps mourir. Pas une seconde nous l'avons regretté.
Embrassement fort,
Martial Barriel
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