23 novembre 2008

BUS STOP.

Le bus est arrivé par la Grande avenue, dans mon dos, je ne me suis pas retourné. Je savais qu’elle était à l’intérieur, je savais que c'est ce bus là qu'elle avait pris. Il a grimpé poussivement, puis il s’est arrêté là-haut, à proximité de la Grand place à l’ombre généreuse des platanes. Les portes se sont ouvertes, j'ai entendu d'où j’étais le souffle du piston. Son grand sac de cuir jaune est apparu, je savais qu’elle suivait. C’est sa très longue jambe droite qui a quitté le bus en premier. Elle est descendue… Elle était vêtue d’une robe noire qui lui couvrait les genoux, au joli décolleté arrondi, évasée à partir de la taille à petits motifs blancs. Elle lui donnait une allure de pétale de vent, même dans la lumière poussiéreuse de cette après midi d’été. En vrai elle pouvait porter n'importe quoi, tout lui allait comme une alliance à un annulaire de mariée. Elle portait des sandales presque plates en peau caramel avec un petit noeud sur le dessus dont la ligne laissait apparaitre le début des phalanges... et un foulard léger  de soie beige autour du cou. L'incroyable bleu de ses yeux était caché par des lunettes de soleil. J’ai vu, ou alors j’ai rêvé, les mouches de la place stopper leurs vols, les libellules se mettre en stationnaire, les martinets descendre voir qui était là. J’ai entendu, ou cru entendre les conversations se suspendre aux terrasses des cafés, le bruit des moteurs s'apaiser, les passants ralentir leur démarche. Je sais, j'en suis certain que le temps, lui, a fait une pause. Pour la regarder passer? Les maisons de l'avenue s'écartaient sur ce passage, les balcons se soulevaient et les tuiles des toits bruissaient.
Elle avait coupé ses cheveux noirs et souriait comme une Bernadette devant la grotte. Elle a regardé autour d’elle, puis dans ma direction et là j’ai vu très nettement son sourire s’ouvrir davantage. Malgré la nuit qu’elle venait de passer, elle avait le visage reposé, lumineux, apaisé, serein.
Dire que la veille elle avait bazardé quinze ans en quittant la ville où elle vivait… Elle avait tout envoyé promener et s’était démenée pour trouver un moyen de partir. Elle n’avait écouté aucun de ses amis, aucun des conseils qu’on voulait bien lui donner, elle avait juste décidé de partir et elle l’avait fait. Son boulot ? Aux pelotes? Son chien ? Au refuge? Sa maison ? Aux fraises? Rien ni personne n’aurait pu la retenir : « Tu ne peux pas comprendre, lui, je l’aime… » leur disait-elle. « Il est l’homme de ma vie, il est celui avec lequel je suis devenue femme… » Bien entendu celles à qui elle servait ce plat la regardaient un peu de travers en se demandant pourquoi ce genre de truc lui arrive à elle et pas à moi. Elle avait fini par faire naître beaucoup d’incompréhension, d’inimitié et de jalousie, mais cela n’avait fait que renforcer son désir d’une vie nouvelle avec un homme nouveau. Alors elle avait juste attrapé son grand sac de cuir jaune, elle y avait vite fait balancé une ou deux robes avec les cintres, une ou deux paires de chaussures, quelques livres pris au hasard dans la bibliothèque. Tout le reste, elle l’avait laissé sur place, avec un air de pas mal s’en ficher. On se doutait bien depuis un moment qu’elle n’était pas très préoccupée par l'aspect matériel des choses. C'en était une confirmation éclatante. Et, en même temps, une manière de déménager plutôt agréable. Pas de cartons, pas de meubles encombrants, du léger, du vite fait, du qui se jette. Elle était allée à pied à la gare routière et là, elle avait pris un bus de nuit, lequel avait démarré dès qu’elle avait posé le pied dedans. C'est ce qu'on appelle arriver pile poil à la bonne heure.
Elle a enlevé ses lunettes noires, elle a dû voir que j’étais resté. Sans doute s’est-elle dit que je l’attendais ? Alors, elle a jeté son sac derrière elle, elle s’est mise à courir vers moi dans cette avenue en pente, elle s'est débarrassée de ses ballerines pour aller plus vite encore mais sans se soucier des gravillons qui auraient pu la blesser. Elle a vite été suivie par des grappes entières d’enfants blonds, sortis des maisons à son passage, qui riaient aux éclats.
A ce moment, j’ai eu besoin d’un mouchoir jetable. J'en ai toujours un au fond d'une poche. Je me suis essuyé les yeux, un peu, les deux, puis je suis sorti de la salle avant que le générique se mette à défiler...



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2 commentaires:

yvelinoise a dit…

Joli texte, dans la même veine que le précédent et avec le même bonheur d'écriture.

Est-ce parce qu'il y est question de cinéma qu'une légère faute de raccord s'est glissée entre les sandales à lanières du début et les ballerines de la chute ?

J'adore taquiner les gens, un reste d'enfance qui me colle à la peau ;-)

chri a dit…

@Yvelinoise: La scripte était légèrement saoule... L'accessoiriste? Viré!

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