Que je te raconte Fleurette:
C'est quand elle est sortie de l’hôpital vivante, mais avec des trucs en moins à l'intérieur qu'elle s'était remise à sourire. Ses amis l'appelaient Fleurette parce que ça lui allait bien mais ce n'était pas son vrai prénom. Son vrai prénom, elle voulait bien qu'on s'en serve mais Fleurette, elle aimait bien, aussi. En vrai, elle n'était pas compliquée, elle.
Du moins c’est ce qu’elle nous a dit, à propos de l'hôpital. Pas grand-chose qui pouvait l’entamer cette fille là, même si les coups qu'elle avait reçus de la vie lui laissaient de vilaines marques à l’âme et sur la peau, elle faisait tout son possible pour cacher ces entailles. Elle s’en foutait pas mal de ses cicatrices de pirate, ça ne l’empêchait pas de se baigner à poil. Elle ne cherchait pas à les montrer mais n’empêchait pas qu’on les voit . Alors que d’autres les portaient comme un étendard : Voyez, voyez tout l'monde, comment j’ai souffert atrocement… Elle c’était, pfffuit, on balaie ça d’un geste de la main : l’important c’est d’être là, aujourd’hui, avec vous…
Elle devait bien peser ses quarante kilos, cette plume d’acier trempé. Mais en face d’elle on était comme devant un pack de rugby juste avant l’introduction de la balle et c’est un visage tout en sourires qui l’accueillait. Je ne la connaissais pas assez pour savoir si en pilier de bar elle avait ses diplômes, mais au jugé, comme ça, à la va-vite, à l’estime, au coude près, j’aurais volontiers parié que oui. Elle avait deux yeux dorés et un joli regard, léger et profond à la fois, comme tous les gens qui ont beaucoup pleuré. Je ne la connaissais pas assez mais j’étais certain qu’elle avait dû en jeter des containers de caisses de paquets de kleenex. Plus que son compte et sans doute seule, dans le noir, après le départ du dernier fumeur. En toute pudeur.
Elle avait une voix de brume et pourtant elle s’était depuis bien longtemps mise aux blondes et peut-être même à d’autres herbes plus gentilles, de celles qui se fument entre amis, certains soirs après le rhum. Ou pendant. Ou avant… De celles qui consolent après avoir tant pleuré.
Elle avait fait cent boulots Fleurette, elle avait même été hôtesse sur cata, j'aurais gouté avec plaisir à sa cuisine, la meilleure des Caraibes à ce qu'on entendait dire, mais ce qui lui plaisait le plus était, quand même de rendre les autres contents. Autrement dit, elle avait pas mal navigué, Fleurette. C’est pour ça que ce soir là, qu’elle avait débarqué des pots de confiture bio dans son sac alors qu’elle ne restait même pas dormir :
« C’est pour votre petit déjeuner de demain matin, ce sont mes confitures à moi-même que je fais. Que du bon avec des fruits d'ici. »
Fleurette en bonne maman... Elle avait collé sur les pots, une étiquette avec les fruits, la date de fabrication et son nom, le tout écrit à la main d'une jolie écriture de petite fille. On s’en est léché les babines et on n’a pas attendu le lendemain pour vider les pots. Ce qui lui allait le mieux, à Fleurette, c’était le présent, enfin, ce qu’elle était en train de vivre. Elle ne s’attardait pas sur le passé, pas toujours rose, à ce que j’ai vaguement compris, rien que cette histoire d'hôpital où elle avait manqué d'y rester, sortie avec des bouts d'elle en moins, elle ne pensait pas à l’avenir, il viendra bien tout seul, sans qu’on s’en préoccupe, disait-elle, alors… Alors, elle était gaie d’aménager sa maison sur son ile, à la campagne, de s'échiner à en faire un gîte acceptable et de recevoir ses premiers clients mais elle n’aimait pas trop ce mot là, Fleurette, on avait vite fait quelques chances de devenir son ami. Elle vivait là entourée de cabris, de chats, d’un chien, de sourires, d’alizés et se demandait si elle allait trouver quelqu’un pour lui bricoler une douche et l’aider à refaire la terrasse d'une maison qu’avait tendance à aller voir du coté de la pente qui penche… Elle ne se faisait pas de souci, elle savait qu’elle trouverait en finale, si besoin était, la force de le faire elle-même de ses propres mains. Et je la regardais parler, raconter ses malheurs, ses bonheurs et ses espoirs, sans plainte, juste raconter comme ça, pour donner de ses nouvelles, qu’étaient plutôt bonnes en ce moment, en descendant son ti punch, en attendant le deuxième, en scellant, déjà, le sort du troisième…
Fleurette en bonne maman... Elle avait collé sur les pots, une étiquette avec les fruits, la date de fabrication et son nom, le tout écrit à la main d'une jolie écriture de petite fille. On s’en est léché les babines et on n’a pas attendu le lendemain pour vider les pots. Ce qui lui allait le mieux, à Fleurette, c’était le présent, enfin, ce qu’elle était en train de vivre. Elle ne s’attardait pas sur le passé, pas toujours rose, à ce que j’ai vaguement compris, rien que cette histoire d'hôpital où elle avait manqué d'y rester, sortie avec des bouts d'elle en moins, elle ne pensait pas à l’avenir, il viendra bien tout seul, sans qu’on s’en préoccupe, disait-elle, alors… Alors, elle était gaie d’aménager sa maison sur son ile, à la campagne, de s'échiner à en faire un gîte acceptable et de recevoir ses premiers clients mais elle n’aimait pas trop ce mot là, Fleurette, on avait vite fait quelques chances de devenir son ami. Elle vivait là entourée de cabris, de chats, d’un chien, de sourires, d’alizés et se demandait si elle allait trouver quelqu’un pour lui bricoler une douche et l’aider à refaire la terrasse d'une maison qu’avait tendance à aller voir du coté de la pente qui penche… Elle ne se faisait pas de souci, elle savait qu’elle trouverait en finale, si besoin était, la force de le faire elle-même de ses propres mains. Et je la regardais parler, raconter ses malheurs, ses bonheurs et ses espoirs, sans plainte, juste raconter comme ça, pour donner de ses nouvelles, qu’étaient plutôt bonnes en ce moment, en descendant son ti punch, en attendant le deuxième, en scellant, déjà, le sort du troisième…
Bref, si la vie l'avait castagnée dix fois, elle s'était relevée onze, Fleurette.
En l’écoutant, sur le pont de ce bateau au mouillage, dans la nuit tropicale qui s’amenait avec ses habits de paradis, tout en rose et en douceurs cuivrées, dans les odeurs appétissantes d'une langouste en train de griller, je me disais que nous sommes presque tous faits pareils, de petits animaux fragiles, craintifs mais têtus et solides comme des rocs, capable de résister à tout ce que la vie peut proposer de moche, dotés d'une sorte de mignon sourire comme une lance magique, fichus de désarmer une entière armada d’amers emmerdements… Mais que les femmes l'étaient quand même vachement plus que nous, les hommes, si prompts à chouinasser à la première minuscule écharde enfoncée dans un de nos petits petons si sensibles... Pauvres malheureux que nous étions ! Un rhume et la fin du monde en approche, une douleur et c’est au moins, la mort qui s’amène, un grain de beauté sur le bras et ce sont les mélanomes malins de la Création qui nous tournent autour comme des hyènes malades… Fragiles et vains, les petits bonhommes.
10 commentaires:
heureusement, des Fleurettes, y en a tout plein et puis je connais aussi des Mr Fleurette aussi .. c'est une belle histoire Chriscot, et j'espère qu'elle ne s'arrêtera pas là.
@Véronique:
Il y a, en général, davantage de Fleurette que de Mr Fleurette.
Ben si, elle s'arrête là!
Beau portrait, terriblement vivant.
Les Chriscot cloués sur leur tapis par d'atroces fulgurances dans le dos sont-ils des mauviettes ? J'en doute. Mais certes, nos hommes sont souvent à l'article de la mort dès qu'ils ont une gripette - sans doute n'est-ce que comme ça qu'ils s'autorisent à mériter soins et attentions.
Les hommes sont le plus souvent des petits garçons pleins de peurs et de colères...
Christian Bobin.
Il vous va bien de conter Fleurette !
Le fin du fin de la crème, cette Fleurette !
(dictionnaire : "crème se formant spontanément à la surface du lait" et, de nos jours : " crème fraîche fluide n’ayant subi que le traitement de pasteurisation" ; tout comme la "fleur de sel" que le paludier "cueille", délicatement, en surface, dans la saline.
Sûrement une nature forte, vaillante, spontanément généreuse, Fleurette - et qui, pour autant, ne s'en laisse pas conter... - Mais... au prix de quel travail intérieur, là-dessous, pour être aussi crâne, cacher les cicatrices et ne laisser voir que le bon, le joyeux, et garder encore et encore "l'appétit de vivre" !
A croire que les coups, ça endurcit...
Merci, Chriscot, pour ce beau portrait, bien trempé et bien brossé !
Bonne journée à vous.
Avec tout mon respect Mr Chris vous nous contez fleurette avec beaucoup de poésie..
merci pour votre visite qui m'a je vous l'avoue , procuré un grand plaisir..:o)
Bonne fin de journée a vous..
Tu sais quoi ? Vendredi dernier on appareillait pour aller passer quelques jours au pays de Fleurette. Y avait festival de Blues sur la plage, juste en face du mouillage, celui- là même ....
On vient de rentrer. Fleurette va bien. Ses grands yeux te saluent.
Slev
@Slev: Un beau souvenir c'est un comprimé contre la tristesse... Là, j'ai eu des boites entières...
Et tu sais quoi, je suis content pour vous, en plus!
Conter fleurette, effeuiller la marguerite, courir le guilledou...
les métaphores filent bon train pour arriver à l'heure au quai du coeur.
Pour Fleurette les retards et annulations n'entament pas son désir de continuer le voyage, quoi qu'il advienne.
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