J’avais
remarqué son étal l’automne dernier. Et pas seulement parce que je la trouvais
jolie mais surtout parce qu'elle l'était.
Elle
vendait des objets de décoration pour la maison, des trucs un peu anglais comme
on en trouve pas mal par ici pour ces gens qui ont de jolies maisons très
brittaniquement babiolées. Dans l'esprit de Béatrix et pas d'Harry: Des petits
lapins blancs folâtrant dans les pluvieux cottages et verdoyants, mais sans la sauce
provençale, c'est à dire bleu lavande, cigales olives et tapenade, et pas comme
le commerce de certains autres où tout venait de Chine...
Ce
qu'elle proposait, elle, était plutôt dans le registre élégant et raffiné. Pas mal de tissus, aussi, de la même veine. Nappes et dessus de lits.
Le
dimanche matin, dans le coin, c’est LE marché. Comme dans pas mal d’endroits. Ici,
c’est celui de l’Isle, le plus couru de la région surtout par tout ce qui ne
parle pas français… Un peu à cause de l'endroit, pas mal à cause des
antiquaires. Il faut bien les meubler, les jolis mas retapés. J’y vais chaque dimanche, faire mon tour. Soit à pieds quand il fait beau et que je n’ai pas la flemme, soit
en moto, en cas de grand soleil et de paresse, soit en bagnole s’il vente ou
s'il pleut. Enfin, quelle que soit la météo, j’y vais. Un genre de messe. Je ne
communie pas toujours mais j’y suis. Je ne prie pas à chaque fois mais on
m’y voit. Une fois là, je me débrouillais pour passer plusieurs fois devant son
stand pas seulement pour ce qu’elle vendait. Aussi et surtout parce qu’elle
était drôlement jolie. C’est ainsi qu’on avait passé l’automne ensemble,
elle et moi. A ne se voir qu’une fois par semaine, à ne pas nous parler mais
comme ça on ne risquait pas l’excès de fréquentation, comme ça on avait peu de
chance de se mésentendre. Je crois même que je ne lui ai jamais rien acheté.
Heureusement qu’elle ne comptait pas sur moi pour vivre. Et puis, vers
Novembre, je ne l’ai plus vue. Je l’ai cherchée deux ou trois marchés mais
sans la trouver. Je me suis dit qu’elle avait changé d’endroit, de
métier, peut-être qu’elle s’était mise à la colle avec un gentil client et que
le dimanche elle restait, maintenant, sagement (hum...) au chaud du lit avec
son nouvel amoureux ?
Et
puis, vers le début Décembre elle a réapparu. Elle portait sur la tête des
turbans de toutes couleurs, très joliment arrangés au-dessus de ses manteaux
d’hiver à l’élégance raffinée. Des turbans ou des chapeaux, ou des casquettes
ou des bérets, cela dépendait des dimanches. Elle n’avait jamais la tête nue…
Un matin de la mi janvier, je me suis approché plus près des son étalage. J’ai
vu que ses sourcils aussi avaient foutu le camp. Et je me suis dit que rien
n’aurait pu cacher ses cernes, les deux noirs, qu’elle avait sous ses yeux
magnifiques et verts, qui creusaient son visage comme deux rigoles tristes.
Elle avait l’air défait et las. Et même ce qu’elle vendait semblait plus terne.
Après, pendant de longues semaines, je ne l’ai plus revue. Au moins tout l’été. Je
l’ai cherchée dans toutes les ruelles, il arrive que les forains n’aient pas
toujours le même emplacement. J’ai cherché son étal, si je voyais ses objets,
si je la voyais, elle. Mais non, rien pendant des mois. Je n’ai pas voulu
penser au pire mais en écrivant cela, c’est bien le signe que j’y ai songé…
À chaque dimanche, je faisais deux ou trois tours de ville pour tenter de mettre
les yeux sur ses anges de pierre, ses bouquets de lavande, ses nappes mais
envolés les anges, fanées les lavandes, pliées les nappes… Je savais désormais
pourquoi j’allais faire un tour de marché le dimanche: Revoir la si jolie
vendeuse d’anges, celle aux deux beaux yeux verts et aux turbans de couleurs
qui cachent une vilaine calvitie de chimio.
Hier,
donc, je tournais dans les ruelles. Ce que j’ai aperçu en premier c’était ses
angelots. Mon cœur a accéléré d’un coup. Elle me tournait le dos, elle avait le
buste penché dans des cartons. Je me suis approché de son étal. Elle s’est
relevée et s’est tournée, elle avait la tête nue. D’extraordinaires et
merveilleux cheveux bruns très courts, presque ras encadraient son visage
lumineux et agrandissaient davantage les deux perles vertes au milieu.
Au-dessus d'elles, des sourcils superbes pour les surligner...
Je
me suis arrêté net, un trait de larmes a manqué jaillir des petits miens. Je ne
crois pas que, de ma vie, un début de chevelure de femme ne m’ait procuré autant de
bonheur. J’étais bouleversé.
Nous
nous serions connus, j'aurais couru vers elle les bras tendus. Je l'aurais
embrassée et serrée et nous aurions tourné longtemps en nous regardant les yeux
dans les yeux, tout à nous, pleinement vivants, dans la douce tiédeur de ce
dimanche matin d'automne ensoleillé.
Elle,
elle aurait ri, mais ri… jusqu'aux éclats. D'un rire d'ange...
5 commentaires:
Un texte très émouvant.
@ Bonheur du Jour Votre commentaire fait le mien!!!
Ce qui me fait revenir ici ? Ta manière d'écrire et d'entrer dans la vie, de plain-pied. Peu m'importe de savoir si c'est inventé ou non, je marche . Je marche attendant la bascule du texte qui va me faire vivre une émotion. Si vous pensez que c'est facile de le faire avec des mots, alors, allez-y, les amis.
Non, ici, ce n'est jamais de la retape, c'est du juste. Le juste à côté de ce que l'on attend et qui surprend. Merci pour ton talent d'écrivain.
Amitiés.
Roger
@ Roger Oh Merci beaucoup Roger...
Très émouvant.
Mais la prochaine fois, il faudra lui parler, promis ?
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