Pour Les impromptus littéraires de la semaine: Le point de départ, une image de carrelet...
J’étais si entamé que je n’ai même pas été surpris quand j’ai entendu une voix, c'était une voix de femme s'adresser à moi, j'étais seul, pour me dire :
J’étais si entamé que je n’ai même pas été surpris quand j’ai entendu une voix, c'était une voix de femme s'adresser à moi, j'étais seul, pour me dire :
Sais-tu à quoi ils servent vraiment ?
Je me suis à peine tourné vers l’endroit d’où j’ai pensé qu’elle venait.
Il faut dire qu’on avait fêté la fin des vacances dignement, comme ça se
méritait. On avait bu autant que ça nous coûtait de devoir partir d’ici, c’est
dire.
Un moment j’avais eu besoin de faire une pause, de marquer le pas,
d’interrompre la descente, de prendre l’air. J’avais attrapé une bouteille
d’eau minérale et j’étais monté sur la digue où se trouvait le carrelet.
J’étais venu m’asseoir sur les marches branlantes en bois. Le soleil n’était pas encore couché, pour
l’instant il s’occupait de foutre le feu à la bande de nuages qui barrait
l’horizon, je m’étais dit bêtement ben dis donc, là-bas en Amérique, vont avoir
un sacré coup de chaud… J’ai prévenu, j’avais bu pas mal, je ne m’attendais
donc à rien de malin venant de moi-même. J’entendais les bruits de la fête, les
éclats de rire et de verres, le son d’une basse lancinante, les cris des
enfants, les gens qui chantaient faux à tue-tête et j’étais bien. Heureux de
voir le spectacle flambant du jour finissant et de l’île en feu et bien de n’être pas loin d’une fête et de ses
flonflons.
C’est là que j’ai entendu :
Sais-tu à quoi ils servent vraiment ?
Je me suis surpris à répondre : Ben oui, à pêcher ! Cette
bêtise. Elle a repris, insistante :
En as-tu déjà vu en service ?
Là j’ai réfléchi quelques secondes et effectivement, je n’en avais
jamais vu fonctionner. Ils avaient toujours été là, le filet bien en l’air
accroché, secoué par les rafales quand il soufflait d’Ouest…
Mais j’étais entré en conversation avec une voix.
Dites vous êtes où ? Montrez vous, quoi.
Peu importe qui je suis, où je suis, je suis là et je vais te confier un
secret à toi seul je vais t’apprendre à quoi servent vraiment les carrelets…
Heureusement que j’étais assis parce qu’en plus j’étais sur le cul.
Elle a continué m’interrompant :
Regarde les bien, ils disent que c’est pour la pêche, de temps en temps
ils font semblant de s’en servir comme ça, mais en vrai, ces immenses filets
servent à attraper et retenir dans les brumes apportées par les marées les
murmures du grand large et ces rumeurs disent les prénoms des marins morts en
mer.
Viens, les jours de brume, viens à marée montante, viens écouter ce que
le large a à nous dire, viens avec nous, entendre la mémoire des morts…
Je suis resté silencieux. J’étais soufflé, puis je suis retourné à la
fête. Si je n’ai rien dit à personne, en revanche, je me suis dit qu’il fallait
vraiment que j’arrête de lever le coude pour ce soir, que j’avais franchi la
fameuse ligne.
Le lendemain, en prenant la route du retour, une hachette plantée dans
le front, j’ai regardé comme jamais leur long alignement des carrelets relevés, aux
grands filets vides, comme des sentinelles attentives, aux oreilles résolument tournées vers le large...
6 commentaires:
Il faut toujours écouter les petites voix, même celles qui sortent des brumes alcoolisées ! Surtout quand elles sont aussi poétiques
Ce texte me fait penser à Roger Dautais dans son travail de mémoire si sensible
Tu as le don de noyer le poisson quand même !
@ M oh... Touché... Si je noie le poisson c'est peut être parce qu'ainsi il ne risque pas grand chose...:-)
Il est très bon ce texte, mais je préfère le début à la fin ;-)
Ce genre de pensées morbides ça me fait penser à "La tour d'amour" un roman de Marguerite Eymery, plus connue en tant que Rachilde, son nom de plume. Vous l'avez peut-être déjà lu...
@ Tilia Non, je n'ai pas lu cet auteur... Mais je l'ai noté!
Se souvenir des morts peut être un moment joyeux, aussi...
Mais si, il faut continuer à boire. Le résultat est si joli... :)
@ Pastelle: Alors, si j'ai votre aval...
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