___ C’est quoi ton p'tit nom qu’a fait l’caporal qu’enregistrait les arrivées.
___ Heu, Grenier M’sieur pourquoi ?
___ C’est Caporal qu’on dit mon gars, caporal, retiens bien ça !
Si j’te d’mande c’est pour savoir mon gars, pour savoir, et surtout pour avoir un nom à graver sur la plaque que
t’auras au cou jusqu’à ta mort, pardine. Grenier avec un r à la fin ?
___ Ben oui M’sieur.
___ Caporal, j’t’ai dit d’dire. Dis donc mon garçon, t’es tête en l’air
toi, remarque c’est rien que du normal pour un grenier.
Et les autres autour de s’esclaffer.
C’est qu’il n’en menait pas large avec ses dix huit ans tout juste le
petit père Grenier….
Il avait à peine débarqué du train comme les milliers d’autres qui
accouraient de toutes les régions de France. Pas plus que les autres il ne
savait ce qui l’attendait. S’ils l’avaient su, tous, au lieu de venir le
sourire aux lèvres et la fleur à la boutonnière, ils auraient fait demi-tour et
foutu le camp à grandes enjambées.
C’est qu’on était au début d’Août quatorze, ils avaient laissé
derrière eux les champs à moissonner et pensaient bien être de retour pour
engranger le foin ou battre les blés. Ils étaient partis en pleurant sous les
sourires dès que l’affiche avait été placardée dans les villages, dès que les Gardes
Champêtres avait fait leurs annonces sur les places accompagnés de roulements
de tambour approximatifs. Et puis, ils étaient venus dans cette région dont ils
ignoraient tout, même l’existence.
Alors, ils avaient souffert et s’étaient battus. Pour les plus
chanceux, ils avaient survécu dans le froid, la boue, les rats, la peur, le bruit, la faim, les bombes, les
charges, les hurlements, les gaz, le sang, la merde et la mort… Pour la plupart, ils
avaient l’habitude de se battre, ils savaient affronter plus forts qu’eux mais
c’était contre les éléments, le vent, la pluie, le chaud, le gel, les insectes, des ennemis connus...
Alors, Grenier s’était battu autant que les autres. Il avait fait ce
qu’on lui demandait en essayant de rester vivant.
Ça n’avait pas suffi. En Décembre quinze, un obus en avait décidé
autrement.
Il ne retournerait jamais dans sa ferme. Il pourrirait là, en morceaux
épars, dans cette tranchée perdue.
C’était la trop courte vie de Grenier, Jean Baptiste, dix huit ans mort dispersé,
en lambeaux par un obus de soixante seize, engagé dans un canon de l’autre côté
des tranchées par un gosse de deux ans son aîné…
Grenier, un nom comme des centaines de milliers d’autres, gravé sur une pierre au centre du village, un nom auquel on ne prête plus aucune attention, un nom que finalement, plus personne ne lit...
Ils sont tout à fait morts ceux dont on ne lit plus les noms.
Grenier, un nom comme des centaines de milliers d’autres, gravé sur une pierre au centre du village, un nom auquel on ne prête plus aucune attention, un nom que finalement, plus personne ne lit...
Ils sont tout à fait morts ceux dont on ne lit plus les noms.
Soldats au repos dans une tranchée...
4 commentaires:
Percutant! Pour un impromptu c'en est un de grande valeur!
@ M Merci!!!
J'arrive toujours avec un métro de retard...
Pour sûr, la vie de Grenier, c'était pas une vie d'château !... :(
Le père de mon beau-père, affecté en 14-18 au rôle de vaguemestre entre les tranchées, avait dû, pour échapper à une violente rafale d'obus, se coucher par terre avec son vélo en attendant qu'ça passe... Il en était ressorti vivant, mais dans l'affaire, en une journée, ses cheveux étaient passés du brun au blanc... au point que, une fois son casque enlevé, les gars qui l'attendaient avec impatience pour les nouvelles eurent du mal à le reconnaître... Blanc de peur !!!... :((
@ Odile Pourquoi un métro de retard? Du moment que vous venez!
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