Ils y sont arrivés en fin
de matinée, ils ont garé la voiture dans la pente de l’étroit chemin, ils ont
fermé les portes et vérifié qu’elle ne gênait pas, puis ils sont descendus vers
la rivière. Ils n’avaient pris qu’une grande serviette de bain et le peu qu’ils
avaient acheté pour un rapide pique nique. Il faut dire qu’ils n’arrivaient
plus à manger depuis un ou deux jours. Depuis qu’ils savaient tous les deux qu’à
chaque minute ils s’approchaient du moment de leur séparation.
Il faisait une chaleur de
juillet, dans le sud. L’air était de plomb, les cigales s’en donnaient à cœur
joie, le chemin était pour l’instant désert mais il ne tarderait pas à être
envahi, le coin était prisé paraît-il. Le chemin caillouteux descendait vers
une rivière pas très large, trois pas d’homme
pressé, mais d’un vert amande et d’une transparence étonnante. Elle était aussi
fraîche qu’une rivière peut l’être même au cœur d’un été de feu. Elle courait
vivement guidée par des rives accueillantes et ombragées. On venait ici pour se
tremper, pour s’ensiester gentiment sur ses berges de mousse douce, pour
s’alléger du poids de la chaleur accablante qui faisait vibrer le ciel. On
venait ici pour oublier les ennuis du moment, comme pour renouveler ses écailles, faire peau neuve.
Les deux qui venaient de
garer la petite voiture rouge, ceux qui, maintenant, marchaient au plein milieu
du chemin étaient silencieux. À dire vrai, ils étaient partagés entre le
bonheur et la tristesse ce qui n’est pas si facile à vivre. Le bonheur d’être
encore ensemble, pour quelques heures, la tristesse de devoir se séparer à la
fin du jour. Ils voulaient cependant profiter de leur après-midi. Pleinement,
entièrement, absolument mais quelque chose leur disait qu’ils n’y arriveraient
pas. Ils n’avaient pas tort, malgré la fraîcheur de l’eau, malgré les caresses assidues du courant, malgré la beauté de l’endroit, ils étaient déjà dans l’après. Dans l’un
sans l’autre qui se profilait sombrement. Et ça leur était insupportable. Au fond, ils savaient que cette
séparation n’était pas pour quelques jours, ni même quelques mois. Ils avaient
compris qu’elle serait définitive et que leur fragile union ne survivrait pas
au retour à la « vraie » vie. Ils se donnaient encore la main mais
comme des naufragés s’accrochent à des bouées qu’ils savaient crevées.
Et puis, le soir venant,
l’ombre des saules s’épaississant, il a fallu remonter le chemin. Ils sont
arrivés près du rouge de la voiture.
Une vitre arrière avait été
brisée, leurs sacs de voyage qui étaient restés dans le coffre avaient disparu.
Ils étaient au bout de leur route. Nus.
Leurs deux vies étaient
comme la vitre arrière de la voiture : brisée, éparpillée en dix mille
morceaux.
Alors de peur, de colère de
tristesse et de dégoût, elle s’est laissée prendre par de longs sanglots en
refusant l’enveloppe de ses bras.