Dimanche 29 décembre 2013. Massif des
Alpes.
Le type casqué de rouge qui, en passant sur une pierre, vient, imperceptiblement de vaciller puis de perdre
l’équilibre, tout en douceur, presque au
ralenti a, dans sa vie, passé plus de
temps au-delà de trois cent kilomètres heures que tous les types skiant sur
cette piste bleue plutôt facile d’une
station en vogue.
Il était là, debout, il glissait gentiment dans la pente, il s’était à
peine aperçu qu’il n’avait pas suivi le lit de la piste, qu’il était entre deux
bras de celle-ci, au beau milieu d’un champ de rochers sur une portion qui
n’était pas aménagée. On ne pouvait cependant pas parler vraiment de hors piste
cela aurait été très exagéré. C’était un entre deux. Ce que sa vie allait
devenir. Il attendait que les amis avec qui il skiait le rejoignent. L’un
d’entre eux avait eu un ennui avec une de ses fixations au moment d’attaquer la
descente, juste à la sortie des oeufs. Rien de grave, il avait réparé sur
place. Le temps était beau ce jour là sur les Alpes, la neige en abondance, les
pistes bien damées, c’est qu’on avait mis le paquet pour les vacanciers de
Noël, la fin de l’année s’amenait à
grands pas, on était à deux jours du changement. Dans cette station huppée
française, comme dans tout le pays, on avait la tête à la préparation de la
fête de fin d’année.
Le type casqué ne regardait pas devant lui à l’instant où c’est
arrivé, il regardait vers le haut pour savoir si ses amis arrivaient enfin. Il
ne vit qu’à la dernière seconde le rocher là droit devant lui. Il a bien tenté
de l’éviter mais en essayant, il a perdu l’équilibre. Là, il tombait.
Ce gars là c’était un immense champion du pilotage automobile, c’est à
dire que sa vie à lui était d’enfoncer son corps dans un minuscule espace au
beau milieu d’un engin redoutable et qu’il roulait, les fesses par terre, au
beau milieu d’une horde d’autres fous furieux comme lui, à des centimètres les
uns des autres, à plus de trois cent kilomètres heures sur des circuits fermés
pour arriver le premier après un certain nombre de tours. Ils étaient assis
tous autant qu’ils étaient dans un dragon de métal d’une énergie phénoménale.
Ils se frôlaient, parfois se touchaient, ils passait à des millimètres des murs
d’enceinte, chevauchaient des vibreurs,
arrivaient à trois de front dans des virages en épingles, se dépassaient
jusqu’à la prochaine fois. C’était un de
ces gars qui savent ce que danger veut dire. Un sentiment qu’aucun autre
qu’eux ne pouvait avoir. Il fallait faire partie de la confrérie pour savoir.
N’importe lequel d’entre nous ne pourrait dompter ces engins plus de dix
secondes tant leur puissance et leur impatience étaient grandes. Il fallait
être de la famille, du lot, il fallait avoir fait ça depuis tout jeune. Le type
casqué en train de tomber à douze images secondes en était une de ses plus
grandes pointures. On ne comptait plus les courses qu’il avait gagnées. Désormais, depuis qu’il avait
arrêté à cause de l’âge, entier, sans trop de dégâts physiques, il partageait
son temps entre la Suisse où il avait une maison et le monde où il était chez
lui. Il profitait. Il vivait à soixante, soixante dix. Comme tout le monde, il
skiait à Noël, se baignait en Juillet, se montrait sur tous les circuits où il
jouissait encore d’une aura méritée.
Dans la chute, sa tête venait de frapper le rocher devant lui, sur le
casque une caméra pour se filmer, comme tout le monde. Elle a explosé sur la
pierre et sa tête avec. C’était fait, en heurtant le roc, le pilote venait de
basculer dans le monde de ceux qui n’avancent plus, dans celui de ceux qui sont
immobiles, en attente. Lui qui, toute sa vie, avait traqué le moindre dixième
de seconde entrait dans le monde de ceux pour qui le temps s’arrête, entre deux
eaux, entre deux états : plus vraiment vivant, pas encore mort. Pour lui,
désormais, le temps avait disparu. Il n’existait plus que pour ses amis et
proches.
Pour combien de temps ?
8 commentaires:
Une chute qui a mis fin à sa carrière, c'est évident.
Du coup son souvenir s'estompe dans la mémoire de bien des gens.
Pourtant il est bien vivant, mais aussi, bien diminué...
L'ironie de son sort ressort bien de votre récit.
@ Tilia Merci, Tilia. C'est un tel drame cet accident. Et combien d'autres familles sont touchées ainsi?
Une histoire tellement triste... Très émouvante ta manière de la raconter.
@ Pastelle Je suis bien d'accord sur la tristesse de l'affaire! Merci à toi! Tous mes vœux pour toi et ceux que tu aimes.
bien bel hommage à un gars qui avait "tout" et puis ... à croire que l'adage... mais bonne et heureuse année à vous !
Doume
@ Doume! Merci à vous Doume! Belle année à vous aussi
En effet, qui sait, pour combien de temps cet entre deux peut durer ?
Touts mes vœux pour cette année 2018 :paix amour et sérénité
@ Brigitte Merci à toi! Tous mes voeux aussi en retour, belle année à venir.
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