20 janvier 2018

Une photo.

L’image, un format carré qu'il a rencontré au hasard d'une errance sur la toile, est une photo dans l’esprit de ce qui se fait beaucoup de nos jours, un de ces égotiques selfies. Du reste ce doit en être un. On ne voit que leurs deux têtes et un peu des épaules, très près des bords du cadre avec une tranche de blanc, surexposé, au-dessus. Lui, il est à droite, c’est à dire qu’en vrai, il est à sa gauche. Il porte sur son nez des lunettes de soleil qui semblent être de la marque Dolce Gabana avec un cordon noir pour ne pas les perdre. (Ceinture ET bretelles ?). Il a des cheveux plutôt courts coiffés en brosse, dressés au dessus du front comme une petite barrière, sur les joues, un vague cordon de barbe taillée de près, d’une densité légère avec les prémices, sur les tempes et le menton, de quelques poils blancs marquant l'avancée du temps. Il est vêtu chaudement d'une veste polaire au col relevé sans doute de la marque canadienne Arc'teryx spécialisée dans les vêtements chauds pour traileurs. Il porte peut-être, un sac à dos, en effet, sur son épaule gauche on voit ce qui pourrait être une anse de sac Lafuma puisqu'on on aperçoit en bas de l’image un « a » suivi de la feuille de peuplier, reconnaissable de la marque. Les deux si proches sont à l’extérieur, il ne doit pas faire chaud, enfin, ils ne sont visiblement pas à la plage, plus surement à la montagne, enfin c'est en hiver que l'image a été figée. De lui, on voit son profil gauche puisqu’à l’instant du déclic, il tourne la tête vers elle et joint ses deux lèvres en tordant la bouche pour un baiser qu’il dépose sur sa lèvre supérieure. Le contact de sa bouche à lui se fait à cet endroit précis. Leurs têtes se touchent puisque son front à elle fait remonter les verres de ses lunettes à lui, elle les soulève un peu de son nez. Derrière le sombre de ses lunettes, on ne peut pas distinguer qui il regarde, lui. L'objectif ou son visage à elle. Elle, elle porte un chapeau ou bonnet en polaire noire, on ne voit que son oeil gauche qui fixe l’objectif comme si c’était elle qui décidait du déclic.
C’est un œil sombre, elle les avait marrons or. Au coin de cet oeil, quelques jolies rides de celles qui se font remarquer quand les yeux sourient. Elles ne sont pas trop marquées, comme si le temps lui avait fichu la paix. On peut penser que c’est elle qui prend l’image. Elle porte à son oreille droite une boucle d’oreille en or qui représente une goutte stylisée et, juste au-dessus, un point comme une fine perle. Un foulard noir, peut-être de soie, avec des motifs blancs entoure et protège son cou.
Elle sourit au moment où il l’embrasse. Un sourire qu'il aurait reconnu entre six mille. Il illuminait encore ses jours sombres, égayait ses matins lourds, et éclairait ses idées les plus noires. Il l'avait encore quelque part dans une boite chez lui malgré trois déménagements. C'était le sourire à la tartine de confiture  dans laquelle elle croquait à pleine bouche, un matin d'été dans un refuge des Alpes... Là, elle sourit comme quelqu’un d’heureux. En le voyant, il se dit comme elle semble joyeuse, comme elle à l’air heureuse à cet instant cette femme embrassée par cet homme. Comme il sait un peu par où elle était passée, ce qu’elle avait vécu, ce que furent la plupart de toutes ces dernières années, son sourire se partage, il est dans l’empathie de ce sourire, il se dit: Enfin, elle sourit à nouveau. Il est heureux pour elle.


Le matin où, au détour d'un clic, il est tombé dessus, par hasard, (tu parles), cet éclatant sourire lui a proprement lacéré le cœur. C’est un sourire dont il se souvenait intensément, qu'il n'a jamais réussi à oublier, même après tout ce temps... 
Elle, toute entière à ce sourire, se souvenait-elle, seulement, de lui, ou au moins de son prénom?





4 commentaires:

odile b. a dit…

Qui peut nier la puissance évocatrice d'une photo, d'un portrait ? 
Elle peut être, effectivement, évocatrice et chargée de bons ou de mauvais souvenirs, au point qu'on la cajole, ou que, inversement, on ne peut plus, on ne veut plus la voir... Elle a ce don pervers de figer un instant fugace pour l'éternité. Quel pouvoir enjôleur, ravageur ou calamiteux !
Autrefois, les grands portraits apprêtés de nos aïeux encadrés au mur, de chaque côté de la cheminée, en faisaient des momies auréolées de mystères insondables...  Aujourd'hui, les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics, au bout d'une perche oblique, en s'inventant maladroitement des contorsions acrobatiques, ne sont plus ni pathétiques, ni sympathiques.
Votre analyse décortiquée des selfies est parfaite dans tous ses détails. Bravo !

Tilia a dit…

Si le temps exerce durement ses ravages sur nos pauvres organismes, en revanche il a tendance a embellir nos meilleurs souvenirs.

J'espère que vous êtes rémunéré pour cette belle page de publicité ;-)
Sinon, pourquoi citer les noms des marques ?...

chri a dit…

@ Odile Merci.

@ Tilia Rémuné quoi? Si vous saviez combien chaque citation me rapporte vous seriez étonnée. :-)

chri a dit…

@ Tilia Et puis c'était une description que j'ai voulue très... précise!

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