04 mai 2019

Aime (Portraits de femmes 12)

Un sourire à redonner foi dans l’homme. Un port de tête de première dauphine qui aurait fait oublier toutes ses rivales, un corps de danseuse, une élégance naturelle, la vraie, celle de la sortie de sommeil. Un regard d’une intensité rare. Il lui permettait de tout voir surtout ce qui ne se voyait pas. Elle était ce qu’on appelle une femme magnifique, naturelle. Il était si facile de tomber amoureux d’elle. Il y a des gens comme ça, qu’on croise en sachant qu’ils vont nous marquer à vie. Une de celles qui irradient leur éclatante beauté, qui embellit ceux qui l’approchent et qui rendent grandiloquent. Tout ce qui vient d’elles grandit. Et qui ne le savent pas, voire n’en sont pas persuadées et même en doutent. Ce qui les rend encore davantage attirantes. Comment leur dire ?
Avant même de le savoir il était tombé. Les deux genoux dans la poussière et son cœur battant, hors de sa poitrine, pendu à un malheureux fil de laine ténu. 
Du reste, s’était-il jamais vraiment relevé ? Si l’on cherchait bien, n’est-il pas toujours resté là-bas, empoussiéré, plié en deux, la tête baissée, les deux genoux endoloris par les gravillons et la posture, son cœur saignant à gros bouillons ? À peine l’avait-il vue qu’il n’avait rien gagné mais déjà tout perdu. Il n’a pas compris  ce qui lui arrivait. Ça lui a dégringolé sur la tête, les épaules et le reste, ça lui a brouillé la cervelle et les sentiments, ça lui a provoqué des émotions telluriques, ça lui a retourné le cœur. Avec le Nord, il a perdu l’Est et l’Ouest, sa boussole s’est mise à danser la gigue. Elle ne lui avait encore rien demandé qu’il lui avait tout donné. Elle n’avait envoyé aucun signe, elle n’avait fait aucun geste et il se retrouvait en pleine jungle, isolé, perdu. Il l’avait vue, il n’avait échangé que quelques mots avec elle, un bonjour, deux bonsoirs, trois pardons, ils s’étaient un peu souri, ils étaient restés à distance mais, pour lui, ça avait suffi. Désormais, il était lié à elle et pour longtemps en plus. Comme il n’y a rien de définitif sur cette terre il ne pouvait pas se servir de toujours alors, maintenant encore, après toutes ces années passées, il écrivait : longtemps.
Un bouleversement comme ça dans une vie entière on n’en connaissait pas quatre, il avait vécu ces instants si douloureusement éblouissants, il avait connu ces heures qui, à ses côtés passaient comme des secondes, il avait su ce temps si variable : d’une longueur infinie sur un quai de gare à son attente, d’une brièveté inouïe quand ils étaient en présence l’un de l’autre. Se souvenait encore de leurs ballades nocturnes dans la ville en lumières, des concerts de musique où il ne regardait qu’elle, de ces visites d’exposition où c’était elle l’œuvre exposée. Comme il filait vite, le temps. Sa seule présence semblait l’accélérer. Il avait su les regards lourds, intimidants, illuminant chargés de reproches ou de caresses ceux qui rendent beaux n’importe quelle laideur, il avait su le tendre des mots prononcés à qui mieux mieux, cette mièvrance merveilleuse d’une douceur de plume. Il avait encore en lui le souvenir de sa main à elle juste posée sur son avant-bras à lui et l’exacte pression de ses doigts sur deux centimètres carrés de sa peau. Qu’il pouvait lire comme un aveugle déchiffre un alphabet. Il avait recherché longtemps, sans jamais réussir à la retrouver la pression, de cette main qu’elle abandonnait par exemple quand ils étaient en voiture, avant de traverser une rue, dans le noir d’une salle de cinéma ou sur une table de restaurant.
Et puis son regard, son regard. Si profond de ses deux yeux caramels avec des éclats d’or comme le dessus d’une crème brûlée, comme un foyer de braises incandescentes. Ce regard si rieur et si triste à la fois, si incertain de lui-même et si déterminé. Ce regard qu’elle plantait en vous comme pour vous regarder l’intérieur de l’âme et tenter de savoir ce que vous tentiez de dissimuler dedans ?
Et puis son sourire à désarmer un bataillon de sanguinaires, à faire fondre une armée de cœurs d’acier, à adoucir une tempête dans le Grand Sud. Il avait souhaité à tout le monde de provoquer, un jour, une fois, un tel sourire.
Ce qu’il lui restait d’elle à part l’endroit où il vivait désormais à deux battements d’aile de rouge gorge d’où il était venu la rejoindre une première fois, c’était l’image d’une photo sur laquelle on la voyait elle en gros plan qui, un matin d’été, quelque part en montagne s’apprête à dévorer une tartine d’un pain de campagne, grande comme un court de tennis avec un champ de confiture de groseilles rouge sur le dessus. Elle semble être toute entière à cet engloutissement, toute entière au plaisir qui va surgir, qui est déjà là à l’idée de la tartine et de tout ce qui l’entoure. 
Un matin, l’été, la montagne, un refuge, un bol de thé fumant, une tartine, les gens avec elle. 
Le temps, pour cette fois suspendu.



3 commentaires:

Tilia a dit…

Merci pour cette sublimation du féminin.
Merci aussi pour l'"élégance naturelle, la vraie, celle de la sortie de sommeil" qui a failli me faire éclater de rire en pensant à mon allure quand je me lève péniblement du lit :-)

chri a dit…

@ Tilia Ah c'est un vrai critère, ça! Merci de votre lecture.

chri a dit…

Jacqueline Oustalniol a écrit:
À ce moment là l’échelle de Richter à tutoyé le 9 et de sournoises répliques se manifestent encore...

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