27 septembre 2019

C'était un dimanche

C’était un dimanche. 
En début d’après midi. Paul s'est extrait du canapé, il a saisi la laisse pendue dans l’entrée, il a hurlé dans la maison à qui pouvait l’entendre : Je vais faire pisser le chien! Personne n’a répondu : Elle, elle était encore dans la cuisine à se démener avec la vaisselle sale, les beaux parents étaient devant la télévision et des ristrettos allongés, les autres, les enfants, étaient remontés dans leurs chambres et devaient se remplir les cervelles de vide en échangeant des bêtises essentielles avec leurs frérots sur un réseau quelconque ou bien ils perdaient leurs heures, consoles en mains en perpétrant sans haine mais avec énergie un joli massacre virtuel. Le matin, après le petit déjeuner que chacun avait pris de son côté et à des moments différents, il avait amené l’ainé au sport et la fille à son cours de danse. Elle, elle était restée trainer. C’était un dimanche bien comme les autres. Au réveil elle l’avait cherché des doigts avec une main qu’elle avait tendue vers lui, elle lui avait caressé l’épaule, il s’était éloigné et lui avait marmonné dans son sommeil: "Pas envie, dormir encore." 
Elle en était resté là. De ça aussi il n'avait plus envie.
Dès qu’il a attrapé la laisse en corde, le chien avait levé une oreille, remué la queue, lancé un waf joyeux puis il était sorti du panier où il dormait et  s’était mis à tourner autour de son maître en aboyant maintenant avec frénésie. Paul a attrapé son portefeuille, l'a mis dans sa poche arrière, il a ouvert la porte et ils sont sortis. La vue de la laisse avait fait venir l’envie.
Le mistral qui avait soufflé comme un damné ces jours derniers avait calé en fin de matinée et tout dans le coin s’était apaisé comme suspendu. La température était encore douce en cette fin de Septembre et le ciel avait chaviré au grand bleu. Là bas vers l'est il restait encore des nuages noirs qui s'évacuaient lentement. Quelques flaques dans la rue disait aussi la pluie battante des derniers jours. Hier, elle lui avait proposé d’aller passer la journée à la mer qui n'était pas si loin : Il fait beau, on pourra se baigner une dernière fois avant l’automne elle avait dit. Il avait décliné: "Il va y  avoir un monde fou et on va s’emmerder pour revenir, non, non on bouge pas et puis tes parents viennent à midi comme d’habitude, non ?"
Il n’arrivait plus à avoir envie de bouger, de se remuer, de plus grand chose. 
Alors pendant l’entrainement du grand, il était allé chercher un poulet grillé au marché du matin. Il ne l’avait pas pris fermier, ils ne pouvaient plus, ils étaient obligés de faire attention, de surveiller les dépenses, de se restreindre. C’est que deux ans sans boulot avec les traites de la baraque qui leur tombaient régulièrement sur les épaules et tout le reste. Et tout le reste. Les réserves étaient comme eux deux, écrasés.
Le chien connaissait la balade par cœur. Il est sorti du lotissement aux maisons mitoyennes toutes semblables, il a pris le chemin de petits galets ronds qui descendait le long de la rivière en promenant sa truffe à ras du sol comme une tête d’aspirateur mais  en surveillant de temps en temps s’il était suivi. Il l’était. À la hauteur du lit presque partout asséché, tout excité, il a filé droit dans une flaque de flotte brunâtre et s’est couché dans le frais de tout son long. 
Au moins un qui se sera baigné ce dimanche a pensé Paul.  Après une centaine de mètres ils ont rejoint la voie ferrée de la ligne  T G V qui traversait le pays. Ils l’ont longée sur une bonne centaine de mètres. Lui sur les pierres, l’autre à ses affaires allait et venait, farfouillait dans les herbes hautes, les arbustes et la végétation encore dense à cet endroit. Un premier train s’est annoncé en soufflant. Il venait du pont qui passe au-dessus du lit principal et fonçait vers le sud. Les pierres du chemin vibraient, l’air a été bousculé par le souffle du monstre. À son passage le bruit insoutenable. Le chien était venu s’allonger aux pieds de Paul dès qu’il avait perçu l’arrivée des premières voitures. La voie n’était qu’à une dizaine de mètres. Puis le silence. Au dessus d’eux des vols en v de migrateurs commençaient à descendre en suivant le cours. Eux aussi fichent le camp  a pensé Paul. Ils ont repris leur marche. 
Après quelques minutes, ça l'a envahi d’un coup comme une paire de mains serrées sur sa gorge. Rentrer, la fin d'après midi, la pétanque d'après sieste, la belote d'après pétanque, les minutes qui viennent, l'ennui, la fatigue, l'épuisement? Insupportables. 
Alors, il a cherché un arbuste un peu plus gros que les autres, avec la laisse il a attaché le chien au tronc. Il a sorti un crayon qu'il avait toujours dans sa poche, un ticket de caisse de son portefeuille il a griffonné quelques mots sur le blanc qui restait du ticket, il l’a roulé et glissé sous le collier du chien, il lui a flatté les flancs, il a saisi son museau à deux mains et l’a embrassé en pleurant. Il s’est dirigé vers la voie ferrée. Un autre train s’annonçait…
On a ramassé des lambeaux de lui à deux cent mètres de l'impact ont dit les gendarmes. 
Sur le petit mot retrouvé sous le collier il avait juste écrit cette phrase:

"Pardon à tous pour toute la merde que je fous."


4 commentaires:

M a dit…

Faut pas longtemps pour comprendre que le rire ou le sourire n'ont pas beaucoup de place ici... J'ai dressé l'oreille (pour le sourire...)à "personne n'a répondu" et tout était plié à "vaisselle sale"
La dernière phrase apporte un peu de jaune acide
Félicitations pour décrire si bien la lucidité désespérée

chri a dit…

@ M Merci

Brigitte a dit…

Oh piouf ...que d'émotions …

Belle semaine

chri a dit…

@ Brigitte Comme moi...

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