04 septembre 2019

La chapelle aux deux platanes

Dans tout le quartier elle était connue comme la chapelle aux deux platanes. 
J’ai eu beau tourner longtemps autour d'elle, je m’en suis éloigné, j'y suis revenu pour tenter de trouver le deuxième platane, je n’ai jamais pu mettre les yeux dessus. Et pour cause. Il n’en restait plus qu’un qui se dressait à droite de l'entrée mais j'ai su qu'à l’origine il y en avait bien deux.
C’est un homme qui faisait l'herbe à la faux devant la chapelle, un vigneron du coin qui m’a raconté l’histoire.
Quand on eût fini de bâtir la chapelle, quelqu’un a dit ce serait bien qu’on plante deux arbres devant l’entrée comme ça les jours de fête et lors des grandes chaleurs en sortant des offices, on pourrait rester sous leurs ombres à parler, à nous en raconter un peu et quand leur feuillage sera dense, quand ils auront grandi on pourra même y dresser des tables et partager un repas ou deux avec tous ceux du quartier. Bonne idée se sont-ils enthousiasmés et aussitôt dit aussitôt fait. Ils se sont réunis, ils ont organisé une grande fête et ils ont planté deux platanes vigoureux de part et d’autre de l’entrée. Et, ils ont attendu. En ces temps là, ils savaient attendre. C’est presque ce qu’ils faisaient le mieux. Attendre les premiers froids de Novembre pour tailler les vignes, attendre que la terre dégèle pour sarcler les rangées, attendre que le beau revienne pour la première taille, attendre que les grains mûrissent pour les vendanges, attendre que le vent ait fini de souffler pour brûler les sarments, attendre que la mouche vienne pour traiter, attendre que l’hiver finisse pour se réjouir du printemps, attendre, attendre, attendre. Que ce soit le bon moment, la belle heure, la meilleure minute. Les pressés, les énervés, les impatients on ne les prisait guère par ici. On préférait ceux qui prenaient le temps de faire les choses comme elles doivent être faites au moment où on doit s’y mettre. Et ça pouvait être à un jour près.
Il était arrivé tout ce qui avait été prévu. Les deux platanes avaient grandi ensemble, après quelques années ils avaient mêlés leurs branches hautes puis leurs feuilles. Ils ne faisaient plus alors qu’un seul et immense toit d’ombre sous lequel des repas de fête avaient été partagés. On y avait dansé certaines longues soirées de Juin, on y avait grimpé, les enfants surtout. On s’y était embrassé sur les premières branches basses protégés des regards et des indiscrets. On s'y était même aimé quand les autres n'y étaient plus. Ces deux platanes faisaient partie de l’endroit au point qu'on l'avait nommé: La chapelle aux deux platanes et que c'est ainsi qu'il était connu de tous.
Et puis l’un des deux arbres avait attrapé la maladie. On avait tout tenté pour le sauver mais on n’avait pas réussi. Pour qu'il ne contamine pas l'autre, pour qu'il ne menace pas de tomber sur la chapelle, il avait fallu l’abattre et le débiter en malheureuses tranches qu’on avait brulées à la va vite. Un jour noir.
Désormais, il ne restait plus qu’un arbre. Seul. Et quand on regardait la chapelle en arrivant de Pernes on ne voyait que l'absent. Mais c'était souvent le cas quand quelqu'un disparait. On ne voit que celui qui n'est plus là.
Voilà, vous savez tout m’a-t-il dit.
Mais s’il n’en reste qu’un pourquoi parle-t-on encore de La chapelle  aux DEUX platanes? 
Après un silence, enme regardant doit dans les yeux et en détachant les mots, il m'a dit :
Monsieur, tant qu’on évoque nos morts, ils ne le sont pas tout à fait. Je vous souhaite le bon soir.


2 commentaires:

M a dit…

Oui Monsieur ! C'est ce que je me disais tout au long de la promenade dans vos mots, il en va des arbres comme de la vie. Faire des projets, les mettre en œuvre, en prendre soin, les chérir de nos actes et quand leur terme arrive, continuer de les porter dans nos cœurs. Si par hasard ou par erreur, ou par bifurcation ils se modifient en mieux voire en moins bien, ils n'en restent pas moins des souffles de vie...

chri a dit…

@ M:
M, oui, M :-)

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