03 septembre 2019

D'origine incontrôlée

Je venais d’entrer chez mon épicier préféré. 
Nous étions en fin d’après midi et je n’avais rien à manger pour le soir. 
Après une balade en moto dans quelques uns des plus beaux coins du coin,  j'étais allé me poser face aux dentelles derrière lesquelles à cette période le soleil se couchait, je m'étais assis face à l'incendie qui s'annonçait, j'avais pris le temps comme si nous étions deux puis, j’avais fini mon tour par chez lui. Elle, elle y était déjà, une cinquantaine insignifiante, fringuée banalement, un jean, un pull, rien à redire. Un peu exaltée, m'a-t-il semblé, mais rien ne présageait de ce qui allait suivre. Croiser des dingues en ville c'était comme rencontrer des vaches à la campagne... Elle avait rempli son cabas, rangé sa monnaie et elle s’apprêtait à partir. Comme, à part moi, personne ne la pressait elle s’était mise à blaguer avec le vendeur. Blaguer, ici c’est parler et c’est la deuxième utilité des courses. C’est aussi pour parler qu’on va les faire.
À la première phrase entendue, j’ai su que ça allait, comme on dit, déraper. Mais je ne savais pas encore à quel point…
J’ai attrapé au vol les derniers mots: 
___ Ah ben non, moi, je veux qu’il me ramène une blanche…
J’ai fait mine dans mon crâne de penser à la bière, à la salade, à une baguette peu cuite mais non ce n’était pas de ça qu’elle parlait… C’était de son fils… Et de ce qu’il pourrait éventuellement lui « ramener » à elle, comme belle fille.
Et oui, oui si c’est à ça que vous venez de penser, vous n’avez pas eu tort. C’était ça qu’elle vomissait en toute tranquillité, devant tout le monde et fortement. Bienvenue en Provence… Et puis, comme une digue qui lâche, elle a poursuivi :
___  Le mieux ce serait une du Nord, elles sont costaudes et travailleuses, mais une italienne ou une espagnole oui, je serais d’accord, elles sont un peu comme nous autres, mais pas une arabe, ni une noire et je ne suis pas raciste. Ah ça non je n’ai rien contre les autres mais je veux qu’elle soit blanche et il le sait. Il est bien au courant. Une arabe je ne pourrais jamais avoir confiance et une noire on serait trop différents, alors il a intérêt à se trouver une gentilles petite blanche de chez nous… Et je ne suis pas raciste, ils ont le droit de se marier mais entre eux, qu’elles touchent pas à mon fils…
J’étais anéanti et je regardais le commerçant qui entendait ce torrent abject.
À la fin de son tsunami de boue, elle s’est tourné vers moi, elle m’a regardé en s’adressant à moi et elle m’a interrogé: N’est-ce pas Monsieur ?
J’ai levé la herse. En faisant demi-tour, je lui ai dit :
Oh lal la ! On ne se connaît pas, vous ne me parlez pas, vous ne me demandez rien à moi, Madame. 
Et aux autres dans le magasin :
Au revoir messieurs dames, pour moi, ce soir, ce sera pois chiches.

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