19 mars 2020

Rouleaux de printemps

Alors, nous était venu cet affreux printemps…
Ça avait commencé bien loin d’ici et comme nous étions nous, au début ça nous avait plutôt amusé. Pour tout dire, on s’était bien moqué. Une grande puissance économique assez agressive mise genou à terre par un truc pas même visible à l’œil nu, c’est qu’ici on aimait bien les histoires du petit qui met une volée au gros, de David et Goliath. Et puis on disait aussi avec toutes les merdes qu’ils nous envoient par cargos entiers cette fois ils prennent une bonne droite dans leurs usines, ça va les calmer un peu. Et puis au fil de semaines, au fur et à mesure que le truc s’approchait de nous nos sarcasmes baissaient. On rigolait de moins en moins. Quand ça a frappé à notre porte, chez nos voisins là on a fait la grimace. Il était trop tard c’était sur notre palier.
Un sinistre jour, il a fallu nous enfermer chez nous pendant que d’autres en premières lignes se battaient comme des beaux diables pour tenter de lutter contre la contagion et pour nous débarrasser de cette saloperie.
Comme nous étions nous, nous avons eu un peu de mal à comprendre: C’est pas un virus qui va m’empêcher de boire une bière avec mes potes, on est en quart on est en quart etc. On faisait les malins, on en riait, on relevait le menton comme de vrais beaux cons que nous étions. 
Au début, ça ne s’est pas passé tout à fait bien. Nous avons donné le moins bon de ce que nous sommes, nous avons montré ce que la crainte peut provoquer chez nous et ce fut, comme toujours le contraire de ce qu’il convient de faire: Il y eut de l’égoïsme, du chacun pour soi, de l’imbécile, du crétin fini, nous avons vu des bagarres dans les supermarchés à propos de denrées alimentaires,  on s’y est battu  pour des denrées qui ne manquaient pas, on s’y est arraché des mains des choses qui étaient à profusion. Au lieu de rester chez eux cloitrés,  nous avions vu ceux qui avaient la chance d’avoir une baraque ailleurs s’y précipiter et ainsi prendre le risque d’étendre la propagation du virus. Pendant que certains luttaient pieds à pieds avec la saleté d’autres se prenaient de petites vacances…
Puis, on s’est mis à avoir peur, vraiment peur et le pire poison que ce virus nous avait injecté ce fut la méfiance des autres. La méfiance et la suspicion. Partout est venu le temps du soupçon. Chacun soupçonnait tout le monde et partout. Chacun avait l’œil en coin, les mains dans les gants sur les freins. Les masques sur les visages. L’autre était devenu une menace. Finies les accolades, finies les poignées de mains franches et solides, finis les baisers dans les cous, finies les caresses bienveillantes, les mains sur épaules, les tendresses dans les dos, finies les paumes posées sur les genoux voisins dans les cinémas, du reste fini le cinéma, le théâtre, les concerts toutes ces choses que l’on faisait ensemble. Nous étions redevenus de petits animaux craintifs, apeurés, sur leurs gardes. Ce que quelques années plutôt une bande de fous furieux armés jusqu’aux dents n’avait pas réussi en tirant sur des amis qui dessinaient, une particule truc microscopique était en train de le faire. Nous nous terrions.
Comme des taupes. Les terrasses pour lesquelles nous nous étions levés s’étaient désormais vidées avec l’interdiction de mettre notre petit museau dehors. Nous nous étions souvent demandé mais quel monde va-t-on leur laisser. Maintenant nous commencions à en avoir une petite idée et le moins qu'on puisse dire c'est que ça n'était pas brillant brillant... Comme à chaque fois en temps de crise grave le misérable et le sublime s'étaient cotoyés. On avait été capable du pire et du meilleur. Le laid et le beau s'étaient livrés une belle bataille.
Ce qui était certain c'est qu'un virus riquiqui était en train de nous donner une sacrée foutue leçon. Nous avions du temps devant nous pour nous poser des questions auxquelles nous aurions des réponses vraies à donner : Où étaient ils maintenant les premiers de cordée jadis vénérés ?  À qui servait-il maintenant tout cet argent versé dans les start-ups aux dépens des lieux de soins? Dans quel monde avions nous accepté de vivre ? De tout cela nous aurons à reparler quand nous pourrons sortir à nouveau. Il faudra que les choses changent. Vraiment. Et surtout, il faudra bien que ceux qui nous auront sauvés soient enfin reconnus à leur JUSTE mérite. Nous devrons veiller à redistribuer les valeurs. Nous nous étions perdus nous devrons nous retrouver.
Cependant, dans toute cette tragédie qui avait fait pas mal de casse dans tous les domaines, il y avait une chose qui avait étonné. Aucun chercheur, aucun sociologue n'avait d'abord  été en mesure d’expliquer ce que les gens avaient bien pu faire avec les tonnes de rouleaux de papier toilette qu'ils avaient entassées. On avait longtemps cherché à expliquer ces réactions. On avait même constaté avec tristesse après la sortie de crise les faillites des entreprises qui les fabriquaient. Forcément, plus personne n'en achetait.

Et puis, finalement, un beau jour, cinq ans environ après la première Grande Pandémie, on avait fini par comprendre ce qui avait poussé les gens à se ruer sur les rouleaux avant le Grand Confinement.


8 commentaires:

Pastelle a dit…

Parfait du texte. Depuis le vague regard amusé et lointain du début jusqu'à la peur actuelle et au n'importe quoi au niveau des achats, tout y est...

Pastelle a dit…

Parfait "ton" texte, scuses.

chri a dit…

@Pastelle Merci merci.

chri a dit…

Je cherche un meilleur titre, celui là ne me palit pas...

Tilia a dit…

Les rouleaux de PQ, ça peut servir pour occuper les enfants, suffit d'avoir des crayons et de la peinture pour faire de jolies choses avec.

Le texte est parfait. Pour le titre, je propose "Rouleaux de Printemps" (plat chinois ;-))

Allez, bon courage, on finira bien par voir le bout du tunnel (pas celui du rouleau, hein ! j'espère :-))

chri a dit…

@ Tilia Ah oui, merci pour le titre, je l'aime bien! Bravo. Tous mes voeux pour vous aussi, abritez vous bien!

Nathalie H.D. a dit…

"Dans quel monde avions nous accepté de vivre ? De tout cela nous aurons à reparler quand nous pourrons sortir à nouveau. Il faudra que les choses changent. Vraiment. Et surtout, il faudra bien que ceux qui nous auront sauvés soient enfin reconnus à leur JUSTE mérite. Nous devrons veiller à redistribuer les valeurs."
Pas de souci, Macron adressera aux hospitaliers un message de reconnaissance éternelle. Ca fera l'affaire, non ?

Quand aux rouleaux, voilà :
2040 :Théo finit le dernier rouleau de papier toilette acheté par ses parents en 2020.
Bises
N

chri a dit…

@Nathalie H.D. J'ai peur que ce soit surtout grâce à son esprit brillamment visionnaire, à ses décisions fantastiques et à son extraodinaire sens de l'état que la crise aura été surmontée du moins... dans sa tête à lui.

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