Les deux premières qu’on a aperçues c’est en pleine ville, dans un de ces nombreux squares de quartier que comptait la capitale qu’elles sont apparues. C’est un cantonnier, enfin on ne disait plus cantonnier, (on disait maintenant A.M.E.S : agent de maintenance d’extérieures surfaces) qui les a débusquées. Il ne les avait jamais remarquées jusque là mais comme elles étaient un peu cachées par les deux grands tilleuls de l’entrée Nord. Il les a trouvées tellement étonnantes, tellement belles qu’il les a coupées, ramenées chez lui et offertes à son épouse. Il n’aurait pas dû.
Comme il ne connaissait pas cette variété, à dire vrai il n’en avait jamais vu de pareille, après les avoir mises dans un vase, posé sur la commode de la salle à manger du petit deux pièces où ils vivaient, ils ont longtemps cherché sur le net s’il les trouvait ou au moins une de leurs sœurs, voire une de leurs cousines. Rien, ils n’ont pas réussi ni à mettre un nom dessus, ni à identifier le groupe auquel les rattacher. Elles n’étaient pas répertoriées ? Une variété nouvelle ? Impossible, s’était-il dit. Et pourtant, il en connaissait un rayon c’était même sa passion, il avait suivi et terminé des études assez poussées dans le domaine. Il était même devenu dans le petit milieu des spécialistes une voix qui compte mais le chômage étranglant, il avait fini par passer un petit concours de la fonction publique pour encore travailler dans la branche. Malgré une concurrence féroce, les bacs plus six jouaient où ils pouvaient pour pouvoir gagner leurs vies. Il avait été reçu brillamment dans les deux ou trois premiers et ainsi il avait pu choisir son secteur d’intervention. C’est pour cette raison qu’il avait atterri dans ce square précisément. Près de la Fac de sciences où il ne désespérait pas encore de reprendre ses études.
C’est le lendemain que ça a commencé à aller moins bien.
Avant de s’endormir frustré de n’avoir pas pu identifier ses deux fleurs du square dans leur vase, il avait eu l’idée d’appeler un vieil ami qui, lui avait passé le concours pour être A.M.I.S (Agent de Maintenance d’Intérieures Surfaces). Ce qui signifiait qu’il travaillait dans les bureaux. Il en avait fait plusieurs images qu’il lui avait envoyées par mail et après quelques heures d’attente, la réponse était tombée : Désolé mais connais pas. Variété inconnue d’ici. On continue de chercher mais on n’a jamais vu ces fleurs là. Elles n’ont jamais été vues. Il avait découvert une fleur inconnue.
Il n’aurait pas dû, ce qu’il ne savait pas c’est qu’il n’était pas le seul à en avoir coupé. À quelques jours d’intervalles, on en avait retrouvé dans à peu près tous les squares de la ville, pire, dans tous les parcs des villes aux mêmes conditions climatiques. Au début en avaient été fait un peu partout de jolis bouquets…
Les deux premiers morts dans leur appartement deux jours après. Leur famille s’en est rendue compte parce qu’ils ne répondaient plus à leurs appels. On a mis longtemps à comprendre ce qui était arrivé. On les avait trouvé allongés sur leur lit. Il n’y avait aucune trace de violence nulle part ni dans la chambre ni sur leurs corps. Pourtant, le légiste a conclu étouffement. Leurs poumons s’étaient comme effondrés sur eux mêmes. Tous s’étaient souvenus avec horreur de cette pandémie terrible qu’ils avaient traversée voilà cinq ans et qui avait fauché par milliers dans le monde entier, dézinguant à tout va surtout parmi les vieux et le personnel soignant. Ils n’en menaient pas large. Voilà que ça recommence se disait-ils. Ça va être le tour de qui maintenant?
Seulement, cette fois ce n’était pas un virus vraisemblablement véhiculé par une chauve souris qui l’aurait hérité elle même d’un pangolin mal cuit, mais la cause en était ces satanées fleurs inconnues et on avait vite compris leur manière d’agir. Dans une pièce fermée, elles en absorbaient tout l’oxygène et se fanaient en répandant dans l’air de particules toxiques extrêmement légères qui s’insinuaient par les gaines d’aération dans tous les étages supérieurs des immeubles où elles avaient été mises en vase. Puis elles se répandaient en ville et retombaient vers le sol où elles finissaient par mourir, elles aussi. Après avoir été obligé de se méfier des animaux, il faudrait désormais surveiller les fleurs et sans doute les plantes, voire les arbres. Certains commençaient à répandre des théories fumeuses qui laissaient à penser à une vengeance de la nature. Une sorte de grand darwinisme général qui éliminerait les plus faibles. Une sorte de rêve absolu de patron libéral. Et comme la première fois, à croire qu'on n'avait rien appris, rien retenu des épisodes précédents que tout était reparti comme avant, pendant que les vieux mouraient encore seuls par centaines dans les EPAHD, les fans de Cochise eux dansaient dans les caves en tapant sur leurs tambours, les Grands Adorateurs de Marie s'agenouillaient dans les hyper aux rayons brocolis, les dingues de Pluton s'aspergeaient de tisane au gingembre avant de sortir...
Ce qui était acquis c’est que c’est bien la connerie qui était la plus partagée et la plus contagieuse.
Ce qui était acquis c’est que c’est bien la connerie qui était la plus partagée et la plus contagieuse.
Comme s’il ne suffisait pas que les gens tombent comme des mouches.
Ah oui, on guettait également avec une crainte fébrile l'apparition des premières mouches.
2 commentaires:
Glup, restons zen mais surveillons quand même nos orchidées, les pangolins et autres zèbres - ah, et les mouches aussi. Les abeilles c'est pas la peine, y'en a plus.
Nathalie H.D.
Oui, surveillons, surveillons!!!
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