J’avais
fini de travailler un peu plus tôt que d’habitude. Je faisais partie des trop rares qui avaient encore gardé le leur.
Une
journée éprouvante pour les nerfs comme pas mal d'autres surtout depuis le
début de cette crise qui, décidément n'en finissait pas de frapper à grand
coups de poings et toujours sur les plus faibles d'entre nous. L'avidité, la
cupidité, la rapacité de ceux qui s'étaient enfermés à double tour dans la
salle des commandes, nous avaient conduit là où nous en étions et pour les
déloger de là-haut, il allait falloir s'employer. Eux continuaient d'amasser
pendant qu'en bas, les pays étaient à cris et à larmes.
J’étais
sorti et avant de monter dans ma bagnole, j’avais levé les yeux au ciel. Pas un
nuage. Un immense à plat bleu. Aucune contrariété aucun empêchement. Un vertige
de paix et d'illusion. La dépression qui nous avait arrosé toute la nuit avait
laissé sur les trottoirs des flaques grandes comme le Lac de Genève. Pour avoir
plu, il avait plu. Une mer verticale comme disait l’autre. La terre d’ordinaire
si sèche semblait gorgée d’eau comme une éponge sale et des torrents de boues
maintenant séchées traversaient les avenues en pente. On entendait partout
chanter les rigoles d’évacuation les plaques d’égouts étaient soulevées et en
passant sur les ponts, on jetait un œil à toute cette terre liquide qui
lentement dévalait. Il en était tombé une bien bonne.
Et
puis, au matin, la pluie avait cessé net, le vent s’était levé. Il avait
soufflé toute la matinée comme une balayeuse géante. Imprévisible, il avait
callé. Comme il était venu ? D’un coup. Comme une promesse de menteur.
Les
températures mises à mal pendant l’épisode pluvieux avaient, alors regrimpé en
flèche. Il faisait doux. Le chaud s’était amené par les épaules et avait
enroulé toute la nuque, puis il était descendu le long du dos, s’était
appesanti sur les lombaires qu’il avait longuement enveloppées. Cette sensation
très agréable d’une chaleur qui apaise. Je l’ai retrouvée dans l’habitacle
chauffé à blanc depuis le matin.
J’avais
roulé pendant quelques kilomètres et j’étais allé m’installer à la terrasse
d’un café plein Ouest inondée de ce soleil déclinant d’automne qu’on avait cru
définitivement perdu. Fin Octobre, dans le pays c’était la bascule. Finies les
longues soirées ensoleillées, l'autre là, le chaud se couchait de plus en plus
vite, comme s’il se mettait à craindre le froid des débuts de soirée. Un beau
matin, nous le savions tous, nous allions nous réveiller et ce serait l’hiver.
Mordant, vif et pinçant. Terne, gris et gelant. En cette fin d’après midi là,
il n’y avait pas grand monde dans les rues, personne, en tous les cas pour
marcher vite les épaules courbées. Non, les gens avançaient en
lenteur et se regardaient puis se saluaient d’un geste, d’un sourire. Ils se
disaient, en se parlant même sans se connaître : Il en a fait une belle de
chavane cette nuit vous avez entendu ça ? Ils se parlaient de
la pluie et du beau temps vite revenu. Il était difficile de penser que la
majorité d'entre eux en pinçaient pour l'exclusion et le rejet, et pourtant...
Deux chiens en liberté se baladaient, un la truffe joyeuse courait après
l'autre le cul accueillant. La pharmacienne en blouse blanche, un arrosoir à la
main s'occupait de ses deux bacs dans lesquels tentaient de pousser de
malingres cyprès. Avec ce qu'il était tombé cette nuit, elle allait tout
simplement les noyer. D'une fenêtre pendait une couette à grosses fleurs mauves.
On peut dormir encore avec ça au-dessus? Un gamin revenait de la boulangerie
une chocolatine à la bouche. Personne ne la lui avait arrachée. Deux touristes
à la peau rose en habits d'été suivaient chacun une grosse glace à trois boules
vertes et roses. Certainement des anglais.
J’avais
commandé un truc à boire, frais de préférence. Un thé glacé sans sucre. Je
vieillissais, sans doute. J’avais acheté le journal et je l'ai parcouru en
entier. De la première à la dernière page. De Charybde en Scylla. J’avais
tout lu des nouvelles qui venaient d’ailleurs, qui disaient toutes
ces furieuses folies meurtrières et ces violences et ces acharnements et ces
drames et ces catastrophes et cette souffrance, partout aux dix coins de la
planète… À part cette place, il n'y avait guère d'endroit qui soit un peu
paisible, sans la menace d'aucune bombe, d'aucun attentat, d'aucune répression
sanglante.
Alors
que des larmes me montaient aux yeux, alors que mon cœur commençait à se serrer
dans l'étroit de sa poitrine, au souffle, désormais, plus court, j’ai replié le
journal et masqué ses désespérantes nouvelles. D’une des fenêtres grandes
ouvertes de la placette les premières notes de la chanson d’un vieux groupe de
rock français, me sont
parvenues… Ils tentaient un retour...
Ici, dans ce village, à l'abri et à leur insu, tous ceux qui passaient sur la place se sont mis à rêver avec eux.
Quant à moi, j'étais putain partant.
Ici, dans ce village, à l'abri et à leur insu, tous ceux qui passaient sur la place se sont mis à rêver avec eux.
Quant à moi, j'étais putain partant.
8 commentaires:
Est-ce à dire qu'il devient de plus en plus difficile de rêver ?
@ M Heu... Oui un peu, je trouve...
Les choses étant ce qu'elles sont, on peut seulement rêver du jour où la musique, ou l'art en général, remplacera la religion.
Sans le joug des religions du livre, le monde se porterait mieux, les gens seraient plus libres, et donc plus heureux...
@ Tilia L'art doit beaucoup aux religions... Mais l'idée d'un monde sans elles est une idée séduisante!
La musique, le rêve, l'évasion...
Par la porte ou par la fenêtre, il nous faut RÊ-VER... C'est VI-TAL !
"Les rêves fournissent la nourriture de l'âme" nous a enseigné Saint-Ex.
Pendant cinq semaines, à cheval entre novembre et décembre, bravant la poisse, la grisaille et le froid, suivre le sillage des grues cendrées, m'a dessaoulée du marasme ambiant.
Arrivés en masse de la Scandinavie et des Pays Baltes, ces grands oiseaux migrateurs font une pause dans les Landes de Gascogne depuis début octobre pour... "hiverner" (plus de 15 000 adultes et petits de l'année sur la Réserve Naturelle d'Arjuzanx***). Les grues cendrées repartiront fin février / début mars regagner leur pays pour la nidification.
Spectacle extraordinaire et impressionnant, matin et soir, que ces grands vols en V, avec force "Gru-Gru-Gru" tonitruants, qui nous laissent au sol, petits humains, bouche bée, les yeux au ciel, vacillant sur nos courtes pattes... Léonard de Vinci nous avait prévenus : "Dès lors que vous aurez goûté au vol, vous marcherez à jamais sur terre les yeux levés vers le ciel" (et... tant pis pour le torticolis !).
Les kilomètres de photos, vont me rassasier pour un an et conserver intacte, l'envie d'aller les retrouver... là-bas ou ailleurs.
***
http://www.reserve-arjuzanx.fr/
http://www.parc-landes-de-gascogne.fr/content/download/2226/16641/file/BROCHURE%20GRUES%202017-2018.pdf
http://www.oiseaux.net/oiseaux/photos/grue.cendree.3.html
http://www.oiseaux.net/oiseaux/grue.cendree.html
PS
J'ai rattrapé le retard et dégusté le petit matin sur la Sorgue.
@ Odile A chaque fois que vous venez et dites, c'est un bonheur Odile...
Merci d'être passée. Belle année à vous.
C'est bien joliment décrit Odile ,merci pour ce court voyage au pays des grues cendrées.
Le rêve quel qu'il soit fait partie intégrante de la vie ... Enfin, je rêve toujours d'un monde meilleur .
Bonne fin de dimanche et belle semaine
@ Brigitte Merci à vous! Mes vœux en retour.
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