L’autre jour, à la fontaine de Saint
Didier, quand je suis arrivé venant de Venasque (je venais bien de là, je ne
l’ai pas écrit pour faire sourire) en sueur, il y avait un type qui
s’aspergeait. En posant ma bicyclette contre les pierres, j’ai vu qu’il avait
le même âge que moi, à peu de choses près et très vite, on est allé au cœur des
choses. Surtout lui! Ce qu’on appelle une sympathie de mollets? En deux temps,
trois ablutions il m’a presque tout raconté de sa vie. Et ceci cela, si je fais
une sortie par jour de cent bornes, c’est pour ne plus rester à la maison tu
comprends, oui, il me tutoyait sans me connaître, tu comprends, ma femme, elle
m’emmerde! Elle est chiante, alors comme ça pendant les quatre heures où je
roule, je ne l’entends pas et quand je
rentre, la sieste est légitimée, je vais dormir deux heures et ça m'assure six
heures de paix dans une journée! Six heures plus huit de nuit, je peux tenir.
Ça fait vingt cinq ans qu’elle me pourrit la vie, elle a commencé au tout
début, dès notre rencontre, j'aurais dû me méfier, mais tu sais ce que
c'est, on se pense très fort, on croit qu'on va les changer… etc etc
Tout ça semblait lui faire un bien fou et
je me voyais déjà lui demander une petite centaine d'euros pour la
consultation. Chic! Voilà une balade qui pourrait me rapporter gros que je me
disais, pendant qu'il se soulageait le cœur.
C’est là qu’il m’a demandé tout à trac: Et
toi? Du côté de l’amour? T'en es où?
Ah! Parce que toi, là, tu viens de me
parler d’amour? J’ai pensé, mais je ne lui ai rien dit, son quotidien avait
l’air d'être assez douloureux comme ça. Je n’ai une vocation ni d’huile, ni de brasier. Sa question
m’a laissé sans voix. Comme il m’avait tout déballé de sa vie, je me
sentais un tantinet redevable. Alors, après un temps, des mots me sont
venus:
Oh! Moi, du côté de l’amour, c’est un peu
compliqué... Ça c’était pour gagner du temps. J’ai continué: mon ambition elle
se rétrécit de jour en jour! Mais je ne renonce pas! Je vis seul mais je me verrais
bien me mettre à la colle avec une gentille hôtesse de l’air qui aurait encore
quelques pays à découvrir. Mais peut-être pas vivre avec elle, je n’en ai plus
la force. Ça fait tellement longtemps que ça ne m’est pas arrivé de vivre avec
un humain que je ne crois plus en être capable! Je tolère à peine les pies qui jacassent dans le jardin! Je verrais bien une camaraderie amoureuse, voyez? Enfin, tu vois? Comme
je me connais, je finirai évidemment par tomber amoureux et je serai, bien sûr très triste le jour où
nous nous quitterons, mais bon. J’espère le moins possible. Enfin je veux dire
que j’espère être le moins triste possible, le jour où il me faudra dégager du
paysage. J’aimerais, si ce n’est pas trop demander qu’elle soit encore jolie,
je préfère côtoyer les jolies femmes... Ne me demande pas pourquoi. Je m’y suis
habitué, sans doute. J’aimerais quand même qu’elle soit basée à Marignane, pour
partir loin, c’est plus proche de la maison et puis en tant qu’hôtesse, elle a
accès au parking du personnel. C'est plus pratique et moins cher quand on prend l'avion.
J’aimerais, si ce n’est pas exagérer,
qu’elle aime le confort, à mon âge le camping et les hôtels d’arrière cour,
merci, autant rester chez soi, les fesses dans son canapé confortable, devant
la chaîne Planète… J’ai pas raison? Mais aussi il faudrait qu’elle soit un peu cultivée. Profonde et
légère. Qu’elle ne fréquente pas que les magasins de vêtements ou les restaurants
mais aussi les salles de spectacle ou de concerts. Je n'aimerais pas trop
qu'elle soit sectaire comme une dingue de free jazz, une cintrée de Chopin, une
folle de Cure, merci bien... Et qu'elle ne pratique pas que la lecture des
étiquettes ou des menus mais aussi celle de quelques livres, tu
vois? Je veux bien, quand elle revient de ses longues rotations, oui,
parce que j’aimerais qu’elle travaille encore, qu’elle ne soit pas tout le
temps chez elle, que je profite du silence de son jardin et de la beauté de son
mas… Je lui ferai volontiers un peu de cuisine et lui nettoierai sa piscine
pendant ses absences. Je peux même aller jusqu’à l’entretien de ses vignes,
l'hiver. Il faudrait juste que je puisse me mettre à mi-temps pour l’avoir...
Le temps! J’accepterais une compensation financière...
Sur ma lancée, j'ai continué...
Je ne la souhaiterais pas fanatique du
trekking ou folle de randonnée. Je ne suis pas contre l’idée de marcher un peu
de temps en temps, mais pas tous les dimanches, à heures fixes, dans ces clubs
comme il y a à tous les coins de rue. Ils se retrouvent à cinquante, équipés
pour traverser dix Atacama et vas-y que je cause et que je cause et que je n'en
finis pas de causer pendant les deux trois heures de balade... Tout ce
bazar pour montrer sa toute dernière gourde, se plaindre de la vie qui est
difficile et de ses douleurs dans la nuque... Merci bien! Très peu pour moi!
J'aime bien les marches à quelques uns, dans le silence et le
partage... Je n’aimerais pas, non plus, qu’elle ait trop d’enfants, pour
éviter les repas de famille qui n’en finissent pas. Ni trop de petits enfants
parce que là, finis les noëls à l'autre bout du monde… Enfin, tu vois, quoi.
Alors c’est pour ça que tous les
dimanches, ou presque, après le marché de L’Isle, je file à Marignane.
L'aéroport du coin. Je m’en vais traîner par-là-bas. Pour forcer un peu le
destin? J’y arrive en fin de matinée, je tourne et je vire, je regarde un peu
les avions décoller au-dessus de l’étang de Berre ou atterrir en venant de la
mer, pas loin. Je bois un coup ou deux, je fais les boutiques, surtout celles
de parfum. Là, je souris à une ou deux que je trouve jolie et qui achète un
flacon pour sa maman, son amant, son frère, enfin qui achète un flacon. Quand
vient l’heure de manger je m’attable près des vitres qui donnent une vue sur la
piste et je mange en rêvant à des pays où il fait toujours beau, où tous
les jours sont chauds, où l'on passe sa vie à jouer, sans songer à l'école, en
pleine liberté, pour rêver . Et puis au soir tombé, je me rentre... Il était
atterré...
Ah! Pendant qu'on y est, j'aimerais aussi
qu'elle soit douce mais pas gnangnan, sensuelle mais pas délurée, fidèle mais
pas collante, légère mais pas écervelée, drôle et profonde, gaie mais pas
rigolarde, intelligente mais pas cérébrale... Je n’ai pas encore rencontré la
perle, mais ça viendra, je le sais, je le sens. Un jour, moi aussi, je serai du
bon côté du manche. Un jour, moi aussi, je ferai le tour de la bagnole pour
ouvrir la porte. Un jour, je suivrai le nuage léger d'un parfum délicat.
Un jour, une main bienveillante et caresseuse se posera sur ma nuque et y
restera, un peu… Attentive.
Voilà où j’en suis mon gars. Rien de très
folichon. Tu te fais une idée?
Je vois très bien! Et ça ne me semble pas
gagné si tu veux mon avis... Mais dis moi? Pourquoi une hôtesse de l'air?
Oh, ça c'est simple: Elles sont
habituées à sourire, elles ont des billets d'avion gratuits et surtout,
surtout, elles savent s'y prendre avec les vieux emmerdeurs!
Il avait les larmes aux yeux. En remontant
sur son engin, il m’a juste lâché:
Je ne sais pas lequel des deux est le plus
à plaindre!
Moi non plus, j’ai répondu...
9 commentaires:
Saisissante retranscription de deux mondes, deux conceptions, deux vies...
@ Merci Pastelle!
ça doit bien exister une perle pareille, mais j'ai bien peur que ce soit compliqué quand même ....
ça existe aussi au masculin ? :o)
@ Véronique
Un steward, alors...
steward .... moins sûre !
Y en a des beaux!!!
beaucoup sont, comment dire ....
@ Beaucoup, mais pas tous.
:o)
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