07 octobre 2009

Les parfaits du subjectif.

C'est dès leur entrée dans le Pub, un endroit étrange avec des écrans géants sur tous les murs, qui ne diffusaient que des images de hockey sur glace, au plein cœur de la ville, que j'ai su que les deux, là, qui se pointaient, en tapant des pieds pour débarrasser leurs pompes de la neige, allaient profondément m'agacer. Mon intuition était bonne. Ça n'a pas loupé. Ils m’ont agacé, profond.
Dehors, des flocons aussi gros que des meringues tombaient comme des promesses dans un meeting électoral. C’est dire s’il neigeait dru. Je m'étais assis à une table près d'une fenêtre pour profiter du spectacle des rues s'empoudrant. J'avais échoué là parce que j'étais fatigué, j'avais faim, je voulais me poser. Je venais de faire, à pied, le tour complet du Mont Royal en partant du Plateau, en montant par la route et redescendant par le chemin Imolstead, puis la rue Peel, j'en avais abattu des miles et marcher dans un congélateur géant n’était décidément pas ma tasse de thé.
Même si j’avais été secoué, vers la fin de ce chemin de forêt, où des écureuils viennent vous sentir le doigt, où des jeunes gens courageux y pratiquent le ski de fond, quand étaient sorties de derrière le rideau d'arbre, tel un gigantesque vaisseau fantôme, les tours vertigineuses d'une masse comparable à celle d'un New York savoyard... Pfffuit.
Un vrai grand choc.
Je n'avais pas choisi ce pub là en particulier, je n'en connaissais aucun autre. Qu'il y ait eu de la lumière à l'intérieur m'avait suffi.
Très peu après mon entrée, dès que je me suis pelé des épaisseurs accumulées, pour tenter de lutter contre le froid, puis assis, exténué, rougi, transpirant par ces efforts supplémentaires un verre d'eau bourré de glaçons s'était pointé sur la table...
Une plaisanterie? Non, une coutume.
Et, c'est là que les deux du début sont entrés et qu'ils n'ont évidemment pas trouvé d'autre endroit où s'asseoir qu'à la table d'à côté...
Un jeune couple, grand, les deux, beau, les deux, mais surtout elle... Une trentaine resplendissante, pas un gramme de maquillage, fine comme un mannequin anglais, le visage un peu pâle, diaphane, une nostalgie dans le sourire, des yeux, deux, très vifs, rieurs et tristes à la fois, un regard profond. Et des mains, deux, d'une extrême finesse avec de longs doigts très expressifs. Une jeune sœur de Kristin Scott Thomas, vous voyez? Lui, un grand brun légèrement frisé avec de grands yeux bleus Hollywood, une bouche à mâcher du chewing-gum, une voix à faire de l'ombre à Nat King Cole... Ils étaient habillés, classe, les deux, visiblement du chic haut de gamme mais sans clinquant, du chaud, du confortable, du léger, tendance soie-cashemere, vous voyez? Du créateur japonais, éxilé, Yamamoto boutique à Manhattan, sans doute, ou mieux acheté la semaine passée aux soldes de Kyoto. Loin du Quetchua de banlieue parisienne laborieuse, quoi...
Pas une once de fatigue ne se lisait sur leurs visages, pas même une petite rougeur causée par le vif du froid, ils étaient souriants, gais, heureux d'être là, d'y être ensemble, amoureux pas transis... Assis, ils se sont séparés de leurs petites écharpes fashion, de leurs petits bonnets marrants, qui leur allaient si bien, ils ont sorti de leurs poches les derniers modèles de blackberry à touches sensibles et japonaises, ils ont consulté leurs mails en sirotant chacun leur morceau de banquise... En ne jetant aucun oeil à la salle, ni à personne dedans, pas même aux écrans géants.
Ce qu'ils m'ont agacé ces deux là! Leur genre "Yes we can Ada...", leur côté jeunes zaméricains friqués, chouchous des fées, en vadrouille dans le "so exotic montewéal, so kioute, so old..." J'ai fini par espérer qu'ils aient un vice caché, quelque chose qui leur pèse, qui soit une douleur pour atténuer toute cette perfection. Du mal, je leur ai souhaité du mal! Moi qui ne suis que douceur, gentillesse et bienveillance, ils m'ont rendu mauvais comme un troupeau de teignes. Comme j'avais une dent contre eux! Une dent? Une mâchoire, oui!
Mais quand ils ont attaqué leurs steacks noyés dans une sorte de sauce rouge vif et leurs paquebots de frites, l'agacement est monté d'un cran... Ces deux là s’engouffraient des trucs interdits et étaient encore minces comme des fils de soie… Tout pour me déplaire, décidément… Parce que je me battais avec une mini salade Caesar pour anorexique nain?
Parce qu'ils étaient deux ensemble et que j'étais un tout seul?
Les deux, sans doute : Pénibles...
Une seule chose nous a épargné l'affrontement direct: Ils étaient américains ET amoureux, ainsi, Ô Joie d'calice, je n'allais rien comprendre des niaiseries mielleuses, convenues et intemporelles qu'ils ne manqueraient pas de s'échanger en becquetant...
A-t-on idée d'avoir tout alors que tant d'autres n'ont rien? En vrai, et au fond, je leur en voulais absolument de me donner une telle envie de leur jeter tant de pierres... Les gens parfaitement parfaits ont ces deux dégoûtants dons de nous renvoyer à notre médiocrité et de nous rendre mauvais...
Gloire aux imparfaits!

Tables roses

13 commentaires:

amichel a dit…

ta douleur,cher chriscot,sera donc éternelle
et les tristes discours
que te met en l'esprit le goût des jouvencelles
l'augmenteront toujours ?

chri a dit…

@Amichel: De si jolis vers pour un si moche sentiment... Confitures à un cochon!
Mais ici, pas de douleur, j'espère du sourire tant la mauvaise foi est évidente!

AG a dit…

Heureusement, ils ont des détresses cachées qu'ils ignorent pour un temps. Pis quand ça leur revient dans le nez, un jour ou l'autre, ils souffrent plus, c'est évident! Y a de la justice dans ce bas monde!

chri a dit…

@AG Puissiez vous dire vrai AG! Comme une vengeance glacée.

Anonyme a dit…

On les adore, ces figures de magazines, surtout quand ils font l'objet d'un article aussi parfaitement reconnaissant.

Slev

chri a dit…

@AG: Au fait, vous avez des potes?

@Slev: Moi aussi je les aime...bien malades!

AG a dit…

oui, mais piteux et malheureux. Non, je rectifie, je n'ai pas d'amis du type des deux américains flamboyants, juste des gens comme moi. Parfois moins piteux que moi quand même, mais cela reste tolérable...

chri a dit…

@AG: Des potes AG... C'était bien bête, je suis d'accord.

Alimentation Générale a dit…

bon c'était quoi? vive les imparfaits? ben, vive moi!

Anonyme a dit…

A quand, Chriscot, les plus que parfaits du sujectif ?
V

chri a dit…

@V Je cherche, je cherche...

Véronique a dit…

un jour ils seront vieux et un jour ils mourront AUSSI !

chri a dit…

@Véronique: La vache Véronique vous leur en voulez ou quoi?

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