26 mai 2014

La vague.


Lui était parti bosser, elle ne travaillait pas le mardi matin.

Déjà, ils avaient chacun un travail ce qui en cette période était un luxe. Depuis plus d’un an que l’autre était le chef, contrairement à ce qui était prévu, tout le monde avait maintenant bien compris que le changement ne serait pas pour de suite…
C'est une peur bleue qui régnait dans le pays. On avait tous les jetons, la trouille flottait dans l’air à chaque carrefour… C’est aussi à cause d’elle que les gens étaient tendus. Quand tu avais un boulot tu vivais dans la peur de le perdre quand tu n’en avais plus tu avais la pétoche de ne jamais en retrouver. Un peu partout, dans les rues, on se mettait à dégainer pour un oui, pour un bien et ici où là, des grandes gueules commençaient à l’ouvrir plus fort que les autres en réclamant qu’on remonte les échafauds… Même sans le vouloir vraiment, on se mettait tous à se durcir, à se raidir et pour tout dire à devenir cons. Certains plus que d’autres. Et ça s’entendait. C’est dire si l’époque était reposante...
La plupart se regardait en chien de faïence, chacun était un ennemi potentiel, alors comme de tous temps, on commençait à se tourner vers ceux qu’il était le plus facile de montrer du doigt et on en venait à les regarder salement de travers. Les plus exposés, les moins comme nous, les moins faciles à défendre… Une misérable poignée de gens qui n’allaient pas tarder à porter sur leurs épaules dépenaillées tous les crimes du monde.  D'où ils venaient, on leur jetait des haches, ici on les lapidait. Ils étaient encore mieux ici...
À se demander si un jour on apprendrait quelque chose. Quelle jolie bande de crétins nous faisions…
Ah, il fallait les entendre les hurleurs… La plupart de leurs amis avaient mis de côté de quoi faire largement tourner la machine, les amis de leurs amis s’en mettaient plein les poches et ils dégoisaient à longueur de temps pour deux malheureuses poules volées. On les voyait en photos dans les pages centrales des magazines barboter dans des piscines de nababs et de marchands d'armes véreux, bruncher en famille dans des châteaux d’opulences, dîner dans des restaurants de rois, s’offrir des vacances de luxe dans des hôtels du même nom et ils passaient leur temps à jeter des pierres sur de pauvres gens vivants à douze dans deux malheureuses caravanes en carton mâché. Et les autres en place qui, au lieu de clouer aux portes du silence tout ces criards, ce qu’ils étaient censés faire, hurlaient avec les loups en leurs emboitant le pas … Et quel pas…  Le pas de loi. Une honte…
En vrai, ils étaient tous prêts à tout pour garder leurs places au soleil. Quitte à ce que tous, on  finisse par en baver des ronds de chapeaux…
Bref, la veille au soir ils n’avaient pas passé une très bonne soirée. Ils ne s’étaient pas vraiment disputés non, c’était pire, ils ne s’étaient rien dits ou presque. Ils avaient mangé ensemble, chacun devant son assiette, ils avaient regardé une connerie à la télé et puis ils étaient allés se coucher.
Ça faisait plusieurs semaines que c’était comme ça. Comme si le courant ne passait plus, comme si le canal avait été asséché, comme si le vent était tombé. Ils ne vivaient plus ensemble, ils cohabitaient.
Ils étaient malheureux chacun de leur côté. Elle, elle voulait mettre ça sur le dos de la période, lui… ne pensait rien. Ou plutôt n’en disait rien. Mais elle le connaissait, elle savait que c’est ce qu’il savait le mieux faire. Se taire et attendre que ça passe.
Elle ne l’a pas entendu partir. Quand elle est sortie de son deuxième sommeil, il n’était déjà plus là. Elle en a presque été soulagée. C’était si lourd entre eux deux désormais. Une fois qu’elle a débarrassé la table des restes du petit déjeuner, elle s’est collée sous la douche et elle a vidé le ballon d’eau chaude. Après s’être enduite de cette crème venue d'ailleurs, elle aussi, celle qui hydrate en laissant une odeur douceâtre, elle s’est habillée avec ce qui lui est tombé sous la main. Et puis, emportée par on ne sait quel élan, elle s’est vue faire une chose dont elle ne se pensait pas capable. Puisqu'elle était dans l'armoire,  elle s’est mise à lui faire les poches. Elle aurait presque aimé trouver quelque chose qui explique ses silences, elle aurait presque préféré trouver un indice de quoi que ce soit qui soit une réponse à toute cette tension qu’elle éprouvait, qui la minait. Vrai que depuis quelques mois il rentrait de plus en plus tard, vrai qu’il était devenu distant, taiseux, sans trop de gestes de tendresse, vrai qu’il semblait ne plus la voir, qu’elle avait l’impression d’être devenue transparente, vrai qu’elle se disait qu’il était en train de la retourner comme une bouteille et de la vider de son sens et de ses émotions… Alors, oui, elle aurait presque aimé trouver une carte, une adresse, un mot, un prénom, un numéro de téléphone griffonné à la hâte et plié en huit, un signe contre quoi ou contre qui lutter. Elle a tout farfouillé. Elle a tout visité. Elle a fait chacun des fonds de poche de chaque costume, de chaque pantalon, de chaque chemise.
Elle n’a mis l’œil sur rien. Elle était effondrée :
___ C’est bien la preuve qu’il y a quelque chose s’est-elle dit.
Elle en a été dévastée, anéantie.
Quand la machine se met en route, il est presque impossible de l’arrêter. C’était fait, elle venait de démarrer dans un fracas insupportable. Pour tenter de s’en défaire, elle est sortie marcher. Elle a enfilé une veste par dessus son malheur et elle a claqué la porte derrière elle.
Elle est allée là où elle aimait. Au tout bord de l'eau, sur le blond de Grand-plage.
Entière à ses émotions, elle n’a pas dû voir la vague s'amener et bien qu’elle ait été prévenue de ce qui pouvait arriver, elle a dû se la prendre en pleine face la grande vague bleue. Alors, elle est tombée et le reflux l'a emportée. Elle a sans doute essayé de se rattraper au bord, mais elle n’a pas pu et personne ne l’a entendue crier… Non, non, elle ne se voulait pas de mal, elle aimait la vie... 
Elle a été rendue deux jours après pleine d’eau, d'algues brunes et de saloperies.

C’est un flic qui, à la fin de l’enquête a trouvé la formule la plus proche de la vérité. Il a laissé tomber :« Elle voulait juste changer d’air et elle a fini par prendre l’eau… »
Qu'on y prenne garde, nous, un jour prochain, la vague, elle pourrait bien nous sécher, nous aussi. Ah Ah Chaque tempête commence par un léger clapotis...






25 mai 2014

Faites des mères...


Bonne fête à toutes celles sans qui les Stabat Mater, les pulls qui grattent, les endives au jambon, les lave-vaisselles, les urgences pédiatrie, les purées de carottes, les baisers dans le cou, les casquettes infâmes, les sparadraps gras, l'inquiétude, l’arnica qui pue, les bonnets tricotés, les sirops qui collent, les ceintures de sécurité, les films de Pedro, les bras tendus, les mains sur les fronts, les grands mères, une chanson douce, les moufles à cordons, les histoires du soir, les mains dans la tienne, les lits bordés, les bananes pôellées au sucre et au nutella, les mots de réconforts, les casques à vélo, le mercurochrome (si bien nommé), les soupes de légumes brûlantes,  Interflora ET... la psychanalyse n'existeraient pas.




Un parfait crime.

« Parfait : Tel qu’on ne puisse rien concevoir de meilleur. »
Le Petit Robert.
                  Après la chaleur torride des heures pleines, le jour s’éteignait tendrement dans une tiédeur rosée. Il l’avait passé, marchant le long du fleuve coupant la ville en deux, flânant à la fraîcheur des ponts qui l’enjambaient. Il l’avait passé seul, dans l’ignorance absolue des autres, uniquement concentré sur le soir à venir.
Et ce soir, enfin, était là. Il en avait attendu chaque minute, chaque seconde et maintenant la ville était comme ces lampes dont on baisse l’intensité en gardant le doigt sur l’interrupteur, les rumeurs de la ville tranchée s’estompaient à mesure que le noir montait. Tout ici s’acheminait vers ce qu’on nomme un beau soir d’été.
Dans l’air vacillant de demi mesure, le temps semblait allonger ses jambes sous la ville partagée. Lui, il attendait que la nuit  comme une caresse définitive s’y pelotonne avant de se remettre en route. Ce serait aux alentours de minuit, c’était en général vers ces heures là que ça se passait. Son corps qui avait été tout le jour tendu comme un fil d’équilibriste, noué comme un vieux chêne, douloureux commençait à se relâcher. Il sentait peu à peu le calme l’investir et se disait que c’était une bonne chose pour la suite.
La sueur qui l’avait inondé commençait à sécher laissant des auréoles animales sur ses vêtements légers. Il décida de passer chez lui avant, pour se doucher mais aussi s’étourdir du silence de l’appartement vide. Il en profita pour vider une bouteille d’eau plate pour se nettoyer aussi l’intérieur. Il s’était allongé, nu sur le lit mais un doute comme un courant d’air glacé avait pointé le bout de son museau chafouin. Alors pour l’effacer, il s’était vite relevé. Non, non, tout allait bien se passer, c’était imparable.  Il avait mangé, un peu et s’était rhabillé, il avait éteint les lumières et s’était retrouvé dans la rue, dans le noir de la rue paisible comme un Bouddha sous lexomil.
Il irait à pieds pour que le trajet fasse partie de l’affaire. Il irait à pieds pour avoir le temps de se répéter les phrases qu’il dirait comme un acteur ressasse son texte. Tous les mots qu’il dirait auraient une importance terrible. Il lui faudrait être convaincant, surtout ne pas effrayer voire davantage séduire ou charmer. Un mot qui claudique et tout serait à reprendre du début. Il savait leur force, leur poids de pandore. C’était sans doute pour cela que d’ordinaire il parlait peu. Un geste on pouvait le maquiller, mais le mot lui supportait très mal le mascara. C’est en pensant à tout cela qu’il s’aperçut qu’il y était.
Enfin soulagé depuis qu’il avait pris la décision. Il y pensait depuis plusieurs semaines, il y réfléchissait depuis des mois. Fidèle à cette phrase : L’angoisse vient du oui ou du non, la paix du peut-être, il se sentait enfin en paix. Ca avait commencé par un concours de nouvelles dont le thème était le crime parfait. Il s’était convaincu d’y participer alors il avait cherché, pensé son affaire comme pas deux. Puis il avait trouvé et très vite s’était imposée l’idée de commettre au lieu d’écrire. Et rien n’était venu le dissuader comme s’il s’agissait d’une évidence. Ecrire n’est pas vivre. Il valait mieux faire. Alors, il allait. Il s’arrangerait après avec ce fardeau là. Il était habitué aux fardeaux, un de plus ne changerait pas grand-chose. Et c’était ce soir. Là, dans quelques minutes. Tout était prêt en lui. Il ne tremblait pas. Avant de composer le code permettant à la porte de s’ouvrir, il resta quelques minutes encore sur le trottoir opposé pour goûter un peu du frais qui maintenant descendait des toits. Il leva les yeux et s’émerveilla des brillances qui saupoudraient le Ciel. Décidément, la nuit s’annonçait parfaite, elle aussi.
Il composa le code et se souvint de la première fois où il avait appuyé sur les touches. Bientôt l’anniversaire. Elle lui avait laissé ses clés mais sans le code...Puis lui avait donné les deux, peu de temps après leur rencontre. Tout s’était passé très vite. Elle l’appelait, il venait s’il pouvait. Il avait préféré que ça se passe comme ça. Il n’avait pas souhaité habiter avec elle. Ce soir elle n’avait pas appelé. Elle ne savait pas qu’il viendrait. Heureusement, il aurait sans doute renoncé à son projet. Il entra et sans allumer la minuterie, monta comme un chat au quatrième. Au troisième il ralentit et pensa même à redescendre mais il tint bon. Il était déterminé, sûr de lui, enfin. La clé venait de tourner dans la serrure sans faire aucun bruit. Il avait poussé la porte et s’était laissé envelopper par le parfum connu. Elle était là et le noir de l’appartement lui dit qu’elle y dormait. Il avait refermé la porte avec lenteur et après avoir attendu que ses yeux s’habituent à l’obscurité, il s’était avancé vers la chambre. Il la devina allongée sur le ventre juste recouverte d’un drap, un bras enfoui sous l’oreiller. Dans un silence dense, il s’approcha du lit, s’assit sur le rebord et lui caressa l’épaule. Elle grogna doucement puis comme si elle reconnaissait la main qui la touchait, sans ouvrir les yeux, elle dit :
___ Qu’est ce que tu fais là ?
C’était maintenant que tout se jouait. Le plus calmement du monde, il dit dans un souffle:
___ L’enfant que je te refuse depuis quelques temps, si tu le veux encore, je suis venu te le faire...
Il y eut un long silence ensommeillé, sans tourner la tête, elle dit:
___ Maintenant ?
___ Oui maintenant...
___ C’est comme une urgence, alors ?
___ Oui, c’en serait une...
Elle l’attira d’une main vers elle.
 ___ Alors, Viens.
       C’est ainsi que cette nuit là, ces deux là, mirent toutes les chances de leur côté pour tenter d’avoir un enfant.

Au fond, y avait-il de crime plus parfait que celui là, et on n’en sera jamais ni accusé, ni puni, au contraire... 
Un crime magique  et commun même si on ne pourra jamais être certain d'en vivre, un jour, la tragique fin.





12 mai 2014

Là...

Là, si j’écrivais, il y aurait surement, des phrases comme:
"Oui,  je boirais volontiers ou un Père Labat, ou un verre d'absinthe Rose..."
"Désolé de te décevoir, tu as beau faire ta petite Sissi Rose, mais non, je ne reste pas sur le devant de la maison à regarder passer la vie, comme un alcoolique unanime, un verre de rhum à la main, assis, Rose. Oui, parfaitement, ne t'en déplaise, il se trouve que je vis aussi, Rose..."
 Comme:
"N'insistez pas, les filles, la mayonnaise n'est pas prête... Sortez de cette cuisine, allez, ce n'est pas la peine de tirer la langue, ouste..."
 Comme:
"Ce qui cloche avec toi, c'est ce besoin féroce d'entourlouper tout ton petit monde, mon  Robert, ça finit pas être agaçant, à force. Oui Bobby, c'est ta jolie bobine qui nous embobine..."
 Comme:
"T'inquiète, aujourd'hui c'est une journée facile, pour toi, il te suffit de dire OUI à tout... Pour une fois tu n'as aucun choix à faire, comme un dos de cabillaud, laisse-toi rouler dans la farine..."
 Comme:
"Je te déteste! Tu sais que je te tiens pour responsable de tout ce merdier, a-t-elle lancé à Bob, hors d'elle..."
 Comme:
"Il faudrait quelqu'un pour beurrer la raie... Pas nous! Ont répondu, en souriant, d'une même voix et sans se retourner, les trois filles, papotant, dont les jambes disparaissaient à partir des genoux, dans le bleu électrique de la piscine, pleine à ras bord d’une eau cristalline et pure... Pas comme nous ont-elles lancé dans l’air du soir…
 Comme:
"Dans cette affaire, les seuls qui avaient quelque chose à y gagner étaient les célibataires... Mais ils n'étaient pas assez nombreux pour se sentir en force..." Plus ultra que le nec, Rose.
 Comme:
"Le dix, Gamin, c'est fini pour toi, le mois des mais... T'as bien fait de prendre de l'avance avec celui d'aimer... Bob dont une des sales manies est d'écouter aux portes a cru bon d'ajouter: "Et si on passait à table ce sera, au moins celui des mets! En vrai, nous détestions quand il s'essayait à des jeux de mots souvent pour rire, mais nous étions, surtout aujourd'hui, pour une fois prêts à beaucoup pardonner à toutes ces saillies."
Comme:
"Ces trois voyelles de rien, celles qu'en ce moment tous s'envoyaient à la figure tous les quatre matins, il aimerait bien avoir quelqu'un à qui les déposer en douceur dans un joli pavillon… d’oreille, un de ces mois..."
 Comme:
"Toute cette bonté dégoulinante, sirupeuse et soudaine qui me vient à ta vue, n'est ce pas que ça te la coupe, Rose ?"
 Ou comme:
"Le problème avec ce genre de pays c'est que la douceur et le rhum aidant, tu tombes amoureux tous les quart d'heure, sans que ce soit obligatoirement sexuel. Tu pouvais être foudroyé par l'ambre d'une peau, le vert d'un lagon, l'éclat d'un sourire, la couleur d'un toit de case, la finesse d'une silhouette, un regard appuyé et souriant, le grain d'un sable blond, une goutte de sueur, l'ombre d'un palmier, l'odeur d'un frangipanier, la fraicheur d'une bière... Tous les quart d'heure, je te dis!"
 Ou encore:
"C'était l'heure préférée, celle où les glaçons commencent à fondre dans les verres, où les chevilles sont attaquées par des escadrilles de moustiques, où la peau se détend des folles chaleurs de la pleine journée,  où les grenouilles et crapauds se mettent à faire un foin du diable dans les mares du même nom, où les humains s’en disent à mesure qu'ils en vident... L'heure des confidences et des aveux, celle des moments qui comptent, pour du vrai Ah ces heures à l'ivresse bienveillante, tu sais comme quand on est dans une sorte de potage, juste un peu saoul, Pierre!"
 Et enfin:
"Mais, Rose chérie, ce n'est pas parce qu'on a pas une tête à attirer le bonheur qu'on doit forcément être toujours malheureux... On peut aussi, parfois, être survolé par la grâce, nous, les moches..."
 Enfin, vous voyez le genre, bibliothèque alizée et tout le toutim...
Finalement, ça commence à en faire des phrases, vous avez l'essentiel, je crois bien...Vous devriez arriver à tout bien remettre en un ordre qui vous convienne... Il me vient une flemme... La latitude? La tension du hamac? La douceur de l'alizé? Arrangez la bien, cette note et je publierai, peut-être, celle qui me plait le mieux...
Si je m'en vais de ce pas, faire un tout léger dernier brin de sieste à l'ombre du grand coco, c'est que ce soir, à l'heure des mabouyas, je m'envole dans l'autre sens... Fermée, la parenthèse... Je remonte dans mon carrosse.


Et oui, le temps me mord Rose....



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