28 octobre 2009

Y a de beaux cieux, tu sais?

C'est un ciel magnifique qui nous est donné à honorer ce matin.
Nuageux à souhait et la lumière du soleil naissant n'en est pas assombrie mais, bien au contraire, soulignée.
Quelques mouettes et goélands y passent en criant, nous rappelant que la mer n'est qu'à quelques gifles d'ailes.
Les rouge, jaune, orange et caramel sont encore agrippés aux branches des arbres.
La petite ville, s'éveille lentement, des hordes de pelotons cyclistes emmitouflés lui roulent sur le dos.
Les chiens sortent des immeubles de briques parme pour s'en aller, guillerets et impatients, lever la patte sur les réverbères encore allumés.
Les chats ne leur accordent aucune attention, ils guettent du coin d'un œil les pies qui jacassent, taches blanches et noires sur le rouge des bornes à incendie...
Des enfants retardataires chargés comme des baudets cavalent sur les trottoirs pavés de bonnes intentions...
L'air embaume celui du large et de ses excès, la mer du Nord n'est qu'à deux tours de pédalier...
En levant les yeux on comprend pourquoi les peintres Maîtres du Nord les ont souvent levés au ciel, tout est si plat qu'il est le seul relief et il fait tout pour se faire remarquer...
Et, alors que je suis en train de taper sur le clavier, tu sors de votre chambre avec tes yeux presque fermés de petite fille encore endormie, ceux que je connais depuis toujours, on se demande si on a bien dormi... Comme un bébé, réponds-tu... Et toi? Comme un vieux, dis-je...
Tu as vu ce beau temps? C'est une chance, non? Allons vite en profiter... Alors, mon cœur a fait à la vitesse de la lumière un aller-retour vers le ciel de Montréal et la rue Cadillac... Te voir toi aussi sortir de votre chambre, une main râpée sur ta naissante barbe noire...
Voilà, pour l'instant, devant nous, quelques brèves journées d'automne à vivre, à Leeuwarden, capitale de la Frise, Friseland, dans le plein Nord de la Hollande, cette fin d'octobre deux mille neuf...
Mais au fond, qu'importent vraiment les cieux? Ce qui compte ce sont bien “les gens” qui vivent en dessous...




24 octobre 2009

Petit polème de saison.

Ô... J'aimerais tant que tu te souviennes
De cette chanson qui était la sienne
De ces feuilles mortes qui font des tas chiants
Dans les jardins désormais trempés,

Les manches des pelles, des ampoules
Aux mains de qui va les ramasser.
Peuvent donc pas rester sur l'arbre,
Au lieu de nous forcer à ratisser ?
Peuvent donc pas rester de marbre,
Au lieu, de, bêtement, dégringoler ?
Les mortes feuilles font les malines
A se mettre en bans sur les pelouses
Comme le beurre sur les tartines,
Ou le soupçon chez les jalouses.
Mais le pire ce sont les souffleuses,
Elles te vacarment un boucan d'enfer,
En poussant au cul les tombeuses,
Qui finissent de planer dans l’air.
Heureusement, les feuilles par terre
Inspirent de très jolies chansons
Dont on sifflote gentiment l’air
En balayant devant nos paillassons,
Alors qu'en nos souvenirs reviennent
Celles de Gainsbourg puis de Kosma
Il serait bon qu'on se souvienne
De celle que Didier Romain écriva.

Feuille jaune
Et oui, quoi qu'on fasse,"chiants" ne rimera jamais avec "ampoules". Pourtant, des ampoules au pied, par exemple, ce peut être bien bien chiant...

19 octobre 2009

Cheveux d’ange…

A "Mademoiselleesttendance".

J’avais remarqué son étal l’automne dernier. Et pas seulement parce que je la trouvais jolie.

Elle vendait des objets de décoration pour la maison, des trucs un peu anglais comme on en trouve pas mal par ici pour ces gens qui ont de jolies maisons très brittaniquement babiolées. Dans l'esprit de Béatrix et pas d'Harry: petits lapins blancs dans les verdoyants et pluvieux cottages, mais sans la sauce provençale, c'est à dire bleu lavande et cigales olives et tapenade, et pas comme certains autres achetant tout en Chine...

Ce qu'elle proposait, elle, était plutôt dans le registre élégant et raffiné. Des tissus, aussi, de la même veine.

Le dimanche matin, dans le coin c’est marché. Comme dans pas mal d’endroits. Ici, c’est celui de l’Isle, le plus couru de la région surtout par tout ce qui ne parle pas français… Un peu à cause de l'endroit, pas mal à cause des antiquaires. Il faut bien les meubler, les jolis mas. J’y vais tous les dimanches. Soit à pieds quand il fait beau et que je n’ai pas la flemme, soit en moto, en cas de grand soleil et de paresse, soit en bagnole s’il vente ou s'il pleut. Enfin, quoi quelle que soit la météo, j’y vais. Une sorte de messe. Une fois là, je me débrouillais pour passer plusieurs fois devant son stand pas seulement pour ce qu’elle vendait. C’est ainsi qu’on avait passé l’automne ensemble, elle et moi. A ne se voir qu’une fois par semaine, à ne pas nous parler mais comme ça on ne risquait pas l’excès de fréquentation, comme ça on avait peu de chance de se mésentendre. Je crois même que je ne lui ai jamais rien acheté. Heureusement qu’elle ne comptait pas sur moi pour vivre. Et puis vers Novembre, je ne l’ai plus vue. Je l’ai cherchée deux ou trois dimanches mais sans la trouver. Je me suis dit qu’elle avait changé de marché, d’endroit, de métier, peut-être qu’elle s’était mise à la colle avec un gentil client et que le dimanche elle restait, maintenant, sagement (hum...) au chaud du lit avec son nouvel amoureux ?

Et puis, vers le début Décembre elle a réapparu. Elle portait sur la tête des turbans de toutes couleurs, très joliment arrangés au-dessus de ses manteaux d’hiver à l’élégance raffinée. Des turbans ou des chapeaux, ou des casquettes ou des bérets, cela dépendait des dimanches. Elle n’avait jamais la tête nue… Un matin de la mi janvier, je me suis approché plus près des son étalage. J’ai vu que ses sourcils aussi avaient foutu le camp. Et je me suis dit que rien n’aurait pu cacher ses cernes, les deux noirs, qu’elle avait sous ses yeux magnifiques et verts, qui creusaient son visage comme deux rigoles tristes. Elle avait l’air défait et las. Et même ce qu’elle vendait semblait plus terne. Alors, pendant de longs mois, je ne l’ai plus revue. Au moins tout l’été. Je l’ai cherchée dans toutes les ruelles, il arrive que les forains n’aient pas toujours le même emplacement. J’ai cherché son étal, si je voyais ses objets, si je la voyais, elle. Mais non, rien pendant des mois. Je n’ai pas voulu penser au pire mais en écrivant cela c’est bien le signe que j’y ai songé…

A chaque dimanche, je faisais deux ou trois tours de ville pour tenter de mettre les yeux sur ses anges de pierre, ses bouquets de lavande, ses nappes mais envolés les anges, fanées les lavandes, pliées les nappes… Je savais désormais pourquoi j’allais faire un tour de marché le dimanche: Revoir la jolie vendeuse d’anges, celle aux si beaux yeux verts et aux turbans de couleurs qui cachent une vilaine calvitie de chimio.

Hier, donc, je tournais dans les ruelles. Ce que j’ai aperçu en premier c’était ses angelots. Mon cœur a accéléré d’un coup. Elle me tournait le dos, elle avait le buste penché dans des cartons. Je me suis approché de son stand. Elle s’est relevée et s’est tournée, elle avait la tête nue. D’extraordinaires et merveilleux cheveux bruns très courts, presque ras encadraient son visage lumineux et faisaient paraître ses immenses yeux verts plus grands encore. Au-dessus d'eux, des sourcils superbes pour les surligner...

Je me suis arrêté net, un trait de larmes a manqué jaillir des miens. Je ne crois pas que, de ma vie, une coupe de cheveux ne m’ait procuré autant de bonheur. J’étais bouleversé.

Nous nous serions connus, j'aurais couru vers elle les bras tendus. Je l'aurais embrassée et serrée et nous aurions tourné longtemps en nous regardant les yeux dans les yeux, tout à nous, dans la douce tièdeur de ce dimanche matin d'automne ensoleillé.

Elle, elle aurait ri jusqu'aux éclats. D'un rire d'ange... D'ange heureux.


Balais l'isle 1

17 octobre 2009

Un vent, le terrible.

Ce matin, dans la plaine que je parcourais, en long, en large, à pieds, en levant les genoux à cause des herbes hautes, le mistral, en la dévastant s'en donnait à coeur joie. Mais, grâce à lui, la lumière y était tranchante comme le fil d’un sabre d'Hattori Hanzo.
Tout étincelait sous elle, les plumes des pies qui décollaient à mon passage n’étaient que brillance, le noir des ailes des choucas qui s’envolaient à mon approche était un noir luisant, vivant, un noir Soulages, le vert des brins des herbes eux-mêmes était un vert luisant... Les feuilles des arbres qui commençaient leur long voyage faisait comme des pluies fines de feuilles d’or fin. La terre, d’ordinaire si placide en était toute retournée. J’étais sorti bonne heure, juste avant le lever du jour et ce n’est pas l'autre fou furieux qui m’en avait empêché.
Celui-là, il tapait des deux poings sur la table depuis plusieurs jours déjà sans qu’on puisse dire d’où lui venait cette rage. Cinq jours et cinq nuits qu’il bousculait tout ce qui était sur sa route, qu’il donnait des grands coups d’épaules à qui était face à lui, qu’il nous pliait à marcher l'échine courbée, les yeux dans les chaussures. Cinq jours qu’il balayait d’un revers de bourrasque tout ce qui pouvait décoller, voler, qu’il envoyait paître le moindre papier, le moindre plastique, le moindre carton. Voilà cinq jours que ce vent terrible nous avait fait basculer, d’un claquement de doigt, de l’été indien à l’hiver inuit. Voilà cinq jours qu’on avait, TOUS, enfilé, vite fait, écharpes et bonnets, blousons et manteaux. Voilà cinq jours qu’on tapait des pieds devant les boutiques, qu’on recevait des poussières dans les yeux et que nos nez coulaient. Tout ce qui était, hier encore, lenteur et flânerie était devenu vitesse et précipitation. Finies les discussions sur les pas des portes. Ce qui volait s’y engouffrait comme des chapardeurs en cavale. Finis les verres en terrasse, les tables y étaient maintenant empilées, blotties, enchaînées, inutilisables. Finies les balades limaçantes, on s’était mis à marcher vite, à faire fissa, à dropper, à cavaler, à filer droit. Finis les détours par la ville vieille, on allait au plus court d’un point à l’autre. Pire on ne sortait que pour l’essentiel. Finies les portes et les fenêtres grandes ouvertes, on commençait à lorgner d’un œil inquiet le volume du bois restant, à jeter un regard bienveillant sur les radiateurs électriques, à se demander où étaient donc les couvertures… Et cette petite polaire que Décembre dernier j’aimais tant et ne quittais plus? Finies les mises en plis orthodoxes, les coiffures sagement rangées, les chevelures, les crinières et les mèches, s'embroussailleraient comme des jardins abandonnés. Ce que je n'aime pas de ce vent là, c'est ce à quoi il nous oblige. Il nous rapetisse, nous recroqueville, nous ferme sur nous mêmes, nous éloigne des autres, nous fait nous presser. Il est à l'opposé de la flânerie, de l'ouverture du temps pris sur le temps, de la balade, de la truffe à l'air. Il chasse de nous la curiosité, le détour, le "allons voir par là, si ça se trouve..." Il nous pousse à l'efficace, au rapide, au bref, au vite fait, au "dépêchons nous ça caille dehors", au "je rentre, chui gelé". Saleté!
J’étais sorti bonne heure, j'avais quitté le chaud, de dessous la couette d’hiver, malgré le vif du froid, malgré le furieux qui distribuait ses gifles, malgré ses ronflements ronchons. Ce qui m'avait fait bondir de dedans mon demi sommeil, de dessous le douillet des plumes? J'avais été réveillé par une colère. Une bien vilaine rougne dont je n'ai pu savoir d'où elle m'est venue. Une queue de cauchemar? J'avais bien essayé de la chasser mais elle m'était restée collée à l'âme comme un sparadrap de bande dessinée. Je n'avais pas réussi à m'en défaire. Ne renonçant à rien, j’étais alors sorti de bonne heure pour marcher dans le vent et lui offrir cette rage qui m'avait saisi. C'est ainsi que j'allais sentir de près l’haleine de ce maudit qui me l'a fait... chair payée. Pauvre imbécile que tu es! Personne n'entend plus personne quand les mots sont jetés dans le vent!
Quatre heures après, j'étais broyé, rompu et... vidé. De tout.
L'autre comme un soufflet de forge en folie ne s'essoufflait pas de souffler.

Peupliers jaunes

13 octobre 2009

Sa main.

Lui, menaçant:
Ma main! Dis, ma main, petit morveux, tu la veux, ma main?
J’avais pas vraiment envie de répondre à cette question, je ne voulais pas lui faire plaisir, voilà tout. Et y répondre c’était lui offrir cette joie. Par dessus tout, j'étais perdant d'avance, comme d'habitude. Soit je disais non et ils était conforté, alors, j’y avais droit, soit oui et je me la prenais. J’ai choisi de me taire. Evidemment, il n’a pas aimé mon silence. Il y a entendu du mépris. Bien sur que j’en avais mis mais je l’avais caché putain bien! Il l’a débusqué ce teigneux et sblam, une beigne. Une seule. Aucune autre n’a suivi, pour cette fois. Parce qu’il avait frappé trop fort? Qu'il s'en était rendu compte? Qu'il s'était fait peur? Non, non, c’était comme les autres, mais après elle, d'un coup, il s’était reculé. Une preuve qu’il n’était pas encore entré en colère. Il ne fallait pas qu’il y arrive. Ne pas pleurer, ça ça le fâchait direct, ne pas pleurer. Je savais par habitude de quoi il était capable quand il atteignait cette marche là, celle de la rougne.
Et voilà, on risquait ça souvent. Ce qui c’était annoncé comme une gentille après-midi tranquille, entre nous, on ne peut guère faire plus peinard, allait se transformer, comme souvent en tornade tumultueuse. Les éléments, enfin ses deux bras, allaient se déchaîner. Eviter ça, le faire redescendre. Je me suis approché de lui et je lui ai pris une main, une des deux, celle qui pendait, celle qui n’avait pas frappé. Et je l’ai serrée. Il a bien essayé de l’enlever, mais il n’a pas pu. Je la tenais trop fermement. Alors, j’ai pu m’approcher de lui. Il s’est tourné vite fait mais j’ai vu une larme couler d’un de ses yeux. Je l’ai vue.
On y retourne? J’ai dit, mine de rien.
Il a grogné un truc que j’ai pas très compris mais ça voulait dire: Brandon, on rentre, t'as des trucs à faire pour ces cons de l'école...
J’ai fait: Oui, on rentre, d’accord. J’ai un peu froid. Je savais qu'il avait soif à nouveau, mais j'ai pas voulu lui parler de ça. Pas maintenant.
Ce que je me demandais en roulant c’est s’il avait vu que je l’avais vue, sa larme. Je préférais que non. C’est pour ça que j’ai été si vite d’accord pour rentrer. Ne pas le fâcher. Faire que l’armistice dure un peu. Toute la soirée? Ne pas non plus exagérer. Sans qu’on sache vraiment d’où, ça revient vite chez ces gens là et moi, lui, je le connaissais depuis douze ans. Faut dire, à sa décharge que je suis pas facile, que j'en fais des conneries, mais douze ans de gifles, ça commence à faire un bail quand on en a treize.
Je suis remonté sur mon biclou et j’ai foncé devant lui, je lui ai ouvert la voie.
En pédalant comme un forcené, une rage dans chaque mollet, en serrant les dents, je me disais: Bien sur, qu’il m’aime, mon père!
A sa façon, mais il m’aime, je le sais, j’en mettrais... sa main au feu.

Vélo Jaune L'isle

10 octobre 2009

Aux bouts de l’Île. (1).

La voiture s’engagea sur la place de la Concorde déserte. Elle venait de la rue de Rivoli.
La nuit faisait son boulot de nuit depuis plusieurs heures, déjà. L’immense espace désert n’était que rarement éclairé par les traces rouges et fugitives de taxis fatigués. La berline noire s’échoua en bordure de la place, du côté du fleuve auprès du Pont de la Concorde.
Ca tombait bien qu’il soit là celui-là, puisque c’est pour lui que les quatre types dans l’anglaise perdaient leur nuit.
Cette nuit, c’était celui de la Concorde, celle d’avant celui d’Austerlitz. Pas l’étage des voitures, celui des métros… Depuis qu’ils avaient débuté, ils les avaient presque tous parcourus au moins deux ou trois fois. Ils commençaient à en connaître chaque centimètre carré, chaque piège, chaque appui possible, chaque risque. Ils en étaient à ne plus les redouter. Il n’y avait plus qu’une chose qu’ils craignaient par-dessus tout, c’était la pluie. Elle rendait les choses encore plus difficiles, encore plus dangereuses, encore plus folles. Heureusement, bien que le ciel menace, les gouttes s’étaient tenues tranquilles ces derniers jours et si l’air était humide, le pont et ses à-bords, eux étaient secs. Les portières de la voiture en s’ouvrant lâchèrent un nuage bleu de fumée de blondes qui s’évapora dans le gris de la nuit. C’étaient des fumeurs qui étaient là-dedans.
Ils étaient six. Ils se sont déployés sur le trottoir avec des regards inquiets alentour.
Ce n’était pas des joueurs de belote. Ils préféraient des jeux plus aléatoires, plus dangereux, plus vivants, aussi… enfin quand on en réchappait… quand tout se passait bien, quand il ne pleuvait pas, par exemple. Il y avait entre eux le même gros paquet de fric à gagner ou à perdre, tout dépendrait de ce qui allait suivre et qui les tenait ensemble comme un boisseau de menottes argentées. Ils se regardaient en chiens de faïence en s’approchant du Pont, à pieds, en grappe. Seul le chauffeur était resté dans la bagnole pour pouvoir se tirer en vitesse au cas où les choses ne se passaient pas comme prévu. Ils s’approchèrent du pont, à pieds, en grappe. Ils se serrèrent les mains sans chaleur, sans rien se dire non plus. Chacun savait, maintenant, ce qu’il avait à faire, et tous n’avaient plus qu’à espérer que cela se passe le moins mal possible, surtout les deux qui allaient d’une manière certaine risquer leurs vies. Alors, trois d’entre eux traversèrent le pont.
Au fond, derrière eux, la masse de pierre de l’Assemblée Nationale semblait les menacer. Ils s’en foutaient pas mal, d’elle.
Les trois autres qui étaient restés du côté de la place se séparèrent. Deux se posèrent à la hauteur du dernier lampadaire dont le cercle lumineux sur le gris du sol marquait l’arrivée. Le troisième grimpa sur le refuge pour piétons, dans l’axe de la chaussée, comme sur une île abandonnée. Pendant ce temps, les premiers avaient traversé. Ils avaient marché à forte allure comme on s’échappe, comme on marche quand on ne doit pas revenir. Une fois là-bas, à l’autre bout du pont les deux plus jeunes se sont défaits de leurs blousons et les ont jetés dans les bras du dernier. Ils se sont serré les mains sans doute pour se débarrasser d’un peu de la peur qui les avait saisi à la nuque. Leurs cœurs gonflés à bloc cognaient contre les côtes et ils commençaient à transpirer. Le porteur des blousons, comme un arbitre de boxe leurs rappela les règles de ce qui allait se passer. Il fallait que tout soit clair, surtout à cause du noir. Mais ils n’ont rien écouté, ils avaient la chance de ne pas en être à leur première fois. On n’écoute plus rien quand on croit tout savoir.
Les deux adversaires se séparèrent et gagnèrent, chacun, une rambarde du pont. Ils y grimpèrent avec des grâces de léopards. Le troisième, qui était resté sur les pavés, alluma une lampe torche et se planta au centre de la chaussée. Il fit clignoter la lumière deux ou trois fois pour que ceux d’en face se tiennent prêts à juger l’arrivée. Les deux types, en équilibre sur les rambardes s’accroupirent. Leurs muscles étaient tendus comme des cordes de violoncelle. Le trait de lumière fendait le pont en deux couloirs. Elle s’éteignit, c’était le signal. A partir de maintenant, ils ne pouvaient plus compter que sur eux-mêmes.
(A suivre).

Une perle...

Si vous en avez le temps et l’envie, c'est là:
http://www.telerama.fr/cinema/pennebaker,47426.php
Quand vous serez sur cette page, descendez jusqu’à la vidéo et l'extrait de Monterey Pop… de D.A. Pennebaker. Un peu avant, couvrez vous les épaules d' une petite laine, parce que là, sont garantis 5' 48 de frissons... Ensuite, asseyez vous, avant de regarder et attachez vos cheveux parce que… ça décoiffe, autant le dire de suite... Et si vous n'avez aucune larme à aucun œil, consultez un lithothérapeute, vous avez peut-être un cœur de pierre. 

image

Joplin Janis, héroïne absolue, morte dans une chambre de Santa Monica, le 4 Octobre 1970 à vingt sept ans d’une overdose de solitude...

07 octobre 2009

Les parfaits du subjectif.

C'est dès leur entrée dans le Pub, un endroit étrange avec des écrans géants sur tous les murs, qui ne diffusaient que des images de hockey sur glace, au plein cœur de la ville, que j'ai su que les deux, là, qui se pointaient, en tapant des pieds pour débarrasser leurs pompes de la neige, allaient profondément m'agacer. Mon intuition était bonne. Ça n'a pas loupé. Ils m’ont agacé, profond.
Dehors, des flocons aussi gros que des meringues tombaient comme des promesses dans un meeting électoral. C’est dire s’il neigeait dru. Je m'étais assis à une table près d'une fenêtre pour profiter du spectacle des rues s'empoudrant. J'avais échoué là parce que j'étais fatigué, j'avais faim, je voulais me poser. Je venais de faire, à pied, le tour complet du Mont Royal en partant du Plateau, en montant par la route et redescendant par le chemin Imolstead, puis la rue Peel, j'en avais abattu des miles et marcher dans un congélateur géant n’était décidément pas ma tasse de thé.
Même si j’avais été secoué, vers la fin de ce chemin de forêt, où des écureuils viennent vous sentir le doigt, où des jeunes gens courageux y pratiquent le ski de fond, quand étaient sorties de derrière le rideau d'arbre, tel un gigantesque vaisseau fantôme, les tours vertigineuses d'une masse comparable à celle d'un New York savoyard... Pfffuit.
Un vrai grand choc.
Je n'avais pas choisi ce pub là en particulier, je n'en connaissais aucun autre. Qu'il y ait eu de la lumière à l'intérieur m'avait suffi.
Très peu après mon entrée, dès que je me suis pelé des épaisseurs accumulées, pour tenter de lutter contre le froid, puis assis, exténué, rougi, transpirant par ces efforts supplémentaires un verre d'eau bourré de glaçons s'était pointé sur la table...
Une plaisanterie? Non, une coutume.
Et, c'est là que les deux du début sont entrés et qu'ils n'ont évidemment pas trouvé d'autre endroit où s'asseoir qu'à la table d'à côté...
Un jeune couple, grand, les deux, beau, les deux, mais surtout elle... Une trentaine resplendissante, pas un gramme de maquillage, fine comme un mannequin anglais, le visage un peu pâle, diaphane, une nostalgie dans le sourire, des yeux, deux, très vifs, rieurs et tristes à la fois, un regard profond. Et des mains, deux, d'une extrême finesse avec de longs doigts très expressifs. Une jeune sœur de Kristin Scott Thomas, vous voyez? Lui, un grand brun légèrement frisé avec de grands yeux bleus Hollywood, une bouche à mâcher du chewing-gum, une voix à faire de l'ombre à Nat King Cole... Ils étaient habillés, classe, les deux, visiblement du chic haut de gamme mais sans clinquant, du chaud, du confortable, du léger, tendance soie-cashemere, vous voyez? Du créateur japonais, éxilé, Yamamoto boutique à Manhattan, sans doute, ou mieux acheté la semaine passée aux soldes de Kyoto. Loin du Quetchua de banlieue parisienne laborieuse, quoi...
Pas une once de fatigue ne se lisait sur leurs visages, pas même une petite rougeur causée par le vif du froid, ils étaient souriants, gais, heureux d'être là, d'y être ensemble, amoureux pas transis... Assis, ils se sont séparés de leurs petites écharpes fashion, de leurs petits bonnets marrants, qui leur allaient si bien, ils ont sorti de leurs poches les derniers modèles de blackberry à touches sensibles et japonaises, ils ont consulté leurs mails en sirotant chacun leur morceau de banquise... En ne jetant aucun oeil à la salle, ni à personne dedans, pas même aux écrans géants.
Ce qu'ils m'ont agacé ces deux là! Leur genre "Yes we can Ada...", leur côté jeunes zaméricains friqués, chouchous des fées, en vadrouille dans le "so exotic montewéal, so kioute, so old..." J'ai fini par espérer qu'ils aient un vice caché, quelque chose qui leur pèse, qui soit une douleur pour atténuer toute cette perfection. Du mal, je leur ai souhaité du mal! Moi qui ne suis que douceur, gentillesse et bienveillance, ils m'ont rendu mauvais comme un troupeau de teignes. Comme j'avais une dent contre eux! Une dent? Une mâchoire, oui!
Mais quand ils ont attaqué leurs steacks noyés dans une sorte de sauce rouge vif et leurs paquebots de frites, l'agacement est monté d'un cran... Ces deux là s’engouffraient des trucs interdits et étaient encore minces comme des fils de soie… Tout pour me déplaire, décidément… Parce que je me battais avec une mini salade Caesar pour anorexique nain?
Parce qu'ils étaient deux ensemble et que j'étais un tout seul?
Les deux, sans doute : Pénibles...
Une seule chose nous a épargné l'affrontement direct: Ils étaient américains ET amoureux, ainsi, Ô Joie d'calice, je n'allais rien comprendre des niaiseries mielleuses, convenues et intemporelles qu'ils ne manqueraient pas de s'échanger en becquetant...
A-t-on idée d'avoir tout alors que tant d'autres n'ont rien? En vrai, et au fond, je leur en voulais absolument de me donner une telle envie de leur jeter tant de pierres... Les gens parfaitement parfaits ont ces deux dégoûtants dons de nous renvoyer à notre médiocrité et de nous rendre mauvais...
Gloire aux imparfaits!

Tables roses

01 octobre 2009

Sale défaite.

Qu’avons nous fait de nos étés ensemble,
De ces soirs étranges où les enfants s’endormaient dans leurs mains?
Qu’avons nous fait de ces brumes, au matin qui tremblent
Freineuses, enveloppantes, empêcheuses de prévoir demain?
Qu’avons nous fait de ces phrases étranglées à la voix presque basse,
De ces mots prononcés en couleurs qu'un vent fou efface?
Qu’avons nous fait de nos caresses en lueurs d'étoiles,
De nos baisers partagés à en génoiser les voiles?
Qu’avons nous fait de ces bouteilles ouvertes,
De ces verres bus, des repas partagés sur la nappe cirée verte?
Qu'avons nous gardé des mille nuits improbables,
Rompus, rincés, brisés aux heures du dessous des tables?
Dis, de ces instants passés ensemble, qu’en avons nous retenu?
Avons nous gardé aux poings, des miettes de ces soirées de fête?
Ou nous résoudrons nous à danser seuls, nus, dans cette sale défaite?
Sommes nous définitivement perdus? Si tu savais... Ce serait bien de le savoir…
Au fond, revivrons nous un jour, les étés des grands soirs?




Mur ocre

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