16 mars 2017

Miss île.

Si tu n’avais rien à te reprocher tout était parfait. Si tu n’avais pas pensé de travers, si tu ne t’étais pas éloigné de la route,  quelle qu’elle soit, si tu n’avais  dévié ni de la doctrine ni de la règle édictée ça pouvait aller, ça pouvait peut-être passer. En revanche, si tu manquais de clarté sur un point, si tu pouvais être pris en défaut sur un autre, si tu n’étais pas tout à fait sûr de ton fait, de ton choix, si tu n’étais pas complètement persuadé du bien fondé de ta démarche ou de ta parole, des phrases que tu avais construites, des mots dont tu t‘étais servi voire même de ceux dont tu allais te servir, alors là, là gare à tes abattis ! 

Il était déjà bien trop tard pour les numéroter. Il ne te restait plus qu’à espérer pourvoir les rassembler et reconstituer le tout, à peu près dans le bon ordre du moins dans un ordre qui ne la mettrait pas en boule, qui ne risquerait pas de nous l’énerver. Au moment même où tu disais ce que tu avais à dire, il valait mieux que ce soit concis, vrai, précis et que ça tombe juste. Sinon tu étais rafalé, dézingué, laminé, schrapnellisé, soufflé, éparpillé. Je me suis longtemps demandé, sans jamais avoir de réponse satisfaisante, comment une chose si frêle, si douce d’apparence, si fragile, au premier abord, pouvait envoyer de telles horreurs.

Ah ça pour être jolie, elle était jolie mais cette fraîche beauté pouvait vous torpiller d’une phrase et parfois d’un mot. Un souffle de dragon, un jet de vapeur acide et vous étiez mort sur place, pétrifié, gazé de près, inutile, défait et perdu.

Entre nous, loin de sa présence matérielle, physique, quand on savait où elle était et que c’était loin de là où nous étions nous l’appelions Miss Île parce qu’elle était capable de nous balancer en pleine face et sans sommation si ce que nous avions pensé ou dit ne lui convenait pas. Miss Île, ça lui allait comme un gant dans une boîte. Au début de notre relation, on avait penché pour Torpille et puis nous avions trouvé cela réducteur. Une torpille n’était tirée que d’un sous marin, un missile, lui, pouvait être envoyé de n’importe quel engin et pouvait aussi être sol sol, sol air, sol mer. Bref, quand elle envoyait ses horreurs elle le faisait de là où elle était et ça partait à chaque fois en ne tombant jamais très loin du rond  rouge le plus central de la cible. 

Le dernier que j’avais reçu et qui m’avait séché c’était hier soir, je lui donnai une des dernières cuillères d’une  soupe préparée avec amour et des légumes frais. D’un coup, elle s’est arrêtée, m’a regardé avec son petit œil noir, celui qu’elle savait si bien prendre dans ce genre de situation, celui dont je savais que je ne devrais plus insister pour une autre, qui signifiait que la soupe c’était fini, que j’avais laissé passer ma chance. Là, elle m’a jeté définitive et glacée, elle aussi: C’est froid.

Tant d’acération dans un corps de quatre ans, il fallait le voir pour l’entendre …




9 commentaires:

M a dit…

Le gène droit au but ?

chri a dit…

@ M Oui, ou celui du caractère, comment dire... bien bien trempé, aussi...

Anonyme a dit…

J'ai bien ri ! Connaissant ton art du suspens, je me doutais quand même de l'identité de la gazelle !

Papy

chri a dit…

@ Papy La photo aussi sans doute, je n'aurais pas dû?

Anonyme a dit…

Nan nan,j'avais deviné et tu peux laisser la photo. On ne la reconnaît pas trop sous son joli chapeau !

chri a dit…

@ Papy Bon.

Tilia a dit…

La description m'a fait penser à une certaine proviseure de lycée que j'ai bien connue. Haute comme trois pommes mais pète-sec, elle menait tout le monde à la baguette, élèves, personnel administratif et enseignants. Comme vous dites, un vrai dragon !

Votre petite diablesse parait bien armée pour faire son chemin dans le monde actuel sans se laisser marcher sur ses mignons petits arpions ;-)

chri a dit…

@ Tilia Puissiez vous dire vrai! Qu'on ne me l'emmerde pas!

chri a dit…

@ Tilia Qu'elle craigne dégun...

Publications les plus consultées