26 septembre 2022

Le voilà

Le matin, dans l’encore noir, le café coule avant que les volets soient poussés, du reste on a hésité longtemps avant d'ouvrir la fenêtre.

Ce soir on ressortira la couette du placard à couettes.

Avec la pluie de cette nuit, la brume va tout engloutir, comme hier on ne va pas voir l’horizon.

Le beurre n’a pas été rentré cette nuit il sera même un peu dur.

Puisque c’est comme ça, on va rester à l'intérieur.

Les cigales n’ont plus le temps de chanter, elles posent du papier peint dans les chambres des petits. 

Après les pluies de la semaine passée, l'eau de la rivière est remontée au dessus de nos genoux.

Si le vent a fait place nette, le linge n’a pas séché tout à fait.

Dans tout ce bleu, vers le Sud, passent des vols en v cadencés.

Les feuilles les plus hautes du cerisier ont commencé de rougir. Alors, vaguement jalouse, la vigne vierge s'y est mise, aussi.

Le chat n’a pas dormi dehors cette nuit.

On se contente de mettre le nez sur une des dernières roses, on choisit de ne pas la couper.

On sent parfois au cœur des après-midis des odeurs de fumées de feux de feuilles.

On pense au numéro de téléphone du ramoneur.

Quelques articulations rappellent leurs existences.

On hésite à enfourcher la bicyclette.

On se demande : Où est mon écharpe grise?

Plus trop de doute possible si l’un s’en va, l’automne s’en vient. 





08 septembre 2022

Partire

 Ce qu’il n’aimait pas, se disait-il en gavant son sac de voyage, c’est partir. 

Arriver ça, l’idée lui semblait depuis toujours davantage séduisante, elle le mettait sous une tension agréable, comme si ses sens s’éveillaient. Comme s’il s’ouvrait au monde. Alors il était prêt à sentir de nouvelles odeurs, de nouveaux parfums, il avait hâte de parcourir de nouvelles rues, d’admirer de nouveaux horizons, de lever les yeux sur des cieux inconnus, prêt à scruter de nouveaux visages, à entendre d’autres musiques mais partir… Partir c’était toujours, pour lui, s’arracher de quelque chose, perdre, s’amputer d’un membre,  se diminuer. 

Surtout ne lui faites pas, même gentiment, remarquer que pour arriver il faut partir, il risquerait de le prendre assez mal et comme il est d’une mauvaise foi redoutable vous n’obtiendriez pas gain de cause, il se pourrait même qu’il vous envoie bouler assez violemment, s’il ne se fâchait pas, pour la vie, entière. Ce serait quand même ballot de perdre définitivement un ami pour une petite précision de rien, du plus élémentaire bon sens.

Il s’était souvent interrogé, il avait retourné le problème dans tous les sens possibles et imaginables, il était remonté le plus loin qu’il a pu dans ses souvenirs, il avait travaillé  la question de fond en comble et après cette longue longue recherche il était arrivé à la conclusion que quel que soit l’endroit où il allait, quels que soient les gens que le départ allait l’amener à voir ou retrouver, quel que soit ce qui qui l’attendait au-delà du voyage, la plus merveilleuse des îles, la plus fantastique des villes, le plus merveilleux des paysages, partir, il n’aimait pas ça. Et même pire, le bonheur d'arriver quelque part pouvait être salement gâché si, à peine arrivé, lui venait l'idée qu'il faudrait, un jour, s'en aller. Il avait tellement de mal avec les départs qu'il était absolument incapable de prendre des billets à l'avance comme il fallait le faire. Des billets sur son bureau un mois avant le jour c'était, pour lui, l'assurance d'un mois de contrariété. Aussi il ne lançait la machine qu'à la dernière minute de l'avant dernier jour.

Il ferait sans doute une exception pour le Montana où il rêvait d’aller et encore. Dès qu’il se voyait faire des valises même pour le Montana, l’envie d’y aller lui semblait moins impérieuse. Les « à quoi bon » déboulaient très vite, les il y a les films, les livres, tout ce trajet pour ça est ce que vraiment ça vaut le coup, puisque tu sais ce que tu vas y voir, tu sais la grandeur et la beauté des paysages, tu les connais, tu les as déjà vues des centaines de fois… Est-ce-que ça va changer quelque chose que tu vois toutes ces merveilles de tes propres yeux ? Est ce que seuls tes yeux peuvent te montrer la beauté du monde ? Ceux des autres, de ceux qui voyagent, ceux qui quittent, qui partent, qui lévent les camps, qui embarquent ne peuvent pas te suffire ? Alors la tentation était grande de tirer sur la fermeture éclair du sac et de remettre ces quelques tee-shirts, la trousse de toilettes et le reste dans l’armoire avec le sac à dos et le soulagement d’un coup l’envahissait et s’écoulait en lui comme une huile chaude. Son cœur retrouvait un rythme normal, il respirait mieux, c’était joué, il allait rester là, ce soir, il n’allait pas partir.

Partir pour lui c’était mourir un peu. D’ailleurs c’est ce qu’on disait d’un mort.

Nous y étions. Au fond, c’était bien contre cette idée là qu’il était.

 

PS  Il sait bien qu’il n’y a pas de e à la fin de partir mais il trouve que ça l'équilibre… 

Partire... Une part de soi qui se tire?

Pour faire bonne mesure, il n'aimait pas non plus que les autres partent...




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