27 juin 2014

Pour Altaïr.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Le texte devait commencer par: Il s’en serait fallu d’un poil. 

Il s’en serait fallu d’un poil pour que la pizza géante aux quatorze olives lumineuses, en vol stationnaire qu’il saluait de la main, ne vienne se poser sur le balcon de la chambre de William B. Wallcoat (comme un manteau).
Il en aurait pleuré de joie. Depuis le temps.
Elle a survolé deux ou trois fois l’immeuble entier, elle est restée un moment comme en attente au-dessus du grand réverbère de la rue, celui que William B. Wallcoat (comme un manteau) appelait Ana Franil, celui qui éclairait de son halo de sodium l’entrée de l’immeuble où désormais vivait William B. Wallcoat (comme un manteau).
Ana Franil avec laquelle Wallcoat s’entretenait régulièrement de l’état du monde, de ses ratés, de ce qui, selon eux, ici bas clochait, mais aussi de leurs espoirs pour qu’il soit meilleur et plus doux à vivre pour les hommes et les femmes de paix (surtout elle) qu'ils étaient tous deux. Une fois la conversation terminée, Wallcoat (comme un manteau) saluait Ana Franil et s’allongeait sur son lit pour encore penser à la marche du monde et tenter de lui insuffler une énergie bienveillante,  voire  réparatrice. Oh, ils avaient bien trouvé dans leurs échanges quelques solutions pour qu’il soit davantage vivable, le monde, mais il fallait maintenant le faire savoir et, des deux, Ana, en personne avait chargé Wallcoat de s’y coller. Il avait rassemblé le tout, l'avait mis en formes, dans un carnet noir qu'il gardait sous son oreiller, sous le titre direct et sans fioritures : Qu'enfin ça bouge ! Les éditeurs allaient se battre. On allait voir ce qu’on allait voir, la reconnaissance n’était pas si loin qu’elle en avait l’air. Et pourquoi donc un huissier de Châtellerault n’y aurait-il pas droit ? 
Il ajoutait dans un sourire en haussant le ton :
___ Ça va vous en boucher un coin, à tous autant que vous êtes. Même toi Françoise tu vas être épatée.
C’est à cet instant qu’on a frappé à la porte de la chambre. Il s’est levé, il est allé l’ouvrir. Elle était là, souriante, dans sa blanche blouse, un plateau en mains. Ce soir là, William B. Wallcoat (comme un manteau) a glissé les quatre pilules rouges entre sa joue et sa mâchoire, il a envoyé un clin d’œil appuyé à Mlle Ratched et il est retourné se coucher.

C’est peu après vingt trois heures qu’Armand, Armand Taud, pensionnaire de la chambre quatorze, a grimpé dans la navette et a décollé droit pour Altaïr où il espérait que Françoise régnât toujours.


20 juin 2014

WAOUF.

Pour les Impromptus littéraires. Il fallait faire parler un animal de compagnie.

Un soir, dans une banlieue privilégiée, tranquille, deux voisins, pattes levées en arrosant le même platane :
___ Et du tien tu en es content ?
___ Ça va, il n’est pas chien. Le seul problème c’est leur chat. Je ne peux pas le voir celui-là, il me le rend bien, dès qu’il peut il m’en fait une belle et c’est toujours sur moi que ça retombe. Mais tu sais, moi je ne peux pas trop me plaindre vu qu’il m’a récupéré à la SPA !
___ Ah bon ? Toi aussi ? Ça se fait beaucoup dans le quartier ! Moi c’est l’A6 en Aout. Ces bâtards, pas ceux de maintenant, les anciens, m’ont fait croire qu’ils s’arrêtaient pour me faire pisser et à peine j’étais sorti la truffe au vent, ils en ont profité pour se barrer. J’ai bien couru après la bagnole mais ils ont vite accéléré. Au début comme un con j’ai même pensé qu’ils m’oubliaient, je me fourrais la patte dans l’œil, je me suis mis à gueuler derrière la voiture, mais non, ils foutaient le camp en me laissant là. C’est un routier qui m’a pris avec lui. Tu me crois si je te dis que dans son camion, juste là, derrière il avait deux tonnes de croquettes. Je ne te raconte pas l’odeur qui flottait dans la cabine… J’étais comme un fou. J’ai passé les deux heures du voyage à baver… Il m’a largué au premier refuge à cause de ça…
Et toi ?
____ Oh moi, classique, banal,  ils m’ont viré quand ils ont eu un bébé, ils ont sans doute eu peur que je le bouffe. C’était idiot, je n’en mange pas de ces trucs là. Ça a un goût de lait. Beurk ! Et puis ceux-là, ceux d’aujourd’hui sont venus me chercher voilà deux ans maintenant. On habite au 28, juste là derrière, la maison aux volets verts. Elle, elle est au poil. Lui il est gentil mais un peu psychorigide. Je lui fais ce qu’il demande et il me fiche la paix : Assis, debout, couché, va chercher, pas bouger toutes ces conneries auxquelles il est attaché surtout devant ses potes. Il aime ça… Ça doit lui donner une importance. Il n’y a qu’un truc que je ne ferais jamais : lui rapporter son journal dans la gueule, j’ai essayé au début pour lui plaire mais l’encre a un goût si dégueulasse… Le sachet de croissants, il a essayé. Une fois. La vache c’est bon ces trucs là !

C’est, sans doute, à ce moment que j’ai crié dans la rue…
___ Didier ? Didier ?
___ Quand on parle de l’homme ! Waouf ! Waouf ! J’arriv ! Deux s’condes ! Waourf ! On n’est pas aux croquettes ! Waouf !

Ravi aussi de t’avoir connu, vieux, on discutera un autre jour, je te laisse de mes nouvelles sur cet arbre quand j'y passe ?



19 juin 2014

El guapito bello.

Pour tout dire, c’était un type plutôt désagréable, mais quand on s’en rendait compte, il était déjà trop tard, on avait succombé, on était sous le charme.
Il avançait dans la vie comme un renard dans un congrès de poules...
Ah ça, il était séduisant, on ne pouvait pas le lui reprocher le contraire. À ce propos, il avait quand même un gros handicap c’est qu’il était parfaitement au courant de la séduction puissante qu'il diffusait, tant et si bien qu’il n’avait jamais à la forcer. Il savait l’effet que produisait son regard et pas seulement sur les jolies femmes. Il savait que c’est ce qu’on repérait chez lui en premier, avant même d’avoir eu affaire à son sourire, bien avant, d'avoir aperçu son allure athlétique, élancée, bien avant le plat de son ventre surprenant pour un gars de cet âge. Il savait sa décontraction nonchalante, son élégance naturelle et sa mobilité féline. Il pouvait encore marcher des heures, courir des heures, rester debout des heures si c’était ce qu’il convenait de faire sans même que ses chevilles enflent d’un centimètre. Une circulation retour exemplaire. Il ne se trompait pratiquement jamais ni de lieu, ni d’acte, ni de phrases, ni même de mots. N’en eût-il fallu qu’un seul, il se serait servi du bon...
Les vêtements qu'il portait tombaient juste même s'il ne s'habillait pas haute couture. Il était du genre à s'enfiler un sac poubelle et avoir fière allure. À part pour les ordures, ce n'est pas donné à tout le monde.
Il était affable avec les affables, distant avec les distants entreprenant avec les timides et apaisant avec les coléreux. Il n'était pas seulement adapté, il était l'adaptation.
À toutes les situations, à tous les milieux, à toutes les circonstances.
Pour couronner le portrait, il pouvait se poser devant un piano, voire en jouer brillamment quelques mesures, il ne maniait pas si mal une raquette de tennis et tripotait joliment le Rubik’s cube. Il aimait les échecs, il pouvait s’asseoir à une table de bridge sans être ridicule et au scrabble il gardait rarement le Q sur sa réglette. 
Il savait, au goût, faire la différence entre un Saint Estèphe et un Châteauneuf du Pape même s’il préférait le Sancerre rouge. À condition d’avoir quelques œufs sous la main, il vous servait en deux temps trois mouvements une omelette aux truffes et à la crème, il savait préparer les jeunes pousses d’épinards et vous levait des filets de sole sans les esclaper. Il n’avait aucune idée de comment élever un enfant mais dès qu’un chat était dans la pièce où il entrait il cherchait ses genoux pour s’y lover en ronronnant comme une camionnette diesel à l’arrêt. 
Il faisait partie de ces types qui n’ont peur de rien, ni de personne, pas même d'eux. Eux ne peut pas les intimider puisqu'ils les aiment.  Dix minutes après être entrés dans un bar inconnu, ils sont capable d'aller derrière le comptoir, servir des coups à tous leurs nouveaux amis pour la vie. Même si la vie ici ne dure que deux trois heures. À l'aise avec un demi, une coupe, un shot ou un ballon d'Côte...
Il ne rappelait jamais mais on l’appelait toujours. J’aurais aimé être lui, mais je n'aurais pas voulu lui ressembler. Au fond, à cause de tout ce qu'il était, je le détestais, viscéralement. Mais pas seulement. Pour dire vrai, je le haïssais surtout parce qu’il faisait naître en moi une violence qui me faisait peur. 
En sa douloureuse présence, je n’avais qu’une envie, celle le gifler abondamment.


Aussi, je me demandais souvent : si j’étais lui est-ce que je m’aimerais davantage ?


11 juin 2014

Celui du soir.

La plupart du temps, à partir du début Juin, c'est surtout vers le soir qu'on le prenait.
Et si, le jour, on l’avait passé comme dans une étuve ou un fumoir à saumons, c’était encore mieux. Plus les vêtements nous avaient collé à la peau, mieux c’était. Plus le chaud avait pesé sur les épaules et les nuques, meilleur c’était. J’avais mon coin. Loin de celui de la majorité des autres. Il se méritait. J’y arrivais souvent quand quelques uns s’en allaient, cuits et recuits comme des spéculos oubliés au four. Rouges et rerouges, cramés  comme des aras confits.
Avant de la voir, on entendait déjà sa puissance silencieuse. C’est que le courant était encore musclé à cet endroit. Nous n’étions qu’à quelques kilomètres de la source, enfin de la résurgence. À partir de là-haut, ça poussait fort derrière puisque la flotte déboulait de toutes les montagnes au-dessus. 
Une fois sur la rive, le rituel était toujours le même. D’abord s'en mettre plein les yeux en admirant sa transparence, les beautés fugitives des éclats de lumière, le vert ondoyant des grandes algues balayé par le courant, les flèches furtives des grandes truites cachées sous les algues, un vol électrique de martin-pêcheur filant au ras de l’eau, les sautillements énervés des libellules bleu sombre, les approches bruyantes et rasantes des martinets venant boire becs ouverts, les tourbillons parfaits et changeants au cœur profond de la rivière, les couleurs variantes selon les fonds, clair pour le sable, noir pour les pierres, vert pour les verts des herbes…
A cet endroit, le flux, baissant avec l’avancée dans les saisons, avait laissé en plein mitan du lit de la sorgue, une virgule de pierres devenues blanches une fois séchées. Et cette virgule faisait comme une île. Une île en long d'une bonne douzaine de pas, unique, souvent déserte mais sans palmier.
On pouvait y accéder à pied mais il fallait alors  traverser un avant-bras de rivière et donc se mettre à l’eau. Avec la profondeur à cet endroit, on  avait de l’eau jusque sous les aisselles, pour les plus petits. C’est là qu’il fallait se lancer. Posé le premier pied sur le fond sablonneux, une escouade de je ne sais quoi surgie d’on ne sait où venait s’agripper à votre mollet et s’appliquait à vous le mordre avec ardeur. Il fallait laisser faire, attendre, patienter, serrer les dents, se retenir de hurler, ne pas jouer les hérons,  ils allaient se lasser. Cela passerait. Et cela passait. On pouvait alors poser l’autre et recommencer l’attente. Et puis, après un certain temps, le corps s’habituait et ce qui était impossible devenait envisageable. Alors, on allait poser le pied sur l’île et s’y allonger. Là on s’y trouvait comme du fromage blanc sur une  tranche de pain de campagne grillée: Au bon endroit. Seulement, si au début tout va bien, peu à peu, ça se gâte. Il fallait vite se tremper à cause de la chaleur. Entier, d'un coup, d’un seul. Et là, là un mélange bizarre : morsures et bien–être. Morsures agressives et bien-être total. Il y avait fort à parier que dans les beaux quartiers de la capitale, certains seraient prêts à dépenser des fortunes pour un tel traitement. Pour peu qu'une vague chanteuse à la mode s'y adonne, le fasse savoir sur instagram (on n'en perd pas une miette...), qu'ils soient accueillis par un gourou en toge de lin et soie blanche de chez Armani, tout juste sorti d'un ãshram bio dans la Creuse et qui, entre parenthèses, aurait, en son temps, initié John Lennon  et Trini Lopez.... Puis, les morsures s’adoucissaient, il ne restait plus qu’un sentiment d’allègement. La température corporelle si élevée que le sang qui n’allait pas tarder à bouillir redescendait et tout le poids insupportable de la chaleur qui avait pesé tout le jour sur chaque centimètre carré de peau s’évanouissait. On en aurait eu besoin, on aurait pu voler.
Aussi, on se plantait là dans le fort du courant, qui nous massait fermement les jambes, on faisait corps avec le frais, on était juste présent au monde et calmé.  De temps en temps on s'enfonçait en entier dans le froid et puis on se relevait. Debout, au clair de l'eau claire, là et apaisé…
J'avais pris le bain du soir dans la sorgue, j'en revenais comme à chaque fois, débarrassé des pesanteurs chaudes du jour et, s'il n'avait pas fait de moi un homme heureux, au moins, m'avait-il accroché au visage, ce petit air si reconnaissable d'imbécile comblé...

06 juin 2014

Omaha Bed.

J’avais éteint le poste, lassé terrifié des images si violentes de toute une jeunesse tassée au fond de barges, qu'on allait débarquer pour être massacrée sur une plage de France, de sable, sous le feu, la mitraille et l'acier.
Je m’étais couché vers minuit. 
Dans leur chambre c’était redevenu calme après la tempête à laquelle ils ne nous avaient pas conviés. Au moment d'éteindre les lumières, ils  avaient dû engueuler comme d’habitude à propos de rien et cette altercation n'avait pas permis à leurs parents d’être ni juste, ni cohérents, ni persuasifs. Alors, à court d’argument, ils avaient fait mine de sévir avec la grosse voix qui va bien:
___ Si ça continue, vous prenez chacun une fessée carabinée. 
C'est ce que j'avais nettement entendu. Et puis, ça c’était apaisé. J'avais salué le Miracle comme il se méritait. 
Je m’étais endormi assez vite en me disant que le lendemain matin, au moins, je serai un peu tranquille, il récupéreraient. Tu parles.  J’avais eu droit à un réveil en sueur à cause d’un vilain cauchemar. Une saleté de mélange des images de tous ces pays en guerre et de notre vie à nous si en paix... 
Dans la nuit, je m’étais levé vers trois heures pour aller pisser. Oui, j’avais enfin et malgré moi atteint cet âge où les nuits ne se font plus d’une traite à moins d’employer les gros moyens : Ne plus boire après midi ou mettre des couches. J’avais pu voir que dehors, le temps était épouvantable. Pluie et vent. Encore un juin de merde qui s’annonçait. C’était malheureusement le lot depuis quelques années et ça continuait parfois jusqu'en Aout. Où étaient-ils les juins à hannetons ? Je me suis souvenu encore de ce juillet entier passé à bricoler une barrière de bois à la lueur d’un néon malade, tout enfermé dans un garage… Les saisons foutaient le camp et ça n'inquiétait encore pas grand monde. 
La pluie battait les vitres que, bien entendu, profitant d’une accalmie, j’avais nettoyées la veille.
Je somnolais gentiment, une oreille inondée par les pitoyables nouvelles du jour à venir, ainsi que celles  du jour passé. Le monde n’était pas dans une  forme éblouissante. Le climat se dégradait, tout le monde s’en foutait, on mourrait par grappes entières à nos frontières, le monde s’en contrefoutait, en plusieurs endroits, on s’y assassinait à bombes que veux-tu et personne ne s’en préoccupait vraiment… Du moment que la bourse restait ouverte...
C’est à cette instant que ça a basculé. Il ne faisait pas encore tout à fait jour quand, en ce matin du six, les deux, ensemble, ont sans doute poussé la porte de la chambre et se sont apparemment jetés sur leur lit en hurlant.

Leur D Day à eux venaient de leur tomber dessus, et ça faisait à peu près trois ans, maintenant, que chaque matin il se recommençait... Leur chambre était pile poil au-dessus de la mienne et à chaque fois, je maudissais ces salopards d'architectes, ceux qui n'habitaient pas dans ce qu'ils construisaient. 
Aujourd'hui, j'aurais encore ma sinistre tête de dommage collatéral...


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