28 décembre 2016

Le tout premier.

Comme je n'ai pas creusé de piscine dans le jardin, quand c'est le moment ou plutôt l'envie, nous allons encore nous baigner dans une des rivières qui courent comme des veines dans toute la région. Elles semblent nombreuses mais en vrai, ce n'est que la même au départ qu'on a divisé à plusieurs endroits pour irriguer toutes les terres agricoles de la région ce qui était plutôt bien vu étant donné les chaleurs qu'il pouvait y faire en été et la rareté des pluies. Celle dans laquelle on se trempe, n'est pas loin de la maison, on y fait un saut en voiture. On peut y aller en bicyclette. 
On a fini par repérer un endroit, au bout d'un champ immense et sec où les bagnoles ne peuvent pas aller. Pas encore. Elle est vive, d'une pureté incroyable puisqu'elle sort de terre à quelques kilomètres de là après avoir été filtrée par les collines pendant plusieurs jours. Elle n'a qu'un défaut mais on s'en accommode en deux trois bains. Elle est froide. Et froide n'est pas le mot exact. C'est même assez loin de la vérité... Avec gelée, on s'en approche.
Imaginez un frigo qui déverserait de la flotte en continu. He bien vous y êtes. De plus, comme elle court vivement, elle ne se réchauffe pas,  elle n'en a pas le temps, elle est donc en permanence à douze treize degrés. La première fois qu'on y entre une jambe, elle est comme mordue par une escouade de piranhas affamés et puis de longue, on finit par s'habituer aux morsures. Ce qui était douloureux devient agréable surtout au plein coeur de l'été quand on est écrasé de chaleur comme ça arrive souvent par ici. Un bain en fin de journée, par exemple de retour de la ville fait un bien fou. La température du corps descend de trois quatre degrés, la fatigue et les courbatures fichent le camp de  chaque cellule de  chacun de nos muscles. On se sent revenir à nous-mêmes, revivre, d'une certaine manière.
Donc nous voilà partis en petite troupe joyeuse et déterminée.
Comme nous aimons notre confort, nous emportons avec nous de superbes fauteuils pliants pour nous installer dans le lit même de la sorgue, avec les pieds dans le vif de l'eau et parfois, en cas de grosse chaleur, les fesses. Une fois là-bas, nous rêvassons, nous parlons, nous ne faisons rien d'autre, en vrai, que d'y être bien, le mieux possible. Nous passons le temps le plus agréablement avec un bain Joseph quand la chaleur se fait trop chaude.
C'est là que c'est arrivé. En sortant de l'eau, elle avait froid. Elle a réclamé sa tétine.
Je l'ai entourée d'une grande serviette, bien plus grande qu'elle, j'ai assis le paquet sur mes genoux, là, là, d'une main, elle a pris mon gros pouce, de l'autre, elle a entouré la nouvelle équipe puis elle a posé sa tête sur mon épaule, elle s'est lovée, recroquevillée dans la chaleur enveloppante de la serviette, elle a fermé les yeux et dans un silence étonné, elle m'a fait son premier câlin... En trois ans.
J'avais un glaçon en forme de petite fille dans les bras et c'est moi qui fondait...

C'était son premier. C'était MON premier. Il avait un goût sucré de rose éternelle celui-là...

Pendant cet instant suspendu, son grand frère lui, était très occupé à affronter au bâton une armée d'envahisseurs dragons sauvages  déboulant d'un canyon qu'il avait creusé à même les pierres du lit de la rivière...

Le sien viendrait un peu plus tard, quand les dragons seront définitivement matés.

Alors que cette année va se terminer, malgré toutes les horreurs épouvantables qu'elle a connu, les assassinats, les meurtres, les bombardements, les coeurs fermés, les terreurs sanglantes, je veux croire, au moins le temps de l'écrire, que ce sont ces trois minutes de tendresse qui peuvent sauver le monde...



23 décembre 2016

Puisqu'elles sont cuites.

Tu as bien trois, quatre carottes en espérance quelque part? Un oignon qui ne demande qu'à être cuisiné? Une poignée d'olives noires de Nyons au frais? Des épices qui trainent? Du curry? Un bouquet de coriandre fraîche?  De l'anis étoilé? Une branche de thym? Du sel, du poivre?
Alors, si tu es capable, toi, de rassembler tout ça, maintenant, tu peux t'y mettre:

Épluche les, les carottes, et coupe les en petits morceaux. Épluche aussi l'oignon et fais en d'autres morceaux, petits. Applique toi, ça te concentrera sur la tâche et pourra, peut-être, te divertir, au moins le temps de la coupe, des malheurs du monde.
Prends une casserole à fond plat (En profiter pour écrire que je n'ai jamais vu de casserole à fond ondulé mais bon...En revanche quelqu'un qui avait des casseroles en tôle, oui...). 
Mets-y dedans, une cuillerée à soupe d'huile d'olive et une belle noix de beurre. Quand l'huile est chaude mets-y l'oignon, puis les carottes et remue. Poivre, sale, curryse, herbise (branche de thym, feuilles d'origan, étoile anisée). Sucre d'une cuillerée à sucre de cassonade. Mets-y les olives. Si tu trouves des raisins blancs de Corinthe n'hésite pas. Remue. Mets-y la coriandre hachée menue. Remue.
Mets le feu très bas, couvre et laisse mijoter le temps qu'il faut en remuant de temps à autre. 
Et si, par un heureux hasard, tu viens d'ouvrir la bouteille de Saint Véran qui était au frais, ajoute-z-y un quart de verre de blanc si besoin. 
Quand le tout commence à fondre, c'est bon tu peux arrêter le feu.

Elles le sont, cuites, tes carottes. Et cette fois, cette fois, tu t'en réjouiras.


19 décembre 2016

Ainsi, nous aurons fait le tour...

Décembre s'épuisait. 
Dehors, même le thermomètre était gelé. La nuit s'était installée depuis de longues heures.  Elle avait posé ses grosses pattes noires sur tout le village, dans tous les jardins, sur tous les toits de toutes les maisons qu'on avait fermées à double tour. Heureusement, à l'intérieur,  dans la cheminée une ou deux bûches finissaient de se consumer en proposant une chaleur douce et confortable. Le repas avait été pris. Il avait été allégé pour corriger les excès de celui de midi. Une soupe de potiron à la coriandre et au parmesan, un morceau de fromage et une ou deux clémentines de Corse, celles vendues avec les feuilles que personne ne mangeait.
Et puis, dans la douceur de cette nuit d'hiver, devant le feu rougeoyant, quelqu'un a dit:
Et si on revoyait Le petit prince a dit? Vous l'avez déjà vu, n'est-ce-pas? Mais si ce film de quatre vingt douze... Mille neuf cent quatre vingt douze...
Non? C'est quoi l'histoire?
Ouh là, je vous préviens ce n'est pas gai, gai. Et le fait de savoir que la réalisatrice, la très jolie Christine Pascal se soit passée par la fenêtre quelques années après n'ajoute pas à l'absence de gaudriole...
Charmante soirée que tu nous proposes là!
Vous allez voir c'est profondément triste mais pas larmoyant, c'est aussi, à sa manière, un hymne à la vie et puis si bien incarné, Anémone y est formidable de tendresse et de folie, Richard Berry si intense, la petite fille est une merveille de justesse et d'émotion...
Cette façon qu'elle a,  Violette de murmurer: Va chier avec ta salade à la noix...
Ou: Papa, quand est-ce-que je vais mourir?
On pourrait citer pratiquement toutes ses répliques tant cette gamine est poignante.
Il y a toutes ces scènes superbes, les chansons enfantines hurlées à tue-têtes dans la voiture, l'épisode dans la montagne, le bord de la piscine, le compte rendu de scanner, la bataille d'eau, les bananes flambées et cette fin si poignante où à chaque fois j'oublie combien son père serre fort contre lui l'oreiller de Violette.
À chaque fois retourné, à chaque fois en pleurs...
Ben on va regarder ça alors...
C'est bien, c'est un bon soir pour revoir Le petit prince a dit...




Finalement, nous avons revu le petit prince a dit, nous avons beaucoup pleuré. Il n'a pas pris une ride. 
Pas comme nous.
Puisqu'il nous reste des kleenex, demain soir je nous propose de revoir le film de Nanni Moretti: La chambre du fils. 
Ainsi, nous aurons bien fait le tour...




03 décembre 2016

Un soir d'hiver.

En passant près de la fenêtre, je vois au dehors, un fin croissant de lune, clair dans le ciel lisse et de glace d’un début de nuit limpide, une étoile s’allume tout près de lui. Au loin, vers l’Ouest, tout un horizon rougit. Le noir en un gang feutré de chats de gouttières s’empare des tuiles des toits. Il s’installe comme une pâte liquide au fond d’un plat, s’insinue sur tout son territoire, le recouvre à l’étouffer. Puis il règne. En maître.
Autour de la parenthèse ouverte et lumineuse, un concert d’étoiles est désormais visible à notre œil nu. Elles scintillent dans le froid qui, lui, frappe à la vitre. Une pie s’envole et se pose près d’une cheminée fumante. C’est que dans les maisons, on a allumé les feux, c’est qu'ici, ces soirs, le froid s’invite, déboule et s'impose.
La voix, sur un fil, tremblante d'émotion d’une chanteuse noire écorchée vive envahit la pièce. Elle est en même temps force et fragilité, cristal et granit.
C’est l'enregistrement d'un concert donné au public à Montreux au siècle dernier, en mille neuf cent soixante seize... Une des plus belles musiques jamais entendues. 
Sa solitude et sa souffrance exprimées y résonnent avec les nôtres. La fatigue, maintenant, nous pèse sur les épaules. Nous frissonnons encore mais ce n’est plus seulement de froid.
Dehors, la petite parenthèse était plus lumineuse.

J'aimerai qu'on s'accorde sur l'idée que, là-haut, une étoile ou dix mille, Nina s’y nomme...








26 novembre 2016

Le sanguin.

Le vent s’était levé. D’un coup.
Fidèle à ses mauvaises manières, ça lui avait pris comme une envie de souffler. Ça lui prenait très souvent comme ça. 
Si, depuis le temps, on s'était un peu habitué à ses si soudaines sautes d’humeur, il arrivait encore qu'il nous étonne par son imprévisible brusquerie. À neuf heures il dormait d'un sommeil lourd, dans du calme plat, c'était une pétole à entendre les mouches voler, les cheveux pousser, à écouter les papiers se froisser seuls et à neuf heures deux, il hurlait, tempête impétueuse, ouragan batailleur. Tu sortais de chez toi bien peigné, tu rentrais les cheveux en bataille, la mise en vrac. Le tout sans signe avant coureur, sans le moindre préavis. J’étais couché, je me lève. Et je bastonne tout ce qui est sur mon chemin: Je pousse, je dégage, j’écarte, je renverse, j’éloigne, je bouscule, je chamboule. Puis, après son passage, après avoir tout bien chaviré, après avoir retourné le linge sur les fils, jeté à terres les branches les plus  faibles, écorné quelques taureaux, déplacé en tas les mortes feuilles, les journaux oubliés, las sacs plastiques égarés, après avoir couché quelques noyers, plié certains roseaux, après avoir roulé des épaules comme un voyou en goguette, après avoir dévasté sur son passage comme un mammouth mal éduqué dérive dans une fabrique d’assiettes, il pouvait disparaitre aussi vite qu’il s’était montré. D’une seconde à l’autre, il n’était plus là, il avait disparu. Les chapeaux tenaient à nouveau sur les têtes, les nappes sur les tables, les foulards autour des cous. Dans les rues, on marchait désormais droit, on s'était redressé, on n'avançait plus  l'échine courbée sous ses assauts… 
Ici on disait qu’il avait calé. Il calait d’un moment à l’autre. Alors, on  restait debout, si on avait eu de la chance, groggy, à genoux si on avait plié, en tous les cas sans force, les vêtements débraillés, les yeux empoussiérés, hébété comme un éméché soûlé de gifles, comme un baffé battu, comme un concassé. Noix minuscule et chétive broyée, brisée, en miettes, éparses
Et lui ? Va savoir où il s’en était allé, le versatile coléreux ?
Comme rentré dans une tanière, dissimulé au fond d’une quelconque grotte, caché dans son antre à ruminer sa rougne contre sa soeur la pluie, contre les nuages, ses ennemis fidèles? (Ce qu'il déteste le plus au monde c'est de les voir, ceux là, se pavaner  au plafond, alors il les balaye d'un revers de manche appuyé comme un instituteur intransigeant éliminerait les fautes à la craie blanche d'un tableau de classe. Toutes, jusqu'aux dernières, jusqu'au passage de l'éponge. Ce qu'il aime, à l'obsession,  c'est l'uniforme. Le bleu sans tâche, sans erreur, les monochromes... purs.)
À fomenter les mauvais coups à venir? Jusqu’à sa prochaine colère, jusqu’à sa prochaine sortie.
Jusqu'à notre prochain dénuement, celui qui nous attend après le dernier passage lissant  d'une éponge humide.


11 novembre 2016

Si lointains.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. 
Le thème était: Lointains.

Je n’y arrive plus. Je ne sais plus ce qu’elle veut. Je n’arrive plus à la comprendre, je n’y arrive pas. Mais bon Dieu comment en sommes nous là? Que va-t-on devenir ? 
Nous deux, je veux dire.
Le type qui n’y arrivait pas, qui l’incantait en pédalant comme un forcené semblait vraiment très loin d’y arriver. Pourtant, il venait d’avaler comme qui rigole la montée plutôt raide du col de la Fourasque et juste derrière, comme une punition, il s’attaquait à la côte Saint Jean Baptiste, celle qui double le col. Il était écarlate et soufflait comme un haut fourneau encore en pleine activité. Ses mollets, ses cuisses, ses bras étaient durs comme du marbre, ses poumons s’enflammaient à chaque inspiration. Il suait aussi. Beaucoup. 
Et sa cervelle, elle, était en fusion.
Pendant le petit répit que lui a procuré la descente entre le col et la côte, il n’a pas cessé de ruminer : Mais qu’est-ce-qu’elle veut ? Ma mort ? Elle veut m’anéantir c’est ça ? Elle me rend dingue.  Quoi que je fasse, ça ne va pas. Quoi que je dise elle est contre. J’ouvre la bouche elle voudrait que je la ferme. Je pense à un truc elle souhaiterait l’oublier. Quoi que je pense ça la dérange. Je n’ai plus aucune place. Je ne sais plus où me mettre, où me poser.  Je ne peux rien dire, rien faire qui ne l’importune. Mon existence même la dérange. Je sens bien qu’elle ne m’aimerait plus qu’absent ou mort, enfin, évincé, disparu. Éliminé.
Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi a-t-elle changé, à ce point, à mon endroit ? Nous nous aimions pourtant. Nous étions comme les ongles des cinq doigts de la même main, l’air et le vent, le nuage et la pluie, le jour et le soleil, l'encre et la page, la feuille et l'arbre, le parfum entêtant et le chèvrefeuille. Nous étions deux comme un seul. Nous nous regardions avec bienveillance, et chaleur, tendresse et douceur et nous sommes devenus deux ennemis fidèles, acharnés, déterminés. Où se sont enfuies nos caresses, nos mots doux et nos emportements ? Quelles tangentes ont pris nos élans? D’où nous est venu ce glissement qui nous a emporté comme un déluge de boue? Qu'est-ce-qui nous a pris? Comment nous sommes nous éloignés à ce point? Comment avons nous laissé se creuser ce gouffre entre nous, comment avons nous pu devenir, malgré nous, ces deux êtres terriblement belliqueux que nous sommes désormais, écumant de colère et de ressentiment, la bave à l'âme, retors et tordus, nous reconnaissant à peine quand nous nous croisons dans la glace?
Etrangers à l'autre mais aussi à nous mêmes.
Le type rougeaud en nage sur son engin à pédales qui se posait encore ce genre de question roulait maintenant sur le plat du chemin du retour.

Il réalisait avec douleur qu’il n’avait jamais été si proche de chez lui et si loin de l’envie de rentrer.


06 novembre 2016

Ils sont partis.

Cette fois, ils y sont, les amarres sont larguées, le chenal avalé, la ligne franchie. 
Ils sont en plein dans l'océan de jeu, ils sont partis. 
Depuis quelques heures, ils ont pris l'eau. Pour eux c'est, désormais une délivrance. Les chevaux sont lâchés, les brides abattues. Ils commençaient, sans doute, à en avoir un peu marre du ferme des pontons, ils devaient avoir plus qu'envie d'en découdre, d'aller voir là-bas... qui ils étaient. Ils avaient surement le désir de prendre le large, le droit devant, de s'en aller, enfin faire un petit tour. À eux pétole et baston, allure et avarie, joies intenses et panique à bord, le chaud du sud et le froid des hurlants, les caps et les rugissants, la houle et l'huile, à eux l'Aventure avec un grand mât.
Toi, moi, fairons à tout cassé, celui du quartier. Eux, celui de la terre. Pas moins. Ils vont s'en aller descendre l'Atlantique, puis tourner à gauche à Bonne Espérance, engloutir l'Indien, le Pacifique, le cap Leeuwin,  le tour de l'Antarctique, balouguer dans le Sud du Sud, tenter de s'en sortir sans trop de dommages, aller à la rencontre d'eux mêmes et puis remonter par le Horn, pour arriver dans, environ, quatre vingt jours pour les premiers. Quatre vingt jours qui nous amènent vers la mi-janvier...
Nous aurons passé Noël. Au chaud. Entre nous et serons partis quelques jours. En voiture.
Eux, pas. Nous connaitrons le nom de la prochaine présidente des Etats Unis... Nous saurons si le notre se représente, nous connaitrons même, sans doute, le nom de notre prochain à nous, celui que nous aurons en Mai, Mossoul sera libérée, Monsanto se sera reconvertie dans les médocs gratuits génériques à destination du tiers monde...
À l'heure même où j'écris, le premier navigue  à seize noeuds cinq pour un vent de neuf. Il fait route au cap 249°. Il a déjà parcouru 42 miles nautiques et il lui en reste environ vingt quatre mille à avaler, seul avec son bateau dans un bruit d'enfer, un milieu plutôt malveillant et un environnement des plus hostiles. Un autre revient déjà pour réparer.
Ici, on va aller voir matin, soir et parfois plusieurs fois dans la journée où ils en sont, comment ils avancent, ce qu'il leur arrive, quel cap ils prennent, quelles options ils choisissent, quelles conditions météo ils affrontent ou desquelles ils se servent, on va suivre leur course et la vivre pratiquement en temps réel sur ce site là: 


D'une certaine manière ils nous embarquent un peu. Et ce n'est pas dommage. Pour nous.
Allez, les garçons courage! Tenez bon la barre hisse et ho...

Tiens oui, sur les vingt neuf bateaux qui ont pris le départ ce treize heures 02, pas un seul n'est piloté par une femme... Elles n'auraient donc pas le droit d'aller jouer dans la grande cour avec les garçons, elles?
Heu les sponsors qui font aussi que ces engins magnifiques ont de si vilains noms, (ne dites pas le contraire, Pen Duick  ça avait une autre gueule que Saucisse Herto...) sur ce coup là, vous n'êtes pas brillants brillants...
Ce serait, malheureusement, comme des prix à payer qui terniraient, un poil, la grandeur et la beauté du rêve proposé... 
Mais qui n'empêchent cependant pas d'y adhérer.




01 novembre 2016

À deux mains.

Grâce au Ciel et à quelques autres trucs moins ébouriffants, demain sera encore un jour nouveau. 
Il commencera sans doute comme les quelques autres que nous vivons depuis notre rencontre voilà maintenant deux mois, par une de ces embrassades à deux corps dont nous avons percé le secret. Ce n’est que notre troisième nuit partagée mais à peine éveillés, ces deux là ont un besoin fou de se retrouver et de s’enlacer, de s’enfouir l’un dans l’autre.  Alors dans ces moiteurs, nos voix se parlent et se demandent avec une toute  douce bienveillance  si nous avons bien dormi, si nous ne nous sommes pas trop manqués, si de beaux rêves nous avons fait. Elles se demandent et se répondent, sur le même ton pendant que nos deux mains s’activent à nous réapprendre. Ce sont elles qui s’en disent le plus. 
Et le désir renait, puis s’endort puis renait à nouveau comme de longues séries recommencées d’intimes ultimités. Des mains en caresses,  des paumes de connivences, des doigts de découvertes comme une escouade d’explorateurs espagnols au cœur  des forêts amazoniennes. Bien entendu, j’avais été surpris quand un Pierre t’était venu au sommet de nos ébats. Paul, moi c’est Paul avais-je cru bon de rectifier puis nous avions repris nos assauts. Et de plus belle nous y étions retournés. Nous avions fini vaincus, épuisés, en sueur, l’échine courbée, les flancs battus, hagards.
C’est la faim qui, plus tard, nous sortira du lit, enfin de ce qu’il en resterait, un champ de douces batailles devrait-on écrire si on voulait tenter, un tant soit peu, de s’approcher de la vérité. Puis douchés, repus, nous avions remis les pieds dans le monde réel. Je m’étais rhabillé, je l’avais embrassée tendrement quelques fois encore, comme pour garder son gout d'amande verte sur mes lèvres et j’avais replongé dans la rumeur et l'agitation sans frein de la ville. Nous étions sortis ensemble de l'immeuble. Je ne lui avais pas demandé ce qu’elle avait bien pu fourrer dans son immense sac. Je lui avais seulement murmuré: Vivement ce soir, mon bel amour.
En attendant, au soir, mon amour si neuf, tu n’es pas encore rentrée. Tu devrais l’être depuis, environ une heure. Ton portable reste silencieux. Mes sms ne semblent pas t’atteindre. Se perdent-ils dans l’air ?
Tu as pourtant quitté ton bureau. Une demi heure avant l’heure m’a-t-on dit. Une voiture t’attendait, paraît-il. Une berline noire.
Tu t’y es engouffrée. On t’a vue. Un homme la conduisait. En trombe, elle a démarrée, la berline.
Depuis, rien. J’attends. Dans le silence.
J’attendrai, jusqu’aux jours d'après demain. 
S’il le faut.





17 octobre 2016

Un naufrage.

« Dans la alace a  méle evant
Ce batin droit cheuves blancs… 
C’est oumpf rol, c’est agne rant
Mais c’est ieux que per se ents »
C’est, à peu de choses près, ce qui nous arrivait du  type qui dévalait comme un possédé le chemin sur l’autre versant venant du haut de la Trouillère dans le massif de L'Avie. Au summum de sa jeunesse, il avait entamé la descente en hurlant, à tue-tête  avec une mélodie approximative, pour accompagner sa course folle. Nous l’avions entendu arriver du col juste avant qu’il ne bascule dans le droit de la pente. Nous étions une bonne dizaine de marcheurs du troisième âge à avoir passé la nuit au refuge, le dernier avant La Vallée,nous ne comprenions pas tout de ce que le bonhomme hurlait mais nous arrivions à seulement saisir quelques syllabes. Il faisait un temps superbe et, seul le froid glacial de ce début d’Octobre nous avait obligé à ne pas nous éloigner de la chaleur douce du poêle à bois qui ronflait.  Mais nous n’y sommes pas restés. Nous sommes sortis sur la terrasse en bois, certains avec des jumelles pour le regarder descendre et l’entendre hurler. Au début, sa course était assurée mais au fur et à mesure ça s’est dégradé. Bon Dieu mais qu’est-ce-qu’il lui prend à ce dingue ? Avait envoyé Paul le gardien. En face, on le voyait maintenant dans le grand pierrier du milieu, il ne ralentissait pas. Bien au contraire, on a remarqué qu’il redoublait de désordre dans ses gestes et donc de vitesse. Sa course n’était plus qu’un déséquilibre, à  tout moment il évitait la chute, il était en rupture permanente mais ça ne le faisait ni freiner, ni se taire. Très vite, sur la terrasse des paris se sont ouverts : Dix euros qu’il se vautre avant le petit bois ! Vingt dans la minute qui vient ! Trente qu’il n’arrive pas entier !
Heureusement, pour lui, rien de tout cela n’est arrivé. Un miracle. Il est ressorti du bois de buis vivant, et il a attaqué la remontée vers le refuge. L’un d’entre nous une paire de jumelles sur les yeux a alors crié :
Mais c’est le jeune tu sais bien le grand brun de la ville qui s’occupe pour l’été des moutons d’Edmond ? Il en a de la chance d’être encore vivant, lui.
Le gars n’a pas mis dix minutes pour débarquer sur la terrasse, il était rouge comme un fond de volcan, il soufflait  comme un troupeau de marathoniens. Tous l’ont entouré et gavé de questions :
Mais qu’est-ce-qui t’a pris ? Tu as été attaqué par un loup ? Un ours ? Un éclair t’a frappé, il n’y a pourtant pas eu d’orage cette nuit ? Le type essoufflé comme une Marguerite en phase critique a lâché : Je me suis levé ce matin et en me rasant sur les bords du torrent, figurez vous que j’ai aperçu trois cheveux blancs, là sur le côté…
Toute l’assemblée a éclaté de rire.
Il a repris : C’est pas drôle, c’est pas marrant !
Alors, dans une vague de rire, les gens de la terrasse en connaisseurs concernés ont conclu en entonnant à l’unisson :
Mais c’est bien mieux que perdre ses dents !







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