27 septembre 2009

Mes hauteurs préférées...

…nous sommes arrivés là haut, à pied, par le revers de la dune. Les têtes dans la lumière, les âmes abandonnées aux bleus du ciel. Et, si l’ascension fut rude, nos corps n’ont pas trop souffert. Le sable a pourtant tout tenté pour nous dissuader de monter. Il s’est dérobé sans cesse sous nos pieds, un pas en avant, un pas en arrière comme dans la ritournelle qui nous est venue. Malgré les difficultés, l’ambiance était légère et la chaleur flottait autour de nous, comme le linge chaud d’un restaurant japonais. Un pas sur le côté, un pas de l’autre côté… Il n’y avait pas de chemin tracé, seul, le bleu était La Voie. Nous avons débouché au sommet en criant victoire et ce que nous avons alors vu, nous a séché. Le plus bel horizon qu’il nous avait été donné d’embrasser.
Un horizon en tranches. Une de paix et de jaune, une de sérénité et de bleu, une de silence et de turquoise. Un sandwich d’absolu. Nous sommes restés sur cet amas scintillant de lingots d’or émiettés et nous avons attendu, immobiles, muets, transformés, que le jour se fatigue de tant de beauté. Sans plus un mot. Tout était dit. Tout était vu.
Un immense tas de sable, un grand ciel, deux paires d’yeux et un peu de temps pris sur la mort. Les émotions les plus fortes n’ont le plus souvent besoin de rien d’autre, il suffit de voir pour être chamboulé.
Cela aurait pu nous arriver à chaque fois qu'une colline se présente, qu'une bosse s'annonce, qu'une hauteur se dessine, qu'une côte est dans les parages. Du reste, cela se passe à chaque fois comme ça...
Pour redescendre, nous avons attendu là haut, assis, dans les bras du silence, les cœurs sereins que le soir, lui, monte…


Banc d'Arguin Landes
Je me souviens de la découverte et de l’étendue du paysage quand on arrive sur la butte de Thil avec au fond Saulieu et le Morvan et à nos pieds la halle à charpente octogonale du Brouillard…
J’aime, au soir, monter à la sortie de L’Isle sur la Sorgue vers Saumane et prendre le chemin de la Gaye. Au dessus du gîte des Grandes Terres, prendre le chemin vers la gauche et avancer... De là, on a une vue magnifique sur les deux lubérons…
Derrière le village de Lagnes, au soir couchant il y a une maison à flanc de colline, la route est presque sur le toit. Ce qu’on y voit de là, donne envie de s’y asseoir…
Rue Gabriel Péri à Chennevières sur Marne, une des plus belles vues sur Paris et ses banlieues que je connaisse. En se mettant sur la pointe des pieds on pourrait voir jusqu’à Deauville…
A Oppède le Vieux, monte jusqu’à la Collégiale en rénovation, tu embrasseras le Grand Lubéron. A Thouzon, monte aux ruines du vieux Château. La vue sur le Ventoux est imprenable. Du reste du Ventoux lui-même, imprenable est la vue…
Monte au levant, en février, par temps clair sur les hauteurs d'Antibes... Si tu as de la chance tu pourras voir le soleil se lever derrière ... la Corse et toute la silhouette de l'île se découper sur le bleu... J'y suis allé quelques fois avec mon grand-père du temps où il était là...
Au-dessus de Sainte Rose en Guadeloupe, assis sur les bombes volcaniques, parmi les plants de canne, les couchants y sont à tomber…
Grimpe au Mont Royal à pied et à tes pieds, l’immense plaine de la ville de Montréal, étendue…
A la sortie du hameau de Lucenay lès Bierre, il y a un chemin qui grimpe doucettement vers Aisy sous Thil, puis il redescend. Quand on est là haut, à la Chaume on se sent attrapé, malgré soi, par un sentiment de pleine plénitude.
Après avoir laissé l’église à votre gauche, allez sur les remparts de Flavigny sur Ozerain et posez vous là…
Montez au plus haut du village de Domme en Dordogne, installez vous sur la pierre avec vue sur le cingle quand en bas, le maïs s’arrose…
Col des Champs dans les Alpes du Sud, vallée du Haut-Verdon... Après quelques lacets, regarde vers le bas l'œil que tu peux jeter sur le village de Colmars Les Alpes, si tu n'éprouves pas le besoin d'y rester un moment, inquiète-toi...
Une montée franche et dure au-delà du village de Cervione dans la castagniccia. La mer que tu aperçois du sommet est une mer veille.
Nous avons tous, chacun nos buttes, nos monticules, nos collines, nos oppidums, nos côtes, nos sommets, nos points de vue, nos pentes sur lesquels nous aimons aller, seul ou à deux, à plusieurs avec ou sans chien, le soir ou le matin…
Et nous y poser un temps pour nous distraire de la laideur du monde…
Vue du Mt Bouquet
Aux frontières des Cévennes, du haut du Mont Bouquet... On y cueille des vues splendides… On y devine même l'imprenable, là-bas, dans le fond...

25 septembre 2009

Chute

J’étais pour quelques jours dans cette ville qui me parlait au plus profond, puisque j'y étais né en son cœur. La plus belle, pour moi. Enfin, une des plus belles, pour moi et quelques autres.
Celle à qui je pensais souvent, en tous les cas. La ville de référence, la capitale. LA ville. Une merveille traversée par le fleuve. Une, aux ciels changeants, une, aux architectures imposantes, une, aux quartiers comme autant de villages. Une, aux endroits sortis tout droit d'un chapeau de magicien comme les jardins du Palais Royal, la Place des Vosges... Ah... les rues de Buci , de Seine ou du Dragon et mille autres, les passages Brady ou Jouffroy... Une longue balade le long des quais de l'Île Saint Louis... Oh le Bon Marché, un paradis ouaté sur terre...
Bref, Paris, l'amère veilleuse, comme écrit l'autre.
Hier, je m’y promenais le nez au vent comme un chien truffier s’affaire entre les souches des chênes. J’y baguenaudais, les yeux de partout, les oreilles en alerte, entrant dans la moindre cour ouverte, m’arrêtant aux carrefours, me laissant choisir par les avenues, au hasard, m'abandonnant, m'y baladant comme on doit le faire sans d’autre but que la balade. “ Le but est le chemin” et tout le cabas confucius, enfin, vous voyez le genre.
Le souci, c’est qu'au bout d'un moment, ce type de promenade donne soif. Alors, après deux bonnes heures de déambulations, je suis entré dans un rade, un trocsir, un bistrot quoi. Mais, attention, je ne suis pas entré dans le premier café venu. Je l’ai choisi avec soin. Je voulais de l’odeur de friture, de la sciure par terre, et du rouge au comptoir, pas un de ces endroits aseptisés pour touriste anglais où on trempe ses lèvres pincées dans un thé froid, les fesses posées sur un coussin molasse. Je l’ai trouvé assez facilement, Le Balto… Au coin de le rue de l'Arbre sec et de la rue Saint Honoré. Mes grands parents avaient vécu pas loin, j'étais né à deux pas, j'allais à la crèche à trois, je faisais du patin à roulettes à quatre. C'est vous dire si le quartier me disait quelque chose. C'est vous dire si ce qui me coulait dans les veines sentait davantage la Seine que la Sorgue! J’y suis entré. On y fumait encore, en douce, dans le fond…
Il y avait dedans des parisiens de souche, ça se voyait au fait qu’ils auraient tous pu venir d’ailleurs, voire d’assez loin. Certains étaient en bleus de travail, d'autres débraillés, d'autres encore en costard, un vrai troquet, quoi. Une tireuse remplissait des ballons de côte en veux-tu en voilà, les demis s'enfilaient d'un trait et la machine à café n'en finissait pas de souffler. Ça parlait fort, ça s’engueulait, ça s’invectivait et ça riait pas mal, aussi. C’était vivant.
Au zinc, debout, un pochtron, une grande gigue, qui avait dû dépasser, et de loin, les niveaux, dangereux mais plutôt élégant, mince, grand, les cheveux poivre se plaignait de sa moitié en braillant et en prenant tout le monde à témoin, leur tapant sur les bras à chaque rasade, un peu fâché avec la langue, sans doute à cause de ses taux:
___ Ya eu un temps où on s’aimait, elle et moi. C’est à moi qu’elle doit tout, sans moi, elle est rien. Et si vous saviez ce qu’elle me fait vivre, aujourd’hui… Elle me lâche pas , une vraie sangsue, du soir au matin et, maintenant, c'est nouveau, elle veut ma mort mais je me laisserai pas faire, je me battrai jusqu'aux bouts, si j’avais su, je me serais jamais mis avec elle, c'est le diable, c’est une teigne, elle me ne lâchera pas. Si j’en suis là c’est de sa faute, c’est la volonté de cette femme…”
Alors, n’en pouvant plus d’être dérangé dans sa lecture, un type, assis au fond du bar sans lever les yeux de son journal lui a balancé:
“Hey, Villepin de mes deux, va lui dire en face à maman! Enfermez vous dans une pièce et réglez votre affaire entre quatre-z-yeux! Arrête de nous bassiner et de nous pleurer dans les oreilles, tu nous saoules à pleurnicher devant tout le monde comme une fleur coupée…”
D’une seule voix silencieuse, tout le bar a pensé: Bien envoyé…

Table jaune 2 tasses

20 septembre 2009

La sortie 23.

Si je lui ai dit oui, c’est qu’il ne m’a pas laissé la possibilité de dire non. Comme dans la vie, on fait les choses parce qu'on ne peut pas faire autrement.
Juillet, je rentrais chez moi, là-bas, dans le sud, un peu de mal à sortir de la capitale. Pourtant, j'étais parti à l'heure où la lumière de l'Est se met à lécher les toits des immeubles, où des ombres endormies sortent des maisons en remontant les cols de chemise, où commencent à ramer les métros bondés de noyés... J’avais mis deux plombes pour atteindre le péage de l’autoroute. En temps normal, quand ça roule c’est à dire le samedi entre deux heures et trois heures du matin, on peut mettre une demi-heure, c’est pour dire si c’était embouteillé. Des bagnoles de partout. Devant, derrière sur les côtés à touche touche. Et même en sens inverse. Un vrai bordel. Je me suis même dit: “T’es pas arrivé mon p’tit gars…” Oui, je me tutoie et je me suis bienveillant quand je suis seul. J’avais surtout sept cent kilomètres à avaler. Si je les faisais à ce train là, j’y serais allé plus vite à cheval. Maintenant, allez trouver un dos qui accepte de se taper six cent kilomètres de cheval, vous. Pas le mien, en tous les cas. Je commençais à craindre ce voyage. Surtout que mon réservoir était dans le rouge depuis belle lurette et avec le pot qui m’assaillait en ce moment, je me voyais déjà téléphoner à un dépanneur qui me facturerait le litre de gas oil au prix du lingot de platine… Plus tard, c’est une bretelle d’autoroute suintant la colère, la haine et l’impatience que j’ai attrapée. Une petite queue de rien du tout et me voilà devant une pompe à pétrole pimpante à plaisir. J’ai chopé le pistolet à deux doigts comme on attrape un mouchoir sale et j’ai présenté le tout au réservoir. Les litres dégringolaient dans l’estomac de mon engin quand il est arrivé. Je n’ai d'abord entendu que sa toux… Il avait dû l’acheter dans une grotte, chez un ours brun malade ou même un grizzly qui aurait fumé des champs entiers de tabac brun. Il devait se rouler des clopes grosses comme des rouleaux de sopalin, ma parole… Peut-être, l’avait-il piquée à des phases terminales à Villejuif? Enfin, vous voyez le genre. Et sa voix... Une de ces voix qui ferait passer Tom Waits pour un petit chanteur à la petite croix de petit bois, Phillipe Léotard pour Sœur Sourire et Barry White pour un contre alto. Évidemment qu' il toussait beaucoup, fort, gras et souvent mais ça je n'y ai eu droit qu'après:
__ Vous m’emmenez jusqu'à Macon. (Pas de point d’interrogation, ce n’était pas une question).
Et là, seulement là, il est sorti de derrière la pompe… Grand comme une armoire bretonne Bretonne mais fatiguée et retapée chez Emmaüs par un ancien d’IKEA. C’est ce que je me suis dit après avoir reculé d’un mètre en le voyant sans lâcher mon tuyau. J’ai foutu au mois dix litres d’or par terre. Mais jeune, quand il est sorti de chez l’ébéniste Breton, putain qu’il devait être costaud, un frère celte de Hulk, sacré bahut. C’est tout juste s’il n’a pas ouvert la porte avant que je réponde.
__ Je monte pas quand il n’y a personne dans la voiture, c’est une question de principe, il a ajouté comme pour m’apaiser un poil. Un poil riquiqui, alors. Allez payer, je vous attends dehors. Voilà qu’il avait pris ma vie en main en un rien de temps... J’ai failli lui répondre: Oui m’sieur, bien m’sieur, de suite m’sieur, j'y vais m'sieur…
Et là, en me dirigeant vers la caisse, je me suis mis à calculer: d’ici jusqu’à Macon j’en ai au moins pour trois cents bornes… à cent trente à l’heure, cent vingt de moyenne, je l’avais dans la bagnole au moins pour deux heures et demi… Moi qui aime bien rouler seul, j’ai eu comme un vertige. Tu vas jamais tenir, je me suis dit doucement. Je me suis entendu me répondre: Sois fort, ce gars là c’est une providence… Je n’ai pas vu de suite en quoi mais j’ai fait confiance à la vie. De toutes façons, je me voyais mal entrer dans ma bagnole et lui démarrer sous le nez surtout qu’il avait une de ses mains, grosse comme une pelle à neige, accrochée à la portière et que, dans son regard je n’ai pas vu qu’il avait l’intention de la lâcher.
On allait devenir de chouettes potes qui bourlinguent ensemble, les meilleurs copains du monde en vadrouille, de vieux camarades en goguette, lui et moi, voilà tout…
C’est une fois la porte refermée qu’une odeur particulière a envahi l’habitacle et l’a rendu, très vite franchement hostile. J’avais embarqué un cendrier en sueur. Bon dieu, pour quelqu’un qui a arrêté de fumer depuis peu, ça, c’était une vraie épreuve… La prochaine fois, je ne m'arrête plus, je continue la cigarette, juré. Imaginez un végétarien assis dans un camion de boucher… J’ai, le plus discrètement du monde entre ouvert ma fenêtre, je me suis tassé contre ma vitre et je n'ai plus respiré qu'une fois sur deux.
On a un peu discuté, lui et moi. Surtout lui. En gros, il venait de l'Ouest d’où il était parti la veille et “filait” dans le Sud voir une copine. C’était un ancien gendarme, m’a-t-il dit, qui avait été révoqué pour cause d’epilepsie… Bref, il était dans une très mauvaise passe, il avait du mal à retrouver du boulot et il était à cran...
Bordel! Comment éviter qu’un type à côté, avale sa langue, en roulant à cent trente sur l’autoroute, j’avais jamais fait un truc pareil… Mentalement, je me suis préparé au pire. Ne pas le contre dire, ne rien lui dire qui puisse le fâcher, surtout ne pas le mettre en colère. C’est pour ça que j’ai été d’accord quand il m’a dit qu’il voulait fumer et qu’il faudrait s’arrêter assez vite parce que bien sûr on ne fume pas dans votre voiture? La vache, le tabac, c'était une vraie affaire pour lui... Si vous voulez mon avis, tout ça sentait bon les villégiatures en HP...
__ Vous vous barrez pas, hein? M’a-t-il lancé en sortant… Parce que des fois, des enfoirés en profitent…
__ Pas mon genre, t’inquiète, fume, peinard, je t’attends. Voilà qu'on était à toux et à toi, lui et moi, on allait finir par se taper sur le ventre ou se moucher dans le même mouchoir si ça se trouve... Comme il restait à deux mètres de la bagnole, comme il fumait pas mal, on a visité deux, trois stations pendant le trajet. J'en profitais pour descendre les quatre vitres... En vrai, il commençait à me courir. Surtout quand il me disait ce que je devais faire: et mets ton clignotant par ci et fais gaffe à la vitesse par là et là derrière, juste après le pont, il y a un radar fixe, et double moi ce connard qui roule trop lentement... Heureusement qu’il était crevé! Devait être bien chiant, lui comme gendarme.
La clope terminée, il me lançait un:
__ On y va. Non négociable. Et on repartait.
Ensuite, après m'avoir un peu saoulé, il posait sa tête sur le montant de la bagnole et s’endormait comme un bébé tabagique. Un filet de bave s’écoulait lentement de sa bouche à moitié ouverte et un ronflement de forge se faisait entendre.
C’est pendant qu’il roupillait en bavouillant, qu’on est passé à hauteur de la sortie de la sortie 23 celle qui mène à Samur en Auxois, Biarre lès Semur, Pracy sous Thul… Pour la première fois, je ne l’ai pas prise, comme je le faisais d'habitude et à chaque fois, dans un sens où dans l’autre, depuis trois ans à peu près... A chaque fois, je sortais de l'autoroute et j’allais faire le tour du hameau dont je connaissais chaque pierre, chaque brin d’herbe, à cinq kilomètres de là, où tu avais ta maison et où nous avions passé ensemble tous ces beaux étés… A chaque fois, je n'arrivais pas à m'empêcher d'aller me verser quelques cuillères d'acide sur les débuts de cicatrice. Là, pour la première fois, j’avais tracé ma route. En ne refusant pas de laisser monter ce cendrier géant de tabac froid dans ma bagnole, j'avais renoncé, pour une fois, à aller donner un ou deux tours de couteau dans une plaie encore sanguinolente.
Je savais maintenant pourquoi je ne lui avais pas dit non… On peut toujours faire confiance à la vie. Nous nous sommes séparés à Macon, comme convenu, lui, un billet de vingt dans la main. Il n'avait rien bouffé depuis la veille soit disant... Mon oxygène ça devait compter pour du beurre...
Je lui en ai un peu voulu mais seulement pour les trois cent derniers kilomètres la tête dans un shaker à cause des vitres grandes ouvertes.
La prochaine fois que je prendrais cette autoroute, il me faudra trouver autre chose pour éviter de virer à la 23...


La chaume

19 septembre 2009

Oublier un temps, A H1 N1…

... avec l'Agrippa... (D’Aubigné):

Ce doux hiver qui égale ses jours

A un printemps, tant il est aimable,
Bien qu'il soit beau, ne m'est pas agréable,
J'en crains la queue, et le succès toujours.
J'ai bien appris que les chaudes amours,
Qui au premier vous servent une table
Pleine de sucre et de mets délectable,
Gardent au fruit leur amer et leurs tours.
Je vois déjà les arbres qui boutonnent
En mille nœuds, et ses beautés m'étonnent,
En une nuit ce printemps est glacé,
Ainsi l'amour qui trop serein s'avance,
Nous rit, nous ouvre une belle apparence,
Est né bien tôt bien tôt effacé.

&

Complainte à sa dame.

Ne lisez pas ces vers, si mieux vous n'aimez lire
Les escrits de mon cœur, les feux de mon martyre :
Non, ne les lisez pas, mais regardez aux Cieux,
voyez comme ils ont joint leurs larmes à mes larmes,
Oyez comme les vents pour moy levent les armes,
A ce sacré papier ne refusez vos yeux.
Boute-feux dont l'ardeur incessamment me tuë,
Plus n'est ma triste voix digne if estre entenduë :
Amours, venez crier de vos piteuses voix
Ô amours esperdus, causes de ma folie,
Ô enfans insensés, prodigues de ma vie,
Tordez vos petits bras, mordez vos petits doigts.
Vous accusez mon feu, vous en estes l'amorce,
Vous m'accusez d'effort, et je n'ay point de force,
Vous vous plaignez de moy, et de vous je me plains,
Vous accusez la main, et le cœur luy commande,
L'amour plus grand au cœur, et vous encor plus grande,
Commandez à l'amour, et au cœur et aux mains.
Mon péché fut la cause , et non pas l'entreprendre;
Vaincu, j'ay voulu vaincre, et pris j'ay voulu prendre.
Telle fut la fureur de Scevole Romain :
Il mit la main au feu qui faillit à l'ouvrage,
Brave en son désespoir, et plus brave en sa rage,
Brusloit bien plus son cœur qu'il ne brusloit sa main.
Mon cœur a trop voulu, ô superbe entreprise,
Ma bouche d'un baiser à la vostre s'est prise,
Ma main a bien osé toucher à vostre sein,
Qu'eust -il après laissé ce grand cœur d 'entreprendre,
Ma bouche vouloit l'ame à vostre bouche rendre,
Ma main sechoit mon cœur au lieu de vostre sein...

A 024

L’un, digne... l’autre pas.

21 Février 1944, Missak Manouchian, condamné à mort et executé:

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.

Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.

Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.

Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs, si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus.

Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.

Manouchian Michel.

P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène.

&

En "plaisantant" à propos des auvergnats ou des arabes:

“Quand il n’y en a qu’un ça va, c’est quand il y en a plusieurs que ça ne va plus”.

Septembre 2009: Brice Hortefeux, France, Ministre de l’Intérieur, de l'Outre mer et des collectivités territoriales.

16 septembre 2009

Des vents contraires…

Au cœur joyeux de l’été, pour freiner un peu l’enthousiasme débridé et la folle ambiance de fête qui régnait dans les parages… j’ai, un soir de douce ivresse, relu “Passer L’hiver” d’Olivier Adam et j’avais oublié combien j’avais aimé ce livre. Du coup, le lendemain, la jouissance battant son plein, j’ai acheté son dernier roman: “Des vents contraires.”

Quelle gifle en paire! D’une tristesse dense, gris à souhait mais avec des éclats de lumière magnifique lorsqu’il peint les paysages dans lesquels vivent, ou plutôt se débattent ses personnages…

Ce livre est aussi une peinture au sens presque propre de Saint Malo et ses environs. On pourrait dire que ces paysages sont écrits au couteau... Ce qui est parfait pour apaiser ses envies d'océan, de Bretagne, de ciels d'Atlantique... Ne pas en dire davantage pour n'enlever aucun plaisir de découverte…

EXTRAIT:

La sourde angoisse des dimanches soir est retombée sur tout ça comme un voile. Ça ne m'a pas alarmé. Le lendemain l'école reprenait et ce serait mon premier jour, c'était même rassurant d'être pris à la gorge par un sentiment si familier, identifiable et dont on connaissait la source. Une sensation qui vous remontait de l'enfance, en pyjama les cheveux mouillés on dînait devant la télévision, après les frites du samedi midi les hot-dogs du soir et le rôti du dimanche le repas lui-même avait quelques chose d'austère et indiquait qu'on reprenait le cours de choses, devant notre assiette tout nous paraissait soudain rétrécir, nos poumons la dimension des pièces, le temps lui-même. Une tristesse diffuse nous collait aux pattes jusqu'au coucher et des années plus tard, alors même que je n'aurai plus à me rendre nulle part, ni dans aucun bureau, ni dans aucune classe, alors que rien de précis ne permettrait de différencier le lundi du dimanche, le même sentiment me viendrait, d'air raréfié et de ventre noué.”

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Alors, j’ai acheté tous les autres d'Olivier Adam que je lirai quand cela ira un peu trop bien… J’attendrai. Il suffit d’être patient, tout pourrait arriver, ici-bas… Comme, par exemple, marquer les pages de “Falaises” ou de ”A l’abri de rien” avec un coquillage blanc nacré, glané sur la plage d'un des atolls de... Los Roques… Qui sait?

Los Roques…

Qu’apprends-je? On me dit que vous ne connaissez peut-être pas Los Roques? Impossible, non, non, je ne peux pas croire ça. C'est au-delà de mes capacités... Remarquez, avant que Slev m’en parle, je n'en savais rien non plus…
Los Roques, mais si, au large du Vénézuela…
L'archipel de Los Roques, le « paradis sur terre » dixit Christophe Colomb, classé Parc National, est l'une des plus importantes réserves marines des Caraïbes : au total 225.000 hectares d'atolls... Le spectacle est déjà sur terre avec les plages de sable blanc se détachant des eaux turquoises. Il se poursuivra dans les airs avec le ballet incessant des frégates, hérons et autres pélicans dont les piqués attireront irrésistiblement votre intérêt vers cet immense aquarium. Vie sous-marine intense, coraux spectaculaire : tout y est réuni pour vivre le « Grand Bleu ». Je vous laisse aller voir sur Googueule Earth… J’y suis allé… (Sur googueule seulement, malheureusement...) et quand j'ai vu, j’ai fait le pari qu’un jour, j’irai passer un mois entier sur une des îles.
Un mois, pas plus, pas moins. Viendra qui veut...

Mais pourquoi donc est-ce-que je vous parle, aujourd'hui même de cette affaire? La pluie qui a draché toute la nuit? Le rouge vif peint aux feuilles mourantes de la vigne vierge? Les denses brumes matinales qui empêchent, au lever du jour, de voir le fond du jardin? Le pull qu’on doit se poser sur les épaules le soir venant? La nuit qui désormais déboule à sept heures? L’automne qui a enfilé ses bottes de Novembre et qui, mine de rien, en regardant encore ailleurs, s’approche à grands pas? Mais d'où donc nous viennent ces humeurs de rainettes?

Du temps où nous vivions dans des grottes, sans doute…

Alors, en attendant, rêver à Los Roques et, des chaussettes de laine aux petons, une polaire sur les genoux, une écharpe autour du cou, crier à tue-tête en balayant les feuilles à peine tombées:

Et pendant les leçons dans mon coin je rêvais

A des îles

Où il fait toujours beau, où tous les jours sont chauds

Où l'on passe sa vie à jouer, sans songer à l'école, en pleine liberté

Pour rêver!

Où il fait toujours beau, où tous les jours sont chauds

Où l'on passe sa vie à jouer, sans songer à l'école, en pleine liberté

Pour rêver…*

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Image de Los Roques attrapée sur Google Earth.


* Oui, oui, c'est du Gérard Lenorman... A chanter avec un ton revendicatif, ça marche...

15 septembre 2009

Vols au vent…

Je préfère te dire que je n’aime pas bien le silence qui envahit l’endroit quand tu as mis les bouts. C’est donc pour ça qu’à peine la porte refermée, Montcalm Térez chante à pleine poutine dans la baraque, désormais en deuil de ta présence... Une manière de le remplir, ce vide avec lequel tu me laisses.
En règle générale, je n’aime pas quand les gens s’en vont. Je n’aime pas non plus partir, remarque… Parfois, je n’aime pas quand ils arrivent, mais c’est une autre histoire. Quand c'est vous deux, j'aime encore moins.
J’ai beau savoir que c’est dans l’ordre des choses, que c’est logique, que c’est la vie, que c’était écrit, que je le savais, je ne me fais pas à l’idée que tu t’en ailles, qu’un de vous deux s’en aille ou plutôt, je me fais assez mal à l’idée que tu/vous ne soyez plus dans le coin quand tu/vous y avez passé quelques jours.
Comme si on m’arrachait un ventricule, comme si on me découpait un bras, me défaisait d'une main… qui, très vite, commenceront à repousser puisque le compte à rebours avant la fois prochaine démarre le lendemain.
Ce soir, ici, c’est encore l’heure du regret des heures passées avec toi.
Tu me manques à partir du moment où l’on s’approche de l’heure du départ. Avant même que tu n’aies franchi le seuil, bien avant que ce soit l’heure. Et, qui plus est, il n’est même pas question de tenter de te retenir, de te dire: Reste, pour une fois, encore, un jour ou deux, un peu, quelques heures, s’il te plait, ne t’en va pas cette fois, comme la dernière... Il n’en n’est pas question une seconde… J’aimerais avoir des arguments… Je n’en n’ai trouvé aucun de valable. Au contraire. Tout, tout plaide pour ton départ. Y compris ma peine. A cet instant précis, je fais appel à un ami, Claude Roy: “Il y a au fond de nos attachements la certitude que nous en serons un jour détachés… L’amour est une invention de la mort…”
Et voilà.
Il manque seulement l’idée que toutes ces lamentations font bien peu de cas du plaisir qui nous étreindra à coup sûr, quand… bientôt, nous nous retrouverons.
Bon vol, ma belle… Bons vols, mes beaux…
Je garde la piste 84 ouverte, balisée, balayée, le camion de pompiers au bout, en alerte, en cas de besoin, pour vos atterrissages à venir…


Aile avion

13 septembre 2009

Ce n’est pas…

Ce n’est pas parce qu’on sort de l’eau qu’on n’a plus envie de se baigner…
Ce n’est pas parce qu’on a vidé la bouteille qu’on jette le tire-bouchon…
Ce n’est pas parce qu’on a un sommeil de plomb qu’on ne peut pas s’offrir un oreiller de plumes…
Ce n’est pas parce qu’on a passé l’âge de l’envie de bêtises, qu’elle nous passe, l'envie…
Ce n'est pas parce qu'un humour est douteux qu'il n'est pas raciste...
Ce n'est pas combien je t'aime qui importe, c'est comment...
Ce n'est pas celui qui crie le plus fort qui a raison...
Ce n'est pas parce qu'on garde le cap qu'on est sur la bonne voie...
Ce n’est pas parce qu’on ferme vite la porte qu’il fait moins froid dehors.
Ce n’est pas parce qu’il est plus facile de monter qu’on ne doit plus jamais rien descendre.
Ce n’est pas parce qu’un pantalon est trop long qu’on va se laisser pousser les jambes.
Ce n’est pas parce que la digitale est un poison qu’on ne doit plus en offrir de bouquets.
Ce n’est pas parce qu'on a honte qu'on est fatalement coupable.
Ce n’est pas parce que le passé est nauséabond que l’avenir sentira le jasmin.
Ce n’est pas parce qu’il n’est pas crédible qu’on ne doit pas le croire.
Ce n’est pas par faim, qu’on lèche le plat de mousse au chocolat.
Ce n’est pas parce que les hirondelles ne volent pas sur le dos qu’elles sont des oiseaux.
Ce n’est pas parce qu’une vache a des cornes qu’elle donne du lait…
Ce n’est pas parce que l’argent n’a pas d’odeur qu’il ne faut pas le chouraver à son voisin.
Ce n’est pas parce qu’il est un fieffé menteur que la réalité est plus moche…
Ce n’est pas en restant assis qu’on soigne ses varices…
Ce n’est pas parce qu’on est malheureux qu’on PEUT emmerder le monde…
Ce n’est pas parce qu’on aime qu’on doit être, forcément, aimé…
Ce n’est pas parce que tu t’en vas que le ciel se couvre mais c’est bien parce que tu n’es plus là qu’il est franchement couvert…
Ce n’est pas parce qu’on a une raison valable… 
N'est-ce pas?


Briques et jaune 2

09 septembre 2009

Des nouvelles…

J’ai lu quelque part, sur le dos vert d'une enveloppe, que tu me demandais des nouvelles. "Et des nouvelles??" avais-tu écrit... Deux points d'interrogation. De moi? Après tout ce temps? Sur le dos d'une enveloppe? As-tu perdu mon adresse mail?
Hé bien, je ne vais pas si mal même si j'en ai encore un peu à t'écrire ou t'appeler comme tu as pu t'en rendre compte... Mais ce silence n'est pas dirigé contre toi, il est comme une… enveloppe pour moi.
Je ne vais pas si mal même si les soirées de certains jours me semblent un peu chargées d'ennui. J’admets volontiers que c’est le prix à payer et je préfère, de loin, trouver le temps long seul que m’enquiquiner ou souffrir à deux.
Bien sûr, je ne peux pas trouver en l’autre l’énergie pour faire certaines choses, puisqu’il n’y a pas d’autre, mais je m’arrange quand même, bon gré mal gré, pour aller voir les films que j’ai envie de voir, les concerts que j’ai envie d’entendre, les expos que j’ai envie d’arpenter. Je sais aussi me remuer les fesses pour aller prendre les bains que j’ai envie de prendre et les balades qu’il me vient l’idée de faire. Il y a une chose à laquelle j’ai renoncé c’est le restaurant seul. Ça, je n’y mets plus les coudes. Je n’arrive pas à plonger mon regard dans mon assiette vide en attendant les plats, ni à balayer la salle d’un air absent quand je mange. J’ai essayé, j'ai essayé mais à chaque fois ça a été trop difficile alors j’ai abandonné. C’est à peu près le seul renoncement. J’attends pour y aller que quelqu’un passe à la maison. Là, j’en profite.
Je ne vais pas si mal, je travaille, je rentre, je me repose, je lis. J’ai, par exemple, terminé les livres d'Olivier Adam dont j’ai beaucoup aimé la musique toute en douce tristesse. J’écris, je travaille, je rentre, je me repose, je mange, je dors, je vis… Maintenant, je fonctionne et puis, je te fais grâce des tâches domestiques… Un peu de ménage les jours où la mort est trop présente! Un enchaînement d’activités ma foi très commun à plein de monde. D’une banalité extravagante, si tu veux. Ici, je suis au calme. Les gens que je fréquente professionnellement sont, pour la plupart, à peu près aussi liants que moi, donc je ne me fais guère de nouvelles connaissances, mais je n’en veux à personne, je constate c’est tout. On m’avait prévenu, on m’avait dit tu verras, ici, les gens ouvrent grand les bras mais ils ne les referment pas. Je n’avais pas compris cette phrase et je m’étais dit mais s’ils ne les ferment pas c’est très bien, je déteste être enfermé. En vrai, les bras, ils ne les ouvrent pas très grand, ils consentent à te serrer la main c’est tout. Pour le reste, je les comprends un peu: Ils ont leurs vies à vivre, leurs soucis, leurs loisirs, leurs familles, leurs cercles. Et, encore une fois cela ne me dérange pas. Je n’ai ainsi pas de comptes à rendre ni... d’efforts à faire.
Je ne vais pas si mal, je suis au monde, aimé de quelques personnes, capable d’émois et d’émotions, d’admiration devant un cercle clair de pleine lune ou un paysage à couper le souffle. Je suis étonné, souvent de la beauté des choses, il m’arrive d’en pleurer, de me sentir vivant. Une première bouchée de figue juste mûre attrapée sur l’arbre, chauffé du soleil de Septembre et quelques autres machins pas chers… J'ai des amis fidèles, présents, chaleureux... Des qui n'habitent pas loin, des qui vivent à un autre bout mais qui sont là, quelque part, au-dessus, à côté... Je pense à eux comme Claude Roy:
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"Le ciel semble immobile Les constellations muettes
L’eau parle doucement
On entend sans le voir le froissement là-haut
D’un vol de migrateurs
Qui donc a chuchoté dans le pli du silence ?
Qui effleurera la vitre ?
La pensée d’un ami à l’autre bout du monde
Qui passe et qui s’efface."
Je ne vais pas si mal. Je n’ai pas encore tout à fait admis l’idée que nous ne vieillirons pas ensemble, mais je suis sur le chemin. Encore quelques années et j’en serai convaincu. Certains balayent très vite les évènements de leurs vies, d'autres mettent un temps infini à cicatriser, je dois faire partie de la deuxième cohorte...
Je ne vais pas si mal. Je ne suis pas fâché contre toi, encore un peu en colère contre nous, contre le fait que nous n’ayons pas réussi, nous deux, à faire preuve de bienveillance l’un envers l’autre, mais je ne t’en veux de rien. Il faut aussi que, d’une certaine manière je réussisse à me réconcilier avec celui que j’ai pu être. Et j’ai besoin de temps pour cela. Besoin de temps... Alors qu'en vrai, il nous en reste si peu... Mais c’est comme ça.
Un jour, nous finirons sans doute par en reparler sereinement toi et moi. Sereinement c'est à dire sans que la peur nous saisisse.
Je ne vais pas si mal… Et comme écrivait encore Claude Roy:
"Je crois qu’une autre vie est possible mais qu'il faut se donner des ordres raisonnables..."
Et toi? Comment vas-tu, toi?
Québec Aout 09 060

Ah, j'ai un peu grossi, mais j'ai arrêté de fumer, aussi... Depuis, maintenant un an, sept mois, deux jours, dix heures, seize minutes, et 22 secondes et quelques volutes, ne chipotons pas...
Et c'est une affaire entendue, je n'y pense absolument plus... Je ne regarde plus le paquet posé sur mon bureau, avec dedans, encore, la dernière que je n'ai pas allumée, qu'avec un dédain… gourmand...

07 septembre 2009

D’elle.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'y était pas allé de main morte.
Elle avait plié le tout en moins de temps qu'il en faut pour l'écrire: un atemi, un uki-goshi, de belle facture, en pleine face et, pour achever le tableau, un coup de poing banal, pile poil sur le plein sommet de l’arête du nez, rien de plus. Rapide, directe, sans fioriture, sans atermoiement ni scrupule, efficace, inhumaine, bref, une vraie saloperie libérale…
Le type aussi était plié. La petite vingtaine de personnes qui avait assisté à la scène sans bouger un seul cil aurait presque applaudi à tout rompre si tout n'était déjà rompu, justement, et surtout, si le sang du gars qu'elle venait d'allonger n'avait pas commencé à dessiner une vilaine flaque brunâtre sur le gris du trottoir... La mare abordait tranquillement le bord du caniveau quand on a entendu la sirène des flics se pointer à l'angle de la rue. L'attroupement s'est dissipé comme un nuage de Mars.
Il n'y eut bientôt plus qu'elle, debout, au-dessus du corps ramolli, dont les chaussures s'imbibaient de rouge et mon regard, un peu plus loin, qui ne pouvait, déjà plus, se détacher de son dos à elle. Elle, elle ne regardait même pas le corps en vrac à ses pieds.
Deux ou trois casquettes bleues, sorties comme des diables du fourgon se sont approchées d'elle. A sa hauteur, ils ont freiné des quatre fers. C'est presque au ralenti, comme dans les films de Peckinpah qu'ils l'ont entourée et c'est à elle qu'ils ont d'abord demandé comment ça allait.
___ J'ai juste un peu mal à la main. Elle avait lâché ça comme on dirait: "Ça va, rien de grave".
Après lui avoir entouré les épaules d'une couverture kaki, ils se sont intéressés, un peu à ce qui restait du type, puis de son visage en particulier. Pour en avoir pris une belle, il en avait pris une belle. Une raclée, ça s'appelle. Il n'était pas près de se moucher, celui-là, enfin il lui faudrait d'abord retrouver son nez. Une vilaine plaie lui barrait le milieu de ce qui avait été un visage, de la bouillie de chair et de cartilages sortaient des bulles de sang, pas près d’humer un grand cru, lui… Ses lèvres étaient enflées comme deux figues de fin d'Août... Ah, son épaule droite faisait un drôle d'angle avec son torse aussi. Un angle pas commun. Ça, personne ne l'avait vu faire, la Bruce du faubourg. Il était, face, façon de parler, contre terre et respirait ou plutôt râlait dans un souffle étrange. De plus, il avait perdu une godasse dans la bataille et s'il avait pu, sûr qu'il se serait mordu les doigts de sa connerie. C'était un peu tard, douloureusement.
___Vous le connaissiez? a demandé fermement un des flics.
___ Ben oui, quand même.
___ Que s'est-il passé Bon Dieu! On n'abîme pas quelqu'un comme ça pour rien!
___ Faut pas me faire chier, c'est tout. Elle avait dit ça sans hausser ni le ton, ni la voix, comme une évidence. Il m’a fait chier et voilà.
Les flics se sont regardés et ils ont été assez vite d'accord là-dessus. Celle-là, il ne fallait pas la faire chier. Après ce constat, il n'y en eut plus un seul pour lui poser aucune autre question. Ils lui ont bien poliment demandé si elle voulait bien monter dans le fourgon. Elle n'a rien répondu mais n’a pas refusé. Ils en ont été largement soulagés. Ils ont voulu l'aider à poser un pied sur la première marche en lui prenant le coude mais j'ai bien vu l'œil glacé qu'elle a lancé au jeune flic qui avait osé ça. Il a remis son aide à plus tard et sa main sur la porte. Lui aussi avait reçu son missile. Elle s'est assise sur la banquette et les trois flics sont montés. Le SAMU s'activait autour du blessé. Les flics se sont tassés sur la banquette en face d'elle, pas à côté comme si elle avait été contagieuse et ont vite plongé leurs regards sur leurs gros godillots. Je savais où ils l'emmenaient. Le commissariat n'était qu'à quelques rues et il y avait peu de chance qu'elle accepte un détour par l'hôpital. J'y suis allé à pieds. En courant, je savais que j'étais en train de faire une bêtise grosse comme moi, mais il y avait si longtemps que je n'avais pas vécu d'emmerdements... Le lisse, ça lasse... voilà ce que je me disais pour me convaincre. Ouf, ouf...
Quand je suis entré dans la caverne des flics qui sentait la misère, l'alcool, le mensonge, la pisse, les embrouilles et le moisi, je l'ai vue devant un bureau planqué dans le fond de la salle. Un vieux en civil avec une tête de bon bougre, l'interrogeait gentiment. Mais il ne fallait pas trop s'y fier, ce sont ceux là qui tirent les plus longs vers. Il lui parlait comme un curé confesse dans le noir, avec un chouette sourire béat comme s'il s'adressait en direct à la Vierge. J'ai souri quand je l'ai entendue dire: "Il m'a brisé le cœur et vous me faites tout un plat pour deux égratignures?"
___ Egratignures, vous appelez ça comme ça, vous? Le flic n'avait pas quitté le vouvoiement de tout l'entretien. Vous savez que la violence ne règle rien? Elle l'a coupé net:
___ C'est vous qui me dites ça? Ca ne règle sans doute rien, mais vous ne m’enlèverez pas de l’idée qu’au moins ça soulage. Et là, je me sens soulagée…
___ Je n'aimerais pas être une de vos fractures...
Il avait prononcé cette phrase tout bas, de peur d'être entendu, mais elle n'écoutait plus rien, ni personne. Elle semblait avoir tout dit et comme elle n'était pas du genre à en rajouter. Une girafe aurait pu débarquer dans la pièce, elle n'aurait pas levé les yeux... Le flic a bien tenté une dizaine de questions, plus par conscience professionnelle qu'autre chose, puis il a renoncé. Depuis le temps qu'il en avait en face de lui, il savait à quel moment précis il n'en saurait pas davantage. C'était maintenant.
___ Dès qu'il pourra parler, on saura s'il porte plainte.
___ A mon avis, il le fera pas, elle a dit.
___ C'est aussi mon avis.
C'était le mien, également mais comme personne ne me le demandait, je me le suis gardé pour moi. Je m'étais assis sur une des chaises comme si je répondais à une convocation, j'étais aux premières loges. Vue plongeante sur son dos. Ah, son dos...
___ Voyez vous, a-t-elle dit en conclusion, quand je ne l'ai pas décidé, je ne suis pas prête à tout accepter, il le saura, maintenant. Je n'ai plus le cœur à me faire avoir et à en sourire...
Il n'y a pas eu UN sourire des kilomètres à la ronde. Après un temps passé à remplir des paperasses, on lui a fait savoir qu'elle pouvait s'en aller. Qu'on l'appellerait. Elle a fait demi-tour, le flic l'a accompagnée vers la sortie, jusqu'à la porte. Certains autres l'ont saluée d'un geste, tout ce qui était sur son chemin, même les meubles, s'est écarté, on se serait cru dans un restau haut de gamme. Je me suis déplié et je l'ai suivie.
Après quelques pas, elle s'est tournée vers moi d'un bloc, son regard noir s'est planté dans le mien et l'a serré, de près. Comme on serre un moteur...
Non, merde, prenez-en un autre, il doit y en avoir plein qui ne rêvent que de ça. J'étais accroché au frein à main, je ne voulais pas, j'aurais dû foncer droit devant à la vitesse de la lumière. M'éloigner d'ici en quatrième, lever le camp, mettre les voiles, filer à l'anglaise larguer les amarres, me caleter, me trisser, m'arracher, m'évanouir, m'évaporer, m'effacer, me dissoudre...
Je suis resté.
Bien entendu, c'est de cette furie furieuse dont je suis, sur le champ, tombé raide dingue amoureux.
Tout moi. Le vieux flic qui avait vu le manège entre nous m'a chuchoté:
___ Vous avez une bonne assurance?
Tu parles que j'en avais une bonne... mais je crois bien que je viens de la perdre... Corps et âme.
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05 septembre 2009

Si c’est…

Si c’est pour, dans dix ans, ne plus partager que des silences pesants et des regards vides dans les atmosphères grasseuses de restaurants déserts,
Finir par t’agacer de ma simple présence dans le même espace, sans que j'ai prononcé un seul mot,
Subir de perfides malveillances à propos de mes travers, fussent-ils réels,
Ne plus pouvoir se sentir quels que soient nos parfums ou nos eaux de toilette,
Qu'avant, je te faisais rire aux éclats, qu'avant, ce tic là te faisait fondre,
Que chacun de mes baisers dans le cou te soit griffure d’ortie, morsure de guêpe, venin de vipère, cil de mygale,
Qu’un jour funeste mes blagues niaises ne te fassent plus sourire,
Que dans le fond, tu m’aimes bien surtout quand... plusieurs jours, je m'absente,
Devenir ton mari qui s’occupe de "ça".
Si c’est pour que dans cinq ans on ne se regarde plus le blanc des yeux sans éprouver de l’épuisement, voire du dégoût,
Si c'est pour qu'il y ait du "bruit" à la maison quand je rentre, pour que le linge soit plié, pour être ensemble, de peur d'être seuls...
Si c’est pour que ta main ne reste qu'un temps de plume dans la mienne, que dans trois ans je sente le souffle chaud d'un soupir agacé sur ma nuque quand j'ose un avis, que tes yeux se lèvent au ciel quand je parle, que tu regardes ailleurs quand je montre une merveille, que tu n'aies pas le temps de lire le livre que j'aime, que tu baisses le son de la musique que j'écoute...
Si c'est pour que l'année prochaine, déjà, nous ne passions pas nos vacances ensemble,
Si c'est pour tout ça, alors, pardonne moi, mais je préfère ne pas te... rencontrer.


Voie ferrée 1

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