12 juin 2023

Tout au long.

 Ils se connaissaient depuis si longtemps que même la belle lurette ne se souvenait plus vraiment comment ils s’étaient rencontrés. Et, dans le groupe actuel il y avait eu aussi,  le temps oblige, des connaissances croisées. Oui, un peu comme dans le vide quand les étoiles qui se reconnaissent se tournent autour et se serrent.  Certains s’étaient connus tout jeunes gens puis, le cercle, avec les années, s’était peu à peu agrandi. En revanche son diamètre avait très peu diminué. Les rares qui s’étaient éloignés ne se le devaient qu’à eux mêmes. 

Eux, ceux qui étaient restés avaient, en plus de la fidélité, le talent  de faire de la place aux nouveaux arrivants, de sortir une chaise ou un verre pour ceux qui les rejoignaient. Ils avaient souvent ce mot simple à la bouche : Bienvenue. 

Les années passant, ils se connaissaient comme s’ils se respiraient et ils acceptaient volontiers les défauts de chacun. Parfois, ils se chambraient un peu mais ça restait bienveillant. C’était une belle qualité. Ils connaissaient tous cette phrase de Hubbard et la trouvait juste: Un ami c'est quelqu'un qui sait tout de toi et qui t'aime quand même.

À cause de cette fidelité, ils essayaient toujours de se retrouver pour quelques jours dans l’année, peu importait où, ce sont les retrouvailles qui comptaient. Si l’envie de se revoir les prenait,  ce n’était pas parce qu’ils devaient, ou parce qu’il fallait ou parce que ça faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas vu ou je ne sais quoi, c’est  simplement parce qu’à l'idée, ils  en éprouvaient du plaisir. Celui d’être ensemble, de se voir et de se parler, de rire et parfois de chanter, de s’asseoir à table et la chose la plus précieuse au monde : Partager du temps. Cette année, ils s’étaient revus mais dans des circonstances telles qu’ils auraient sans doute préféré que ça n’arrive pas. Deux fois presque coup sur coup et pour être des coups c’en était des violents, pour accompagner le définitif départ de deux d’entre eux. Avec le premier qui était parti il y a quelques années maintenant, ils en avaient maintenant perdu trois. Et le chagrin qu’ils en avaient ressenti était à la mesure de leur affection. La douleur de l’absence rend ceux qui ne sont plus là parfois si présents qu’elle est difficile à supporter. Quoiqu’on fasse, où qu’on aille on se heurte à ce mur de l’absence. Et la peine revient. Immanquablement

Malgré ces chagrins répétés, certains avaient eu la volonté de se réunir. Les autres avaient accepté. Avec envie et aussi un peu de crainte.

Ils devaient se retrouver, les quatorze, un dimanche soir dans un petit village de la Haute Vallée du Verdon. Ils y étaient venus souvent ensemble. Depuis longtemps. Ils aimaient l’endroit mais ils auraient tout aussi bien pu aller ailleurs. Ils avaient même emmené les très rares qui avaient été vraiment physiquement empêchés.

Le premier soir, après les retrouvailles, les nouvelles données, si certains se voyaient souvent, d’autres ne se se voyaient guère, l’un d’entre eux avait tenu à prendre la parole pour dire quelques mots mais le chagrin qui a déboulé les a enfermés dans sa bouche, c’est un autre qui avait pris le relais. Avec eux, il y en avait toujours un pour le prendre.

Le lendemain un d’entre eux était arrivé pour les rejoindre et passer quelques heures avec eux. Il connaissait la montagne mieux que le fond de sa poche et au cours des balades il leur avait donné des clés pour la comprendre et l’aimer encore davantage. Ils avaient fait deux groupes et s’étaient donné rendez vous pour manger ensemble au plein milieu d’un champ de boutons d’or bordé de framboises sauvages. Un bel endroit pour se passer du baume sur le coeur. Puis ils étaient redescendus pour faire quelques parties de boules. Le prétexte à encore parler, parler et parler. Et si, pour ça, certains étaient  moins doués que d’autres ceux qui étaient à l’aise le faisaient pour quatre.

Le deuxième jour, ils étaient montés au lac. Ici, on disait le lac. Il avait un nom mais les gens d’ici ne le prononçaient pas. Quand on parlait du lac on savait de quel lac il s’agissait. Pourtant le coin n’était pas avare en lacs. Il y en avait un moulon mais celui là on ne l’appelait pas et quand on l’avait vu une fois, on s’en souvenait. Avant d’y arriver ils avaient traversé des champs de marmottes qui les signalaient de leurs sifflets si reconnaissables. Chacun avaient eu des pensées pour les absents mais sans le dire pour ne pas alourdir l’instant.

Le soir un cavaleur de sommets avait apporté des images merveilleuses de ce monde, désormais en danger, qu’il avait prises lors de ses escapades. Un nettoyage au dacryosérum parfait. 

Ensuite, ils ont passé trois jours ensemble à tantôt se mettre de la pommade, cicatrisante tantôt à s’ouvrir un peu la plaie à l’opinel du cœur : le souvenir. Puis est venu le moment de se séparer. Ils se sont bien embrassés en se disant merci, à bientôt, portez vous bien, veillez sur vous, on se voit bientôt…

En vrai, pendant tout ce séjour suspendu, les quatorze n’étaient pas quatorze. 

En vrai, sans trop s’étendre, sans trop en parler entre eux pour ne pas souffler sur les braises vives, pour que le chagrin de les submerge pas trop, en vrai, ils étaient dix sept, voire bien davantage tant il est vrai qu'à partir d'un certain âge on ne sort plus sans ses absents.  

Tout au long des jours qui nous restent.







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