25 juin 2011

Les deux, tiens.

C’est pas joué d’avance qu’on touche le gros lot
Remplir un bulletin c’est déjà la Saint Gogo.
C’est pas d'main la veille qu’on stopp'ra le turbin,
On n'quitt'ra cette taule qu’à la Saint Glinglin.
C’est pas de suite qu’on s’ra l'tronpa des patrons,
On aura tous des tas d'Rolex qu’à la Saint Carton!
C’est pas not' jour de conduire les belles voitures,
Nous c'qu'on va faire c’est s’serrer la Saint Ture.
L’est pas v’nu vraiment le temps d’l’a richesse,
Ni qu’on va, dans l’beurre doux, poser nos fesses,
S’allonger sur un'moquett' sans  poignée d’clous,
Péter dans la soie, ce s’ra pour la Saint Maclou!
On aura jamais not’compte en banqu’assez obèse
Pour fair' de l'hélico entre Cannes et Saint Tropez!


C'est donc pas l'époque des cadeaux ni des tralalas
Mais qu'est-ce qu'il fout, il dort ou quoi Saint Nicolas?
Si qu’un jour j’ai d’la maille, des diamants bien roses,
C’est pas la plage qu'je m'paye, c'est tout Sainte Rose!
Les premiers s’ront les derniers, qu’il a dit l’cantique
J'y crois pas vraiment, ça m’a l'air Saint Pathétique!
C’est pas hier la vieille qu’on verra c’qu’on voit
Pourquoi qu’on a pas crevé les œils à Saint Thomas ?
Alors ici bas, tant qu'je peux, j'caresse tes deux rois
D'abord le gauche, le plus avenant, mais aussi le droit...
Oh que j'aime tes superbes et des deux je suis jaloux 
Deux sous ton pull, qu'on devine, doux coussins
Vrai qu'ils me vénèrent pas mal tous ces saints,
Sauf tes deux là, qui me sont médecins… les deux tiens...





24 juin 2011

Un petit tour et...

Lisbeth. Elle voulait qu'on l'appelle Lisbeth. Et ça ne datait pas d'hier.

C'était depuis qu'elle avait vu à la télévision en noir et blanc, le mariage d'Elisabeth II  d'Angleterre en quarante sept. Les images, elle les avait vues sur le premier poste arrivé au bar du village où elle habitait. En vrai, dans la vie, depuis toujours, elle s'appelait Rose... "Et je suis pleine d'épines"... ajoutait-elle sans y voir aucune malice. Rose, pour une sacrée bonne femme, c'était un sacré bout de bonne femme. Elle était haute comme trois marches, mais ce n'est pas la taille qui fait la grandeur. Elle était sèche comme un  lit de torrent en Aout mais ce n'est pas l'apparence qui fait la personne, elle était ridée comme une dame sans âge, mais ce n'est pas en années que se mesure la jeunesse... Veuve depuis trente ans... Devant les mines effondrées, elle s'amusait comme une ponctuation joyeuse: "Trente ans de bonheur!"... Elle, comme pas mal de ses contemporaines, n'avait pas eu, ce qu'on appelle, une vie facile. Elle était venue au monde avec le siècle, enfin une année après la naissance du siècle dernier. Elle avait donc connu deux grandes guerres et puis s'était mariée très tardivement, la même année que la souveraine, avec un type, Paul, réapparu au village après cinq ans de captivité en Allemagne. Quelques années avant de partir au front, ils avaient, entre autres, partagé des serments, elle s'y était tenue et l'avait attendu. Elle l'avait même suivi lorsqu'il avait décidé de tenter l'aventure de l'Algérie. Une boutique à Oran... Ce fut sa troisième guerre. Elle en était revenue un jour avec deux valises et des souvenirs. Ensuite, elle avait supporté pendant une vingtaine d'année, la rudesse de son homme. C'est elle qui appelait ça comme ça... Mais ça ne l'avait pas empêché de vivre. Elle avait su rester discrète. Pendant que Paul entrait dans les bars ou les concours de boules, elle entrait dans ses vies amoureuses. Paul, lui ne s'était jamais douté de rien. Il était parti d'un coup, son verre à la main, d'une crise cardiaque le soir de l'élection de Mitterrand. "Dieu ait son âme!" avait elle sifflé sans qu'on ait pu savoir à qui cette phrase était destinée... Elle avait terrassé deux ou trois cancers, dont un à qui elle avait concédé deux seins. "Je fais des économies de soutien-gorge!" Riait-elle. Elle avait vaincu quelques infections virales, des tas de grippes vicieuses, trois canicules et un Paul... Elle s'était remise d'une fracture du col du fémur, de la séparation d'une bonne longueur de ses intestins mais elle avait gardé toute son ouïe, son goût, son appétit et son envie de vivre.
Quand elle n'avait plus pu se débrouiller seule, elle avait occupé une chambre dans la résidence des Lauriers qui accueillait les anciens du village. Elle s'y trouvait bien. Personne jamais ne venait jamais la voir mais elle s'en fichait pas mal. Elle trouvait dans ses souvenirs et  les livres le monde qui lui était désormais interdit. Elle a perdu des chats mais elle a gardé toute sa tête.
Et puis, elle eut cent ans.
Et puis, des années après, elle en eut cent dix. Bien entendu, on était venu la voir, on l'avait photographiée, on l'avait interviouvée. Vous pensez, la doyenne du département, de la région, les journaux du coin s'en régalaient. Alors, pour la fêter, on avait voulu lui faire plaisir. On lui avait demandé si elle avait un souhait. Elle avait dit dans un vague sourire: "J'aimerais faire le tour du village en calèche." On avait souri avec condescendance et l'affaire avait été vite organisée. Ca fera de belles photos, d'émouvants articles et une belle renommée pour le Maire. Bref, tout le monde allait en profiter. 
Le matin même de son cent dixième, un matin de Février de fier mistral, un matin de pierre fendue et de givre au ronces, on avait attelé Centaure, le cheval de trait du boucher et on était venu chercher Rose. Elle était prête à l'aube... Depuis que personne n'était venu la prendre... On l'avait emmitouflée dans des fourrures polaires, on l'avait hissée sur le siège et on l'avait promenée dans les ruelles. Sa calèche était suivie par tout un aréopage d'édiles, d'élus, Maire en tête et par quelques enfants du village qu'on avait dispensé d'école ce jour là. Bien sûr, malicieuse, elle avait fait sa coquette, en saluant les passants croisés, de la main, exactement comme l'autre là, l'anglaise... Elle avait également demandé à passer et repasser devant le cimetière comme pour narguer son Paul perdu. 
Les journaux n'étaient pas allé bien loin pour trouver les titres des articles: "Lisbeth, reine d'un jour"... "La centenaire couronnée" etc 
 son visage froissé, elle s'était accroché un sourire de conquérante.
Il y avait eu ensuite un pot de l'amitié à la mairie, un discours du Maire et on l'avait raccompagnée à sa solitude et au chaud de chez elle.


Elle est morte dans la nuit comme si quelqu'un avait soufflé doucement sur la  flamme vacillante de sa bougie. Elle s'est éteinte, comme elle, pleinement heureuse, dans le froid du petit matin de sa cent onzième année.

Elle avait quitté la place après un dernier tour de village...
Elisabeth II régnait toujours...



18 juin 2011

A tous.

Aux Noël, aux fouettards, aux fondateurs et aux Turbateurs. Aux Larigueur, aux Cepteurs, aux sil, aux Manganate, aux Emptoires, aux Sifleurs, à ceux de la Nation et même aux Lachaise et aux Vers. Aux Turbés, aux  icoloso sporgersi et tant qu'on y est aux Ledeculture...
Aux Goriot, à la gloire de celui de Pagnol, à celui de Kafka ou encore de Maupassant. 
A celui sur lequel on règle son pas, au iclite, aux iphériques, aux Manents, aux Pétuels. Au petit des peuples, au La victoire, aux uches, aux venches, au Ubu.
A tous, vraiment à tous: aux de claques, de fesses, de roi, de dames et de valets... bref à tous... 
A Os Guirrec, à Pignan, à Sépolis et en tirant par les cheveux à Nes les fontaines...
A ceux de nos amis, ceux qu'on aime, à ceux qui ne sont plus tout à fait avec nous mais qu'on a eu la chance de connaître, à celui du notre...
A Samuel qui, je lui souhaite, en deviendra un, un jour.
Aux "mobile", aux "gâteaux", à ceux qui sont en haut, aux Mambos... 
A ceux qui ont perdu le leur et à ceux qui n'en ont jamais eu, au votre...
Et enfin, parce que dans le fond c'est un peu grâce à lui que j'en suis devenu un  comblé et donc qu'on va faire ma fête: au mien...



13 juin 2011

Conter Fleurette.

 Mais oui, je m'en souviens très bien, maintenant, c'est ce soir là que j'ai eu la belle chance de croiser Fleurette. 
Que je te raconte Fleurette:
C'est quand elle est sortie de l’hôpital vivante, mais avec des trucs en moins à l'intérieur qu'elle s'était remise à sourire. Ses amis l'appelaient Fleurette parce que ça lui allait bien mais ce n'était pas son vrai prénom. Son vrai prénom, elle voulait bien qu'on s'en serve mais Fleurette, elle aimait bien, aussi. En vrai, elle n'était pas compliquée, elle.
 Du moins c’est ce qu’elle nous a dit, à propos de l'hôpital. Pas grand-chose qui pouvait l’entamer cette fille là, même si les coups qu'elle avait reçus de la vie lui laissaient de vilaines marques à l’âme et sur la peau, elle faisait tout son possible pour cacher ces entailles. Elle s’en foutait pas mal de ses cicatrices de pirate, ça ne l’empêchait pas de se baigner à poil. Elle ne cherchait pas à les montrer mais n’empêchait pas qu’on les voit .  Alors que d’autres les portaient comme un étendard : Voyez, voyez tout l'monde, comment j’ai souffert atrocement… Elle c’était, pfffuit, on balaie ça d’un geste de la main : l’important c’est d’être là, aujourd’hui, avec vous…
Elle devait bien peser ses quarante kilos, cette plume d’acier trempé. Mais en face d’elle on était comme devant un pack de rugby juste avant l’introduction de la balle et c’est un visage tout en sourires qui l’accueillait. Je ne la connaissais pas assez pour savoir si en pilier de bar elle avait ses diplômes, mais au jugé, comme ça, à la va-vite, à l’estime, au coude près, j’aurais volontiers parié que oui. Elle avait deux yeux dorés et un joli regard, léger et profond à la fois, comme tous les gens qui ont beaucoup pleuré. Je ne la connaissais pas assez mais j’étais certain qu’elle avait dû en jeter des containers de caisses de paquets de kleenex. Plus que son compte et sans doute seule, dans le noir, après le départ du dernier fumeur. En toute pudeur.
 Elle avait une voix de brume et pourtant elle s’était depuis bien longtemps mise aux blondes et peut-être même à d’autres herbes plus gentilles, de celles qui se fument entre amis, certains soirs après le rhum. Ou pendant. Ou avant… De celles qui consolent après avoir tant pleuré.
 Elle avait fait cent boulots Fleurette, elle avait même été hôtesse sur cata, j'aurais gouté avec plaisir à sa cuisine, la meilleure des Caraibes à ce qu'on entendait dire, mais ce qui lui plaisait le plus était, quand même de rendre les autres contents. Autrement dit, elle avait pas mal navigué, Fleurette. C’est pour ça que ce soir là, qu’elle avait débarqué des pots de confiture bio dans son sac alors qu’elle ne restait même pas dormir :

« C’est pour votre petit déjeuner de demain matin, ce sont mes confitures à moi-même que je fais. Que du bon avec des fruits d'ici. »
Fleurette en bonne maman... Elle avait collé sur les pots, une étiquette avec les fruits, la date de fabrication et son nom, le tout écrit à la main d'une jolie écriture de petite  fille.
 On s’en est léché les babines et on n’a pas attendu le lendemain pour vider les pots. 
Ce qui lui allait le mieux, à Fleurette, c’était le présent, enfin, ce qu’elle était en train de vivre. Elle ne s’attardait pas sur le passé, pas toujours rose, à ce que j’ai vaguement compris, rien que cette histoire d'hôpital où elle avait manqué d'y rester, sortie avec des bouts d'elle en moins, elle ne pensait pas à l’avenir, il viendra bien tout seul, sans qu’on s’en préoccupe, disait-elle, alors…
 Alors, elle était gaie d’aménager sa maison sur son ile, à la campagne, de s'échiner à en faire un gîte acceptable et de recevoir ses premiers clients mais elle n’aimait pas trop ce mot là, Fleurette, on avait vite fait quelques chances de devenir son ami. Elle vivait là entourée de cabris, de chats, d’un chien, de sourires, d’alizés et se demandait si elle allait trouver quelqu’un pour lui bricoler une douche et l’aider à refaire la terrasse d'une maison qu’avait tendance à aller voir du coté de la pente qui penche… 
Elle ne se faisait pas de souci, elle savait qu’elle trouverait en finale, si besoin était, la force de le faire elle-même de ses propres mains.
 Et je la regardais parler, raconter ses malheurs, ses bonheurs et ses espoirs, sans plainte, juste raconter comme ça, pour donner de ses nouvelles, qu’étaient plutôt bonnes en ce moment, en descendant son ti punch, en attendant le deuxième, en scellant, déjà, le sort du troisième…
Bref, si la vie l'avait castagnée dix fois, elle s'était relevée onze, Fleurette.
En l’écoutant, sur le pont de ce bateau au mouillage, dans la nuit tropicale qui s’amenait avec ses habits de paradis, tout en rose et en douceurs cuivrées, dans les odeurs appétissantes d'une langouste en train de griller, je me disais que nous sommes presque tous faits pareils, de petits animaux fragiles, craintifs mais têtus et solides comme des rocs, capable de résister à tout ce que la vie peut proposer de moche, dotés d'une sorte de mignon sourire comme une lance magique, fichus de désarmer une entière armada  d’amers emmerdements… Mais que les femmes l'étaient quand même vachement plus que nous, les hommes, si prompts à chouinasser à la première minuscule écharde enfoncée dans un de nos petits petons si sensibles... Pauvres malheureux que nous étions ! Un rhume et la fin du monde en approche, une douleur et c’est au moins, la mort qui s’amène, un grain de beauté sur le bras et ce sont les mélanomes malins de la Création qui nous tournent autour comme des hyènes malades… Fragiles et vains, les petits bonhommes.
Quoiqu’il en soit, c'est ce soir là que j’avais croisé Fleurette, le séjour avait été inoubliable, le couchant grandiose, la soirée  magnifique... je m’en souviendrai longtemps de tout ça, je m'étais dit…



12 juin 2011

Notre héritage.

TON HERITAGE.


Si tu aimes les soirs de pluie
Mon enfant, mon enfant
Les ruelles de l’Italie
Et les pas des passants
L’éternelle litanie
Des feuilles mortes dans le vent
Qui poussent un dernier cri
Crie mon enfant
Si tu aimes les éclaircies
Mon enfant, mon enfant
Prendre un bain de minuit
Dans le grand océan
Si tu aimes la mauvaise vie
Ton reflet dans l’étang
Si tu veux tes amis
Près de toi tout le temps
Si tu pries quand la nuit tombe
Mon enfant, mon enfant
Si tu ne fleuris pas les tombes
Mais chéris les absents
Si tu as peur de la bombe
Et du ciel trop grand
Si tu parles à ton ombre
De temps en temps
Si tu aimes la marée basse
Mon enfant, mon enfant
Le soleil sur la terrasse
Et la lune sous le vent
Si l’on perd souvent ta trace
Dès qu’arrive le printemps
Si la vie te dépasse
Passe mon enfant
Ca n’est pas ta faute
C’est Ton héritage
Et ce sera pire encore
Quand tu auras mon âge
Ca n’est pas ta faute
C’est ta chair, ton sang
Il va falloir faire avec
Ou plutôt sans
Si tu oublies les prénoms
Les adresses et les âges
Mais presque jamais le son
D’une voix, d'un visage
Si tu aimes ce qui est bon
Si tu vois des mirages
Si tu préfères Paris
Quand vient l’orage
Si tu aimes les goûts amers
Et les hivers tout blancs
Si tu aimes les derniers verres
Et les mystères troublants
Si tu aimes sentir la terre
Et jaillir le volcan
Si tu as peur du vide
Vide mon enfant
Ca n’est pas ta faute
C’est Ton héritage
Et ce sera pire encore
Quand tu auras mon âge
Ca n’est pas ta faute
C’est ta chair, ton sang
Il va falloir faire avec
Ou plutôt sans
Si tu aimes partir avant
Mon enfant, mon enfant
Avant que l’autre s’éveille
Avant qu’il te laisse en plan
Si tu as peur du sommeil
Et que passe le temps
Si tu aimes l’automne vermeil
Merveille rouge sang
Si tu as peur de la foule
Mais supporte les gens
Si tes idéaux s’écroulent
Le soir de tes 20 ans
Et si tout se déroule
Jamais comme dans tes plans
Si tu n’es qu’une pierre qui roule
Roule mon enfant
Ca n’est pas ta faute
C’est Ton héritage
Et ça sera pire encore
Quand tu auras mon âge
Ca n’est pas ta faute
C’est ta chair, ton sang
Il va falloir faire avec
Ou plutôt sans
Mon enfant… Mon enfant…


Benjamin Biolay.



.

Parce que quand j'ai besoin de pleurer, c'est, entre autres, celle là que j'écoute..

10 juin 2011

Il était une voix.

Dans les brumes d'un vague réveil encore endormi, ce matin, une voix m'a dit ceci:


- A force de regarder les arbres, je suis devenu un arbre et mes longs pieds d’arbre ont creusé dans le sol de larges sacs à venin de hautes villes d’ossements. à force de penser au Congo



je suis devenu un Congo bruissant de forêts et de fleuves
où le fouet claque comme un grand étendard
l’étendard du prophète
où l’eau fait
likouala-likouala
où l’éclair de la colère lance sa hache verdâtre et force les sangliers
de la putréfaction dans la belle orée violente des narines.
Au bout du petit matin le soleil qui toussote et crache ses poumons
Au bout du petit matin
un petit train de sable
un petit train de mousseline
un petit train de grains de maïs.
Au bout du petit matin
un grand galop de pollen
un grand galop d’un petit train de petites filles
un grand galop de colibris
un grand galop de dagues pour défoncer la poitrine de la terre.
Douaniers anges qui montez aux portes de l’écume la garde des prohibitions
je déclare mes crimes et qu’il n’y ait rien à dire pour ma défense.
Danses. Idoles. Relaps. Moi aussi.
J’ai assassiné Dieu de ma paresse de mes paroles de mes gestes de mes chansons obscènes
J’ai porté des plumes de perroquet des dépouilles de chat musqué
J’ai lassé la patience des missionnaires
insulté les bienfaiteurs de l’humanité.
Défié Tyr. Défié Sidon.
Adoré le Zambèze.
L’étendue de ma perversité me confond !
Mais pourquoi, brousse impénétrable encore cacher le vif zéro de ma mendicité et par un souci de noblesse apprise ne pas entonner l’horrible bond de ma laideur pahouine ?
Voum rooh oh
Voum rooh oh
à charmer les serpents à conjurer les morts
voum rooh oh
à contraindre la pluie à contrarier les raz de marée
voum rooh oh
à empêcher que ne tourne l’ombre
voum rooh oh
que mes cieux à moi s’ouvrent
- moi sur une route, enfant, mâchant une racine de canne à sucre
- traîné homme sur une route sanglante une corde au cou
- debout au milieu d’un cirque immense, sur mon front noir, une couronne de daturas
voum rooh
s’envoler
plus haut que le frisson plus haut que les sorcières
vers d’autres étoiles exaltation féroce de forêts et de montages déracinées à l’heure où nul n’y pense
les îles liées pour mille ans !
voum rooh oh
pour que revienne le temps de promission
et l’oiseau qui savait mon nom
et la femme qui avait mille noms
de fontaine de soleil et de pleurs
et ses cheveux d’alevin
et ses pas mes climats
et ses yeux mes saisons
et les jours sans nuisance
et les nuits sans offense
et les étoiles de confidence
et le vent de connivence
Mais qui tourne ma voix ? Qui écorche ma voix ? Me fourrant dans la gorge de mille crocs de bambou. Mille pieux d’oursin. C’est toi sale bout de monde. Sale bout de petit matin. C’est toi sale haine. C’est toi poids de l’insulte et cent ans de coups de fouet. C’est toi cent ans de ma patience, cent ans de mes soins juste à ne pas mourir.

Extrait de Cahier d’un retour au pays natal
d'Aimé Césaire Editions Présence Africaine.


Merci bien à vous, Audrey Pulvar de ce réveil, là.






03 juin 2011

Y-a-t-il plus triste...

Qu'un temps de Novembre sous un ciel de Mai?
Qu'un lendemain de fête?
Qu'un crétin triomphant?
Qu'une fleur, tige nue, aux pétales éparpillés?
Qu'une réponse à laquelle on n'a pas de question?
Qu'attendre quelque chose qui n'arrivera pas?
Qu'une bouteille, des verres et un bar vides?
Qu'une balançoire rouillée dans un jardin étouffé par les ronces?
Qu'une photo d'un couple souriant, déchirée au creux d'un caniveau?
Que le regard affolé d'un chien craintif?
Qu'une gnossienne une fin d'après midi de dimanche pluvieux?
Qu'un homme brillant pris en flagrant délit de mesquinerie misérable?
Qu'un philosophe exposé énonçant une connerie, comme lui majestueuse ?
Qu'une chanson  révolutionnaire entonnée à la fin d'un repas de famille par un grand père vaguement saoul?
Qu'une clé qui casse dans une serrure qu'on peine à ouvrir?
Qu'un écureuil écrasé, rousse peluche, aplatie sur le goudron noir d'une nationale?
Que de débusquer le mensonge d'un ami, surtout s'il le commet pour ne pas vous blesser?
Qu'un homme seul à une table de restaurant, un journal sous les yeux?
Que la peur d'un enfant perdu dans une foule compacte?
Que de se sentir embarqué dans un conflit avec un adversaire transpirant la mauvaise foi?
Qu'une personne âgée apeurée par les mouvements de la rue glanant en fin de marché?
Qu'une ancienne gloire replongée dans sa splendeur passée?
Qu'un bouquet de fleurs en plastique accrochées à un arbre près d'un carrefour meurtrier?
Q'un imbécile heureux né quelque part?
Qu'une amour morte qui ne le sait pas encore?
Qu'une jeunesse emportée par une guerre incertaine dans un pays lointain?


Que la douleur tranchante d'une mère confrontée à la mort de son enfant?




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