26 août 2011

Fin d'artifice...

Le noir profond de la nuit venait d'envahir le monde. 
Bien avant, le soleil s'était, cercle rouge, abimé en mer en ayant foutu le feu à tout l'horizon. Ne nous arrivaient plus, de là-bas, que des nuages noirs de désillusions.
Le type, lui, est arrivé, sous l'immense porche à paillettes du casino, celui qui sert à abriter les clients descendant des grosses bagnoles noires, tranquillement, sans nervosité particulière, comme un client banal. Il a passé la porte tournante sans fébrilité, normalement, sans toucher aux parois de verre, pour qu'elles continuent de tourner. Il a salué de la tête le gars de la sécurité qui se la jouait agent secret avec son micro au poignet et ses lunettes de soleil à une heure où le soleil était dans de beaux draps depuis un bon moment. L'homme qui s'avançait était habillé d'un costume un peu vieillot, d'une coupe ordinaire, une cravate grise pendouillante sur une chemise qui, en son temps, avait été blanche. Il tenait un sac plastique à la main. Ça oui ça aurait dû  surprendre. Hé bien personne n'y a porté attention. Pas même le James Bond normand. Comme dans la vie, quoi... En général, personne ne le remarquait. Quand il entrait dans un bar, dans une banque, à la poste on ne lui manifestait aucun intérêt. Il devait d'abord, lui, appeler, demander, se racler la gorge, envoyer un signe de sa présence pour qu'on daigne lèver les yeux sur lui, pour que de mauvaise grâce on abandonne ce qu'on était en train de faire et  s'aperçoive de sa présence... Pour lui, mais pour des tas d'autres c'était comme ça. Lui, et la plupart ne l'avaient pas: Le charisme? la lumière? Une aura? Un don? Comment appeler cette chose très particulière que d'être de suite remarquable dans une foule, une queue ou bien une salle, fut-elle bondée...
Il a filé droit vers la caisse, il connaissait visiblement bien les lieux et là, on a commencé à y prêter un poil attention. De son sac plastique, il a sorti un semblant de fusil de chasse amputé aux deux bouts, crosse et canon. Il ne s'est couvert le visage d'aucune cagoule mais il a pointé son escopette de voyage droit sur le joli visage de la caissière. Bien sur elle a eu l'air paniqué, ça s'est vu dans son regard. Évidemment, des larmes lui sont venues, mais elle n'a rien crié. Elle s'est penchée sur son comptoir et lui a remis une liasse qui trainait là. Il a semblé satisfait puisqu'il a reculé. L'autre, le karatéka de pacotille, à l'entrée, était plat comme une limande, la bouche à son poignet, en train d'appeler des renforts et les rares clients qui ont vite compris ce qui se tramait dans le secteur ont fichu le camp en courant comme des hystériques. Quand il est arrivé sur le parvis de casino, une estafette de bleus se rangeait, enfin se rangeait... parcourait le terre plein central à toutes blindes arrachant au passage le tronc du palmier... 
Il a pointé son arme vers elle et a tiré, d'une main, une fois. Une seule. Un gros trou béant dans la porte et le bras d'un gendarme en sang. Alors, il s'est dirigé vers SA bagnole, une  SEAT IBIZA hors d'âge, il l'a mise en route après avoir perdu pas mal de temps pour retrouver ses clés au fond de sa poche et il a démarré. Il a tiré une deuxième cartouche au passage au ras de l'estafette. Un autre trou dans l'autre porte et tout le monde à nouveau au sol comme des crêpes au sucre. Puis sans que les pneus crissent sur le goudron, il a filé vers Trouville. Au Rond Point des anglais, à la sortie de la ville, ils avaient monté une sorte de barrage. Il s'en  est pas mal foutu. Il a foncé droit sur le vert du milieu et a balancé au passage deux coups de fusil vu qu'il avait eu le temps de recharger son engin pendant la longue ligne droite menant du casino. Les gendarmes  présents ont bien essayé de riposter mais ils n'ont rien touché, ni personne. Ne toucher à rien, c'est encore ce qu'ils faisaient de mieux! Sauf que l'un d'eux s'est entaillé une main sur des débris de pare-brise, rien de grave.
Malheureusement, au croisement de la D834, c'est une autre paire de manche qui l'attendait. Deux bagnoles de la BAC de Deauville. Appelée en renfort, ravie dès que ça pétarade... Des cow boys à la mauvaise réputation armés comme des chasseurs de sangliers le jour de l'ouverture à la coccinelle...
C'est la troisième balle qu'il a reçu en plein tiroir du buffet qui l'a tué. La Seat est allée s'écraser mollement contre le mur du haras de Neuville... 
Quand les flics ont vu son âge sur la carte d'identité qu'il avait dans son portefeuille, ils n'en sont pas revenus: 
___ La vache, ça lui fait soixante quinze, non, soixante seize ans. Merde. Mais c'est un vieux en retraite...


Chez lui, dans le modeste et vieillot pavillon de la grande banlieue de Vire, au ras des pommiers, on a retrouvé un mot griffonné à la va-vite, glissé sous la coupe de fruits en pâte de verre posée  sur la toile cirée de la table de la salle à manger:
J'emmerde les gendarmes de Vire et surtout le chef T.(illisible) qui m'a flashé deux fois cette semaine à la sortie de Dives. Dites lui bien que c'est un fameux con! Pour toi, mon connard de gendre, tu peux te foutre de moi, mais j'ai toujours détesté Derrick...


Suivaient encore quelques mots que les experts ont mis un temps fou à déchiffrer tellement c'était écrit avec rage. Ils disaient:


Marre de cette vie de merde... Je m'ennuie à mourir... En beauté, finir...


Nel.

Lui, il a profité de notre absence pour se pointer.
On l'a trouvé en rentrant, attablé devant le bol de graines destinée à l'autre, le costaud. Il est enfin venu le temps où elles ont des dents... On en a fait de vraies poules, maintenant. Finie la viande rouge, vivent les graines en sachets... Notre retour ne l'a pas dérangé. Il a levé ses grands yeux vers nous et il a continué de croquer, en replongeant sa petite tête au profond du bol. Il y allait de bon coeur, comme un qui n'aurait pas becqueté depuis plusieurs jours. Heureusement que c'était des graines light... Oui, parce qu'à ceux de nos jours on donne des croquettes allégées, pour soigner leur ligne... Bien, bien mort le temps des têtes de maquereaux, des tripes de sardines et des arêtes d'anchois... 
Une fois que son ventre fut devenu comme un mini ballon de rugby, gonflé à belle pression, il s'est relevé, s'est léché les babines, un peu les pattes et nous a regardé. On a du lui plaire parce qu'il est resté. Il n'a pas fait mine de ficher le camp, il n'a même pas fait semblant d'avoir eu peur de nous. Il n'avait pas de quoi du reste.
Enfin, le premier soir, il a couché dehors. On n'a pas voulu le laisser rentrer, on s'est dit qu'il était peut-être à quelqu'un et qu'une fois rassasié, il allait sagement prendre le chemin du retour comme un pomponnet de passage... On ne savait pas non plus où il en était question propreté...
Le lendemain, il était toujours là. Il gueulait devant la porte. Il a très vite grimpé dans nos bras, s'est affalé sur nos genoux, posé dans le creux de nos mains. Il a visité la baraque et s'est étalé de tout son long de bébé sur un des couvre lits. Ca a eu l'air de bien lui plaire. Il faut dire qu'il Il était léger comme une plume et maigre comme un haricot. Son programme immédiat c'était: je mange, je dors, je gueule..
Alors, pendant son sommeil, on est allé voir le vétérinaire du coin, on lui a demandé s'il en avait entendu parler, on l'a photographié sous toutes les coutures, on est allé coller des affiches dans tout le village avec notre numéro de téléphone en espérant qu'un Josh Randall vienne rôder dans le secteur. Jusqu'à présent, personne ne l'a encore réclamé. On ne va ni le faire piquer, ni le porter à la SPA, ni lui donner un coup de marteau, tout de même?
Alors, en l'attendant, le nourrit, on le cajole et il nous... garde. 
On l'a appelé Nel.
Pourquoi Nel? Parce qu'il a une certaine classe, le coco...



PS: Je donne Nel volontiers à qui sera prêt à vivre une jolie relation mais aussi à "subir" les contraintes d'un animal domestique à demeure, ce que moi, je ne suis pas prêt à faire... 
Je n'ai pas envie d'en prendre pour vingt ans...

Les anges sont des salauds.

Il faisait partie de ceux qui ont une théorie sur tout. Mais si, mais si vous en connaissez aussi des comme ça. Ceux qui disent qu'après la pluie, le printemps ou quand il y en a pour un, il y en a pour moi. Vous voyez le genre? Ils savent tout sur tout, et ont un avis quoiqu'il se passe dans le monde, eux ils savent. Balèzes en géopolitique, pointus en économie financière, incollables en développements historiques, au faite des connaissances psy, imparables sur les avancées scientifiques, bref chiants comme un dimanche de pluie à Romorantin... Celui-là, celui dont je parle, était comme ça. Il élaborait des théories magnifiques, belles comme des pyramides égyptiennes mais qu'on aurait posé sur la pointe et surtout, il la ramenait sans arrêt, sur n'importe quel sujet. La puissance sexuelle du directeur du FMI, le temps pourri de juillet,la répression sanglante en Syrie, il balayait large... 
Sa  dernière marotte, c'était les anges. Il disait à qui voulait l'entendre (le cercle se réduisait de jour en jour...) qu'on avait chacun le sien, qui veillait sur nous, nous protégeant des mauvais coups, des mauvaises passes, des dangers physiques en nous envoyant des signes, des appels qu'il fallait savoir voir ou ressentir. 
Ainsi, disait-il, dans chaque catastrophe aérienne, il y avait des gens qui n'étaient pas montés dans l'avion alors qu'ils avaient leur billet en poche... "Ca marche pour les naufrages, les accidents de train et même ceux d'ascenseurs..." ajoutait-il satisfait...
A la question de savoir ce qu'il en était pour ceux qui étaient montés dans l'avion, le bateau, le train ou l'ascenseur, sa réponse était évasive...


Et pour ceux qui se pendent parce que vivre est devenu, d'un coup impossible, Ducon, tes anges à la noix, ils fournissent les cordes?




Cet animal familier, ce chien que tu traînes
Dans les couloirs et les vieux escaliers du corps
Il est un peu méchant, pas très beau mais tu l'aimes
Il tire vers les ponts, le soir, quand tu le sors
Et tu as beau être son maître, tu le crains
Le chagrin...

Allain Leprest.




19 août 2011

Les doux salopards.

Il y a, à quelques pas de la maison, à L'Isle sur la Sorgue, dans le quartier dit des Espélugues, un endroit magique qu'on appelle depuis 1852 : Le Partage des eaux. (Dire ici, que je n'y viens pas depuis cette époque...). La rivière qui sourd depuis Fontaine de Vaucluse à quatre kilomètres de là, s'y sépare en deux sorgues, deux rivières. La sorgue de Velleron et la sorgue d'Antraigues. A cet endroit, les eaux y sont limpides, profondes, courantes, et fraîches puisque en permanence à 13 degrés... Bien entendu, les jours d'épaisses chaleurs c'est un bonheur absolu que de s'y tremper, d'ainsi faire baisser sa température intérieure et se sentir presque neuf, quel que soit son âge... Ce qui pour certains n'était pas gagné d'avance...
Il parait que même des gens venus d'Angers, c'est dire s'ils s'y connaissent en rivières, un jour, s'y sont régalés...
Cela ressemble, plus ou moins, à ça:




Or, depuis quelques temps, quand nous y allons, le soir, après les heures d'affluence, il nous arrive, avant de pouvoir nous tremper, de devoir, sur les berges et dans les draps même du courant, ramasser ça:


ou ça:


ou encore ça:



Et, encore, quand les bouteilles sont entières, c'est moins grave, il arrive qu'elles soient en morceaux, cachés dans le lit sablonneux de la rivière... Un pied pile dessus le tesson et c'est coupure assurée... 
Alors, sans doute niais, je me demande:
Depuis quand un buveur de bière n'a pas d'enfant qui se baigne? Que faire contre ces doux salopards? Mr Le Maire de L'Isle sur la Sorgue, pourquoi laissez vous cet endroit si beau se salir ainsi? Mr Heineken pourquoi ne consignez vous pas vos saloperies de bouteilles?
Pendant que j'y suis, allez, je fais un lot: Fumeurs pourquoi donc, en partant, nous laissez vous, par terre, vos saletés de mégots? 
Et enfin, les chiens pourquoi ne dites vous pas à vos maîtres de ramasser vos si belles merdes? Ouf, ça soulage...
Nous, maintenant, c'est avec un sac poubelle qu'on vient se baigner...
Ce dont je vous en voudrais le plus c'est, sans doute, de nous faire passer pour des emmerdeurs, alors que les vrais emmerdeurs... c'est vous!

Puisque c'est ainsi, nous allons monter à pied au sommet du Ventoux, pour voir le soleil se lever...(Time lapse de Rémi Cottard)... Là haut, il n'y aura personne, nous y serons tranquilles et ce sera bien fait pour nous...


Peu après nous, ils sont arrivés, une bonne douzaine tout emmitouflés dans des duvets. Ils étaient, eux, montés en bagnole et, en revanche, devaient descendre des binouses depuis la veille au soir. Une fois là-haut, ils continuaient en dégoisant les bêtises que la bière, à partir d'une certaine quantité, peut faire dire...
Même s'ils ont un peu pollué la sérénité du lieu et de l'instant, on ne leur en a pas trop voulu, parce qu'en partant, ils ont emporté leurs bouteilles vides...

17 août 2011

Les maux d'Allain.

Les mots d’Allain sont justes, en place et beaux,

Ils posent du marbre au profond des caniveaux.
Ce sont des coups de pieds aux culs aux flaques de la rue

C’est le dernier verre de Socrate, juste avant la ciguë,
C’est un ballon de grand cru dans un bain de limonade
,
Des poignées d’entre frères, des amours de camarades.
C’est un sourire d'étoile naine aux narines des puissants

La revanche des gueux contre la morgue des grands.
Des gerbes de génie, des bouquets de fulgurances,
Des feux d'authentique, de la bêtise en vacance.
C’est de la sciure en pluie sur le parquet d’un rade

Des éclairs de foudre d'or sur des automnes fades.
C’est du poil à gratter l’aïe d’un ami qui tangue, 

Une engeance épicée sur le bout d’une langue.
Une rocaille de diamants sur une journée maussade,
De pimpants lampions sous un ciel de noyade.
C’est un médicament sur une table de salon,
Une pilule d’espoir qui fait l’infini moins long.
C'est une poignée de main à te broyer le malheur,
Une systole à mille balles qui t'asperge le cœur,
Des baignoires d’Atlantique dans les poches des yeux,
Des désirs d’Andalousie dans des valises de vieux,
Des musiques romaines enfantées d'un piano noir
Une amitié certaine quand, enfin, s'effondre le soir.
Des potes à papa, des camarades pot de colle, 

Des salades de lune, des tendresses en Limpidol.
Les mots d’Allain? Un train du soir qui s’rait parti la veille
,
Un paquebot d’espoir pour les nuits sans sommeil
C’est une trace de bleu sur le gris des trottoirs, 

Une fillette de rouge au bout d’un comptoir,
C’est le partage de midi à toutes les heures du jour,
Des chansons à lire quand on ne sait pas toujours.
Les mots d’Allain? Des cicatrices rouges d’enfants,
Des perles contre le vent, des poings contre le temps.

Et puis, les maux d’Allain ont dit: "Impossible de vivre demain".
Alors, ils lui ont noué l'écharpe pour tordre le cou au chagrin.



15 août 2011

Cette sale nouvelle...

on la prend, et dans le coeur, au détour d'un clic, comme une gifle, elle claque. Un fouet... Alors, de suite, on se dit: Merde, non... et, très vite, on essuie une larme qui  s'est laissée couler, en douce, furtivement... 


Puis, on pense à lui, à ses proches et on se tait.



Allain Leprest s'est "donné" la mort, la nuit dernière.

Cette nuit, et toutes les autres nuits ne cherchons pas, là haut mais on peut toujours lever les yeux, il n'y aura pas une étoile en plus... En revanche, ici, par terre, pour tous les autres jours, il y aura un bel humain en moins.
Pour le lire, lui:

Sarment.
Je reviens chanter doucement
Sans bruit, sans applaudissements
Dans ton oreille doucement
Maman, 
Juste dix mots, juste un moment
Ma mirabelle au bois dormant
Je sais que tu dors pas vraiment
Maman

Là-bas, au pays des sarments
On va toujours docilement
De mariage en enterrement
Maman, 
On mange toujours goulûment
L'olive noire et le piment
Sur des tartines de froment
Maman

Ici, même le vent nous ment
C'est tout requin, tout caïman
C'est tout en toc, c'est tout ciment
Maman, 
Je veux pas te faire du tourment
Mais dis-moi pour qui ou comment
On se fait un tel châtiment
Maman

Je reviens chanter doucement
Sans bravos et sans boniments
Dans ton oreille doucement
Maman, 
Paisiblement, furtivement
Ma mémoire comme un aimant
Remonte ta source en ramant
Maman

Que la terre jalousement
Garde tes larmes et tes serments
Le nom de ton plus bel amant
Maman, 
Sous tes yeux clos brûle un diamant
Je suis sûre que le firmament
T'a couchée sur son testament
Maman...

ALLAIN LEPREST.

BILOU.

Qu'est c'que t'as franginette ? C'est drôle, t'es plus la même
Celle qui tachait ma piaule d'éclaboussures de robes
Qui s'gavait de Beatles et de choux à la crème
Qui lisait les Claudines à ch'val derrière ma mob
Dans ton blouson d'marlou
Bilou

Pourquoi t'as maquillé tes lèvres à la craie blanche ?
Ta bouche où fleurissaient des musiques si rouges
Des gros mots merveilleux, des rires en avalanches
Des internationales pour emmerder les bourges
Des baisers pour les loups
Bilou

Qu'est c'que t'as ma jumelle ? C'est-y ça l'mal du siècle ?
Se fuir du mal à cause que d'avoir mal aux autres
S'arracher tant de larmes qu'on se retrouve à sec
Voir un été pourri, se dire que c'est d'sa faute
Crécher dans un igloo
Bilou

Bilou ma belle idiote, ça s'rait trop moche, dis
Si ça couvait aussi chez toi cette langueur
Qu'est comme une maladie qu'est pas une maladie
Qu'on croit qu'ça vient du coeur et qu'on n'a rien au coeur
Qu'un invisible clou
Bilou

Bilou, le feu follet la plus courue d'mes boums
Le bonheur sur ta peau a retourné sa veste
Le bar du Saint-Amand, le café aux loukoums
Le temps se fait la paire en accrochant les restes
Au clocher d'Saint-Maclou
Bilou

Qu'est c'que t'as ma jumelle, qu'on croit inguérissable
Qui use les regards dans des boîtes de kleenex
Qu'enlise chaque pas sous des tonnes de sable
Qui sert du bouillon fade dans des verres en pyrex
Qui rend les photos floues ?
Bilou

Bilou fais un effort, je te jure que tu ris
Rire, c'est ça, tu t'rappelles, tu vois c'est pas si dur
Regarde la pluie s'barrer au cul du car-ferry
Le vent lèche tes joues peintes de confiture
Pour un peu j's'rais jaloux
Bilou Bilou... Bilou...

ALLAIN LEPREST.

Dachrioserum sept CC.


Des barbelés chope-nuages...


Sauzelle, la blanche.


Le bleu des annexes.


La rose trémière choisit son fond.


Une clôture, attrape nuages.



En pensant à Roger Dautais...


Plage des huttes, la malnommée...

04 août 2011

Le hors champ des images ou vive les hollandaises...


__ Ah Bon Dieu de merde! Toi, tu peux dire que t'as du bol!
__ Heu tu vas peut-être vite en besogne là! N'oublie pas comment tout a commencé. Je n'appelle pas ça du bol mais, au contraire, un sacré manque de chance...
__ Au final tu as tout retrouvé, non? Alors? De quoi te plains-tu?
__ Mais je ne me plains pas, j'essaie de regarder les choses froidement.
__ Je te le dis, froidement, tu as une veine magistrale!

Vu sous cet angle, il n'avait pas tort. Mais c'était l'éternel combat entre les optimistes, les pessimistes et les réalistes. Lui était un réaliste optimiste, voilà tout. J'avais tout récupéré, oui, mais à quel prix?
Tout avait commencé dans le début de l'après midi. Il faisait une belle chaleur revenue. Plutôt que de m'allonger pour une sieste, mon dos se rappelant sans cesse à ma mémoire, j'ai décidé d'enfourcher ma bicyclette et d'aller voir là-bas si j'y étais. Comme le soleil plombait encore bien dru à cette heure, j'ai choisi un itinéraire un peu ombré. Le long du canal qui passe pas très loin de chez moi et qui court à flanc des collines du coin pendant un long moment. Je peut en sortir vers L'Isle et ensuite rouler jusqu'à Fontaine en bord d'eau, qui sait me baigner un petit coup, avant de monter vers Lagnes par le raidillon de la route touristique qui mène vers Gordes voir un peu ce que mes mollets ont dans le ventre en ce milieu d'été et revenir par l'acqueduc qui surplombe Fontaine et les verts magnifiques de la sorgue naissante. Il y aurait sans doute une ou deux images à attraper avec tous ces canoës qui devaient glisser sur le transparent de la flotte. Le long du canal, c'était plat et on pouvait y rouler tranquille, sans voitures... A cette heure, les chiens auraient sans doute fini de se soulager et les poussettes ne seraient pas encore de sortie. Voilà une belle idée d'itinéraire, je me suis dit satisfait. Pour une fois, j'étais heureux de mes choix et de mon flair et puis tout pouvait encore changer, rien n'était inscrit, je n'étais obligé à rien. En tout ça devait faire une belle trentaine de kilomètres et il pouvait y avoir un bel arrêt à Lagnes au petit bar de la place dont la terrasse était blottie sous l'ombre d'un platane aux bras accueillant...
Je suis monté tranquille jusqu'au canal et j'ai pris à droite vers L'Isle. Jusqu'au viaduc, tout s'est très bien passé. Le petit raidillon, (touristique mes genoux...) je l'ai avalé comme qui rigole sans poser le pied par terre, j'en ai même profité pour pousser jusqu'au col au-dessus de lagnes d'où l'on voit le début du Lubéron et Oppède dans le fond, le vichy du bar de Lagnes était parfait, j'étais à deux doigts d'en descendre deux. A la sortie du village j'ai repris le chemin le long du canal et je suis arrivé au viaduc. C'est là que ça s'est un peu gâté...
De la haut, j'ai voulu prendre une photo d'en dessous, celle que vous avez vu en ouvrant la porte. J'ai posé mon engin contre la balustrade et pendant que je cadrais, à l'instant pile où je déclenchais, le vent lui en faisait une belle. Il a déséquilibré ma bécane, l'a poussée c'est avec un joli plouf étouffé qu'elle a complètement disparu dans le gris sombre de la flotte... Vélo, plus de vélo. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. De suite, sont remontés à la surface la poche en cuir de l'appareil, une bombe anti crevaison et une boite de rustines qui ont dû foutre le camp de la sacoche ouverte. Sont restés au fond, dans la sacoche, les clés de la maison, le portable, la monnaie du vichy et mes lunettes... J'étais comme un con sur le bord du pont mon vélo enfoui dans la flotte. Il y avait un courant plutôt galopant, je ne connaissais pas la profondeur de ce foutu canal et mes trucs qui foutaient le camp... J'ai réfléchi, je ne voulais pas sauter à la baille, je n'avais pas envie d'ajouter un drame à la mésaventure... Vous auriez fait quoi, vous? Tout malin que vous êtes. 
Je suis descendu en quatrième jusque chez le loueur de kayaks en dessous où on m'a d'abord conseillé d'appeler les pompiers... J'ai obéi, j'aurais mieux fait de m'abstenir. Ils m'ont ri au nez et j'ai bien compris. Ils n'avaient pas tort. Leur truc c'était les blessés, les feux, les drames pas les vélos dans le canal. Puis un type m'a prêté un râteau en me disant qu'il s'appelait "reviens"... Je me suis dit qu'ils étaient bizarre dans ce bled, donner des noms aux râteaux, je n'avais encore jamais vu ça... Je suis remonté sur le viaduc...
__ Dis moi mais tu ne nous avais pas appâté dans le titre avec un hymne aux hollandais? Ils sont où dans cette histoire tes bataves?
__ Patience, j'y arrive: c'est précisément à cet instant là que j'ai béni les hollandais et leur amour de l'eau. Une fois arrivé au bord de cet aqueduc de malheur, j'ai vu deux grandes blondes plantureuses (des hollandaises je vous dis...) qui rigolaient comme deux foldingues dans le plein milieu du viaduc à trente mètres de haut dans une eau... étrange. Je leur ai baragouiné: Vous n'avez pas senti un vélo sous vos pieds... Au début, elles m'ont pris pour un dingue et puis elles ont compris. J'ai fini par poser le pied sur mon biclou dans le premier virage à peu près à une cinquantaine de mètres d'où il avait plongé. On l'a remonté, les costaudes et moi, il était farci d'algues vertes... On s'est congratulé, elles et moi. Je suis allé rendre "Reviens" à son proprio. Pour le reste, je suis remonté sur le vélo, j'ai suivi le canal et j'ai replongé à trois kilomètres en aval, Tout arrivait là, à la queue leu leu, gentiment poussé par le courant... Il n'y a que mon portable qui n'a pas bien aimé la baignade... En rentrant, je l'ai débarrassé des algues, il était comme neuf. Pas le portable, le vélo...
C'te foutu engin qui faisait du plongeon, c'était un Riverside... Bizarre ce bled... A-t-on idée de donner un nom pareil à un biclou?



Ça, c'est pour ceux qui pensent que ce que je raconte n'est que fiction... 
 

03 août 2011

Ses deux mains.

Lui, plutôt menaçant, d'un ton sec, haché:
Ma main! Dis, ma main, petit morveux, tu la veux, ma main? Ça voulait dire  dans ta gueule mais il l'a pas dit.
J’avais pas vraiment envie de répondre à cette question, je ne voulais pas lui faire plaisir, voilà tout. Et y répondre c’était lui offrir cette joie. Par dessus tout, j'étais perdant d'avance, comme d'habitude. Soit je disais non et il était conforté, donc, j’y avais droit... Soit oui et je me la prenais, direct. J’ai choisi de me taire. Evidemment, il n’a pas aimé mon silence. Il y a entendu du mépris. Bien sur, que j’en avais mis et une sacrée dose, même, mais je pensais  l’avoir caché putain bien! Il l’a débusqué ce teigneux et sblam, une beigne. Une seule. Aucune autre n’a suivi, pour l'instant, pour cette fois. Parce qu’il avait frappé trop fort? Qu'il s'en était rendu compte? Qu'il s'était fait peur? Non, non, c’était comme les autres, mais après elle, d'un coup, il s’était reculé. Une preuve qu’il n’était pas encore entré en colère. Il ne fallait pas qu’il y arrive. Ne pas pleurer, ça ça le fâchait de suite, ne pas pleurer. Je savais par habitude de quoi il était capable quand il atteignait cette marche là, celle de la rougne. Et la, la dégelée qui se pointait, j'aimais pas bien. A cause des traces. Et des questions qu'on pouvait me poser.
C'était sa façon à lui de parler, il faut dire que des mots en réserve, il en avait pas trop. Il se servait toujours des mêmes qui revenaient dans sa bouche. Les plus grossiers, les plus raides, mais ça voulait pas dire qu'il l'était, lui, grossier. Seulement, avec les nuances, il n'y arrivait pas. Surtout quand il avait sa dose. Je l'ai jamais vu pas saoul. Du plus loin que je me souvienne il avait bu. Je crois qu'il était pas saoul quand il avait pas picolé et comme il éclusait tout le temps...
Et voilà, on risquait ça souvent. Et souvent c'est pour pas dire à chaque fois. Ce qui s’était annoncé comme une gentille après-midi tranquille, entre nous, on ne peut guère faire plus peinard, allait se transformer, comme souvent en tumultueuse tornade. Les éléments, enfin ce qu'il avait au bout de ses deux bras, allaient se déchaîner. Eviter ça, à tout prix, le faire redescendre. Je me suis approché de lui et je lui ai pris une main, une des deux, celle qui pendait, celle qui n’avait pas frappé. Et je l’ai serrée. Il a bien essayé de l’enlever, mais il n’a pas pu. Je la tenais trop fermement. Alors, j’ai pu m’approcher de lui. Il s’est tourné vite fait mais j’ai vu une larme couler d’un de ses yeux. Je l’ai vue.
On y retourne? J’ai dit, mine de rien.
Il a grogné un truc que j’ai pas très compris mais ça voulait dire: Brandon, on rentre, t'as des trucs à faire pour ces cons de l'école...
J’ai fait: Oui, on rentre, d’accord. J’ai un peu froid. Je savais, en vrai, qu'il avait soif à nouveau, mais j'ai pas voulu lui parler de ça. Pas maintenant. Ne pas en prendre.
Ce que je me demandais en roulant c’est s’il avait vu que je l’avais vue, sa larme. Je préférais que non. C’est pour ça que j’ai été si vite d’accord pour rentrer. Ne pas le fâcher. Faire que l’armistice dure un peu. Toute la soirée? Pas non plus exagérer. Sans qu’on sache vraiment d’où, ça revient vite chez ces gens là, et moi, lui, je le connaissais depuis douze ans. Faut dire, à sa décharge que je suis pas facile, que j'en fais des conneries, à longueur de journée, même, mais douze ans de gifles, ça commence à faire un bail même quand  t'en as que  treize.
Si un jour j'ai un môme, sur que je me les  fais couper, les mains, les deux, je me suis dit souvent. Ou alors je touche pas à l'alcool.
Je suis remonté sur mon biclou et j’ai foncé devant lui, comme si je lui ouvrais la voie.
En pédalant comme un forcené, une rage dans chaque mollet, en serrant les dents, je me disais: Bien sur, qu’il m’aime, mon père! Bien sûr que c'est plus fort que lui....

À sa façon, mais il m’aime, je le sais, j’en mettrais... ses mains au feu.


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