25 janvier 2017

Assez sonné.

Normalement, il ne devait rien se passer entre eux. On ne devrait même pas écrire ENTRE EUX. On ne devrait pas penser à écrire sur cette histoire puisqu’elle ne devait pas avoir lieu. Il n’était pas prévu pour en faire partie, de ce séjour.
À l’origine, c’est un autre que lui qui était inscrit. Il ne devait même pas en avoir entendu parler et puis le type pressenti, cet imbécile, leur a fait faux bond, au dernier moment. S’il n’y allait pas il en privait une bonne vingtaine dont certains n’avaient jamais vu la neige... C’était simple. En plus, des arrhes avaient déjà été versées et un bus retenu. Un désistement leur aurait coûté presque aussi cher que le séjour lui-même.
Trente ans après, il en parle encore.
Aussi quand elles ont demandé à la cantonade qui voudrait, qui pourrait venir, au débotté, avec nous, il fut le seul à dire : Ben moi, je veux bien si ça peut vous dépanner. Si vous ne trouvez personne, je viens. Inutile de dire qu’elles n’avaient pas trop cherché après un autre. Quand tu tiens le pigeon tu ne cherches pas la grive. Mais pourquoi il avait proposé ça, lui ? Ah ! Il faisait moins son malin maintenant.  Il avait huit jours pour faire son sac. Le lendemain il était assis dessus.
Sa vie allait basculer et il ne se doutait de rien.
Normalement, si le destin avait été réglo, il ne devait rien arriver. Il  leur filait un coup de main, ils  passaient huit jours à la montagne avec toute une bande, ils s’amusaient bien,  ils descendaient quelques noires et des bouteilles de rouge, ils s’offraient des souvenirs chaleureux et puis ils rentraient et tout redevenait comme avant. Chacun reprenait le cours de sa vie habituelle. Mais le destin l’a entendu autrement, il n’a rien voulu savoir, il n’en a fait qu’à sa tête, le destin. Il a choisi de tout chambouler, il a volontairement semé son énorme bazar, laissé un champ de ruines et de désolation et puis comme à son habitude, il les a regardés se débattre.
Trente ans après il en tremble encore.
Elles étaient deux chargées de toute l'affaire. Une des deux était plus jeune que lui, plus jolie, aussi. Elle était en couple, lui aussi était en couple et heureux, pas une seconde, il n’avait envisagé de participer à ce séjour, il n’aimait pas trop la montagne et surtout le froid, il lui préférait de loin la chaleur des tropiques et les bleus des eaux caraïbes.
La première nuit chacun l'a passée dans sa chambre.
Ils ont passé la deuxième dans le couloir, à parler de l’heure du coucher jusqu’à l’heure du lever sans interruption.
Au petit matin de la troisième nuit, c’était joué. Il était cuit. Deux ou trois fois dans la pénombre,  il a regardé son dos pendant qu’elle se tournait pour sortir de son lit, il s’est dit c’est mort mon garçon, cette fois tu es grillé, te voilà raide dingue de cette fille magnifique. 
Ah! Il se moquait pas mal d'eux deux, le destin!
Pendant qu’elle revenait une bouteille  d’eau minérale à la main, vite fait, sur le cours de ma vie, j’ai ajouté un peu de sel, a-t-il dit, pour se justifier.

Seulement voilà, trente ans après, les jours de pluie, les cicatrices zébrant son vieux cœur, pourtant rapiécé, lui sont encore sensibles et douloureuses...
L'amour ce serait donc cette infection bizarre qui laisse encore des traces quand il n'y a plus de traces, je lui ai dit bêtement, pour tenter de le consoler.
T'es gentil mais te fatigue pas, il a fait. Désabusé... Et puis, il a ajouté:
Dis c'est pas affection que tu voulais dire?
Non, non j'ai répondu. 
Sur de moi.





18 janvier 2017

L'interrupteur à double zeugma.

Pour Les impromptus littéraires. Le texte devait commencer par: Il posa son doigt sur l'interrupteur.

Il posa son doigt sur l'interrupteur. C’était un interrupteur qu’il chérissait, un vieux modèle oriental qu’on ne fabriquait plus que très rarement. C’était un interrupteur à double zeugma. Il l'avait trouvé dans un bazar d'Istanbul où il s'était évadé quelques jours pour s'offrir un repos plutôt mérité et des baklavas.
Cependant, il n’appuya pas de suite, il garda le doigt dessus sans le presser, comme s’il s’agissait un bouton de déclenchement de la force de frappe nucléaire, comme si le fait d’appuyer ou pas allait changer la face du monde, l’avenir de la planète, de l’humanité, voire  même de l’univers. Le fait de retenir son index, de ne rien lui laisser tenter, fit monter en lui un sentiment de puissance extrêmement violent d’une puissance presque divine. Allongé sous sa couette, là, le doigt sur son bouton il était Dieu, son fils et l’esprit malsain réunis. Il était immortel, invincible, il était celui qui décide, qui choisit, qui tranche, qui dépèce, qui a  le droit de vie ou de mort. Il n’avait jamais de sa vie éprouvé un telle force, excepté quand il s’était trouvé plusieurs fois devant une fourmilière animée. Là oui il avait été envahi pas une toute puissance déferlante, saisissante puisqu’en un seul coup de pied, il pouvait tout anéantir.
Il n’en fit rien mais n’en pensa pas moins. Cet extravagant orgueil !
Mais ce soir il n’était pas vraiment à son avantage, à moitié nu, sous une couette d’hiver en plumes d’oies, un doigt sorti de dessous les plumes, prêt à appuyer, fourbu de fatigue…
Il attendit encore quelques secondes, une petite minute qui lui sembla durer une éternité, puis enfin, les yeux déjà mi-clos, il pressa l’interrupteur et  la lumière se jeta hors de la pièce.

Alors, au même instant, sa chambre plongea dans le noir et lui, dans un sommeil profond.




14 janvier 2017

À l'ombre du figuier.

À l’ombre changeante du figuier,  animée par le souffle léger du vent d’ici, comme bercée par une musique estivale et sucrée, si l’on regarde avec attention, on y perçoit encore la tienne parmi la poussière, les pierres et quelques figues tombées, oubliées, éclafouillées,  perdues pour nos gourmandises, mon bel amour, de celles que nous n’avons pas eu le temps de  goûter puisque tu n’as pas daigné attendre la fin de l’été pour prendre le large, pour t’enfuir presque, si loin des figues, des figuiers et de leurs ombres, si loin de moi, de cette campagne que tu disais ardemment aimer, loin de ces odeurs dont tu disais avec force qu’elles t’étaient devenues indispensables, de ces paysages dont tu ne cessais de vanter le bien-être qu’ils t’apportaient, le bien être, la paix et la sérénité profonde, je l’ai cru sur paroles, si loin de cet endroit dont tu avais pensé sincèrement qu’il serait ta dernière demeure, ton dernier pays, ta dernière aventure, une ou deux larmes jaillissant de tes yeux embués venaient appuyer ce mot précis, ta dernière adresse avant l’éternité promettais-tu, certes en t'enflammant quelque peu, j'aurais dû être un peu plus vigilant, je m'en veux aujourd'hui, je me sens même vaguement coupable de t'avoir tant écoutée, les yeux si fermés, si loin que je ne sais même pas quelle route tu as prise, par quel vent t’es tu laissée pousser, quel souffle, sans aucun doute nouveau, t’auras emporté, vers quel avenir as-tu filé  sans te retourner, en ne laissant derrière toi, ici que l’ombre de ton ombre, maintenant  sais tu, malgré tout, que je repense nuit et jour, heure après heure à ce soir de Juillet, sans saisir ce qui nous est arrivé, sans vraiment comprendre ce qui t’a éloignée, sans pouvoir me souvenir de ce que j'ai bien pu dire ou faire qui aurait été la cause de ton départ, je repense, chaque minute vécue où je t’ai dit, ce furent mes derniers mots par toi entendus, viens mon amour, mon bel amour, allons nous asseoir à l’ombre du figuier.

Au fond, sans toi, le souffle m’est désormais coupé.


08 janvier 2017

Les deux sans soif.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Le thème était: La dynamique des verres à pieds.

De l’assemblée joyeuse et animée qui avait déboulé dans la salle des fêtes, juste à côté de la mairie du village, les deux premiers qui ont cogné leurs verres n’étaient pas les plus malins mais, sans doute, les plus assoiffés. Une heure qu'ils attendaient devant le buffet sans en descendre un, ils commençaient à trembler des oreilles, ces deux là. Ces deux cousins étaient connus comme des loups blancs dans nos familles. Depuis qu'ils avaient été en âge de picoler, on les avait surnommé: Les deux cent soifs. Mais ils avaient été saouls beaucoup plus que ça. Ils avaient tout fait pour être digne du surnom en tous cas. Il n’y avait que de ça dont ils étaient dignes, du reste.
En levant son verre, santé a fait l’un, mais pas des pieds a répondu l’autre comme d’habitude. À part eux deux personnes n’a ri. En vrai, personne ne l’a entendue. S’étonne-t-on d’une chose quand elle est devenue habituelle ? Ils nous la faisaient depuis si longtemps. Pire, ils n’en avaient qu’une. Celle là. Quand l’autre avait fini de jeter sa bêtise, ils avaient éclaté de rires comme les deux grands couillons qu’ils étaient. Ah elle était connue leur dynamique à ces deux imbéciles ! Tout se passait dans le lever du coude. Aussi souvent qu’à leur tour voire même davantage. Ils étaient si connus qu’on prévoyait des cartons rien que pour eux. Du deuxième choix. Des vins qu’eux seuls buvaient. À la vitesse à laquelle ça descendait il valait mieux que ce soit du pas cher. Ils s’en fichaient pas mal. Ce n’était pas le vin qui les intéressait mais l’alcool. On leur aurait servi du dilué, ils n’auraient pas dérogé. Ils buvaient, point. Quand mon verre est vide je le plains, et plein je le vide. Une dynamique binaire. Oui, non, un deux, avec du blanc ils finissaient noir. La vie n’était pas si compliquée pour eux. Ah ça ils ne restaient pas longtemps sur deux pattes, ces deux là. Ils oscillaient et vacillaient vite, les deux compères. Il y avait du roulis dans leurs démarches. Aussi, une fois pleins, saouls comme des barriques, ronds comme des cochons, farcis comme des dindes, bourrés comme des urnes, démontés comme des legos, ils s’endormaient dans un coin, d’un injuste sommeil. Si lourd.
Pas grand chose alors ne pouvait les réveiller, les ramener à un peu de conscience. Ils cuvaient dans un coin puis une fois le compteur à zéro, ils recommençaient à boire. Combien de temps ce cycle infernal pourrait-il durer ? Il n’y avait que leur foie capable de répondre à cette question.


Et quand on mise tout sur le foie, dieu seul sait ce qui peut advenir…





01 janvier 2017

Un putain d'assassin.

Au fond, tu n'es qu'un putain de sale assassin m'a-t-il balancé, méchamment, une fois le dernier mot raconté... 
Ben dis donc, tu démarres fort, toi j'ai dit bêtement. Ça ne m'a pas rendu joyeux mais, intérieurement, j'ai dû finir par admettre qu'il n'avait pas tort.
Depuis plusieurs jours il se passait des trucs bizarres dans la cuisine.
Du bruit quand personne n'y est, oh pas un boucan d'enfer, non, comme des frottements légers, des tic tic tic ou des plif plif suffisamment sonores pour qu'on les entende. J'ai enfin perçu d'où venaient ces bruits. Du placard bas de la cuisine. Je me suis vissé une frontale sur la tête et je suis allé farfouiller dans cet endroit qu'on ne visite que très rarement. D'abord parce que c'est sous l'évier, mal éclairé, ensuite parce que c'est là que se trouve la poubelle. Deux bonnes raisons. Et, sur  l'étagère où je pose la balayette et sa pelle, j'ai  trouvé comme des petits grains de riz noirs, ce que j'ai identifié de suite comme les crottes noires d'une souris, mulot ou engin dans le genre. J'avais ça qui se baladait chez moi! En premier, dès que je l'ai vu, j'ai enguirlandé le gros noir: 
Ben qu'est-ce-que tu fous, toi avec toutes les croquettes que je te donne tu pourrais au moins faire ton boulot!
Sans un regard, chargé de mépris il m'a lâché: T'as qu'à me laisser entrer chez toi! 
Ce n'était pas faux.
Je vais acheter un piège me suis dit. Je voulais me débarrasser de la bestiole mais j'ai eu très vite un problème à résoudre: je ne voulais pas la tuer. Je ne voulais pas de ces clapets qui s'abattent sur les nuques et brisent les vertébrales aussi surement qu'El Hassad est un bourreau. Je suis allé à la coopérative agricole où j'ai trouvé mon bonheur. Une sorte de petite cage en métal dont la porte se referme brutalement quand on touche à l'appât. Un morceau de gruyère généralement mais on pouvait mettre un pois chiche à condition d'être assez intime avec la souris et de bien connaître ses goûts.
J'ai enfoncé un cube de gruyère, enfin d'emmenthal tant qu'à faire, sur la pique qu'il fallait, j'ai bloqué la porte en position ouverte et j'ai posé mon arme pas fatale sur l'étagère sous l'évier.  Le lendemain, j'en avait gaulé une. Toute mimi avec sa jolie moustache et ses deux dents de devant bien droites. Je l'ai mise dehors dans le jardin.
Tu as donné ta souris au chat m'a-t-il dit... Tu lui a fait offrande, tu as sacrifié un être vivant, mais tu es un malade...
Ben non mais je n'allais pas non plus lui payer un garde du corps, qu'elle se débrouille, je ne l'ai pas tuée, après c'est à elle de s'en sortir.
Tu sais bien qu'elle n'a aucune chance!
Oh mais tu m'emmerdes à la fin, elle fait sa vie! Et si le chat la bouffe j'y suis pour rien, je n'ai rien à voir avec la chaîne alimentaire. C'est l'écosystème...
Il n'a plus rien dit mais je suis certain qu'il n'en pensait pas moins.
J'ai remis la piège sous l'évier. Et je l'ai oublié. Une semaine après, environ, je suis parti pour trois jours. En revenant, j'ai jeté un oeil sous l'évier. Dans le piège il y avait une souris minuscule recroquevillée contre la grille aussi morte que Toutankhâmon...
Elle avait griffé, mordu, rogné le fond de la cage et puis elle avait dû mourir déshydratée, d'épuisement, de faim, de stress...
J'ai jamais voulu ça, je disais honteux en enterrant le cadavre dans le jardin.
Tu n'es qu'un putain d'assassin a-t-il répété. Il ne s'en doutait pas mais ses mots me tuaient. 

Et si c'était vrai, si, parfois pour ne pas dire souvent, en pensant bien faire les choses, en s'y collant comme il faut les faire, on se gourait dans les grandes largeurs, si, sans le vouloir mais en toute maladresse on ne laissait derrière nous que cendres et désolation avec les meilleures intentions du monde?






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