30 septembre 2017

L'air épais.

La guerre. 
C'était la guerre. Ça bardait ferme dans les parages depuis trois jours déjà. 
Pour être plus proche de la vérité, ceux qui les connaissaient bien, ceux qui les fréquentaient régulièrement, auraient volontiers dit que cela faisait quatorze ans et trois jours qu'ils se regardaient de travers la bouche tordue, qu'ils s'assassinaient des yeux en coin, qu'ils s'envoyaient des missiles sol sol à qui mieux mieux. Y volaient des: Cherche un peu! Tu ne trouverais pas un oeil aux Quinze vingt! Les: Avec ta manie de tout ranger tu devrais être Général en chef chez Ivar! et les: Elle est dure, la vie, épouser un ange et se réveiller avec Galabru! 
Et tout à l'avenant... Enfin avenant, c'est vite écrit. Quatorze très longues années qu'ils s'affrontaient, qu'ils se jugeaient, se dénigraient, se chargeaient de reproches, s'invectivaient, s'insultaient, même parfois... Manquaient d'en venir aux mains, quelques fois, mais jamais quand ils étaient seuls. Il leur fallait toujours un  témoin vers qui ils se tournaient tout à tour et qu'ils prenaient à partie: Tu vois ce qu'il me fait vivre? Entends-tu ce que je dois supporter? Ce type est un cintré ! Cette femme va me rendre fou! 
À vrai dire, ils avaient de plus en plus de mal à trouver des arbitres bénévols! Il n'y en avait plus guère pour aller se fourrer au coeur du chaudron, dans l’œil du cyclone, au beau milieu du champ. Batailler était leur langage, leur lien, leur façon d'être ensemble. L'un contre l'autre, très contre. Pourtant ils avaient tout tenté pour ne pas en arriver là: Ils avaient dévoré tout Salomé... ce gourou poussif qui avait fait fortune sur le malheur des gens et des jeux de mots en bois...Heureux qui comme unique... T'es toi que je m'écoute! Impayable! Ils avaient écouté Dubranche presque toutes les nuits, ils s'étaient ruiné avec des stages de massages tantriques et reconstruction de couples dans le Limousin profond, ils avaient consulté Pierre, Chamane Aigle blanc "retour d'affection" qui avait sacrifié trois poules, deux hamsters et quelques centaines d'euros pour tenter de les sauver, mais sans plus de résultat que tout le reste.
Si, en amour il y en a, comme disait l'autre, avec beaucoup de nuances, toujours un qui souffre et un qui s'ennuie, eux deux s'ennuyaient de souffrir ou l'inverse! On avait même oublié s'ils s'étaient bien entendus, un jour? Au tout début? La première semaine? La première heure? Certains dans leur entourage, avaient fini par se demander: Mais que font-ils encore ensemble, ces deux là? Que ne se sont-ils séparés? Que n'ont-ils mis enfin fin à cette mascarade? Que ne cessent-ils cet affrontement destructeur? Que ne brandissent-ils pas les drapeaux blancs? Que n'arpentent-ils pas les bois de Rethondes? Bien entendu, ils ne le disaient pas de cette manière un tantinet raffinée, mais c'est bien ce que ça voulait dire. On avait même été tenté de  croire que c'est une musique qui leur allait, que dans le fond, ils n'étaient pas si aux créneaux qu'ils en donnaient l'impression, qu'ils ne chauffaient pas de l'huile TOUS les jours, qu'il leur arrivaient de se retrouver... Et là les oeillades s'appuyaient d'un air entendu, pour des réconciliations festives, sur l'oreiller... que c'était même le but de toutes ces engueulades, qu'il leur fallait ça pour une paix active... Hé bien non. Entre eux, de ce côté là, c'était dimanche de pluie à Châteauroux ou la plage en Novembre à Knokke-le- zoute...
S'ils n'arrivaient pas à être bien ensemble, ils n'arrivaient pas non plus à se séparer. Ils s'accrochaient à ce qui les faisait souffrir et ils s'en voulaient de plus belle. Ils étaient comme deux terrassiers qui creusaient chaque heure davantage le fossé qui les séparaient. Allait-il les engloutir? Comme ils n'avaient plus grand chose à échanger, ils n'arrêtaient pas de s'en parler... Viendrait un moment où à force de ne plus s'entendre ils ne s'écouteraient plus...  Ce jour est venu. Un matin. Un matin banal avec son visage froissé de matin blême banal. Pendant le petit déjeuner, qu'elle avait pris avant lui, sans l'attendre... Comme toujours, ça a tourné vinaigre, l'air s'est très vite apesanti...

Un moment, elle lui a demandé: Et Bon Dieu, qui crois-tu que ce soit?  Comme il n'était pas trop du genre à livrer ses impressions, il s'est entendu répondre: Je ne suis pas tout à fait incertain que ce ne soit pas toi...  Elle avait l'habitude des ses phrases alambiquées, elle ne lui en tenait plus rigueur depuis longtemps, je crois même que désormais, elle s'en foutait royalement. Et, pour tout dire, si ça ne la faisait pas encore sourire,  ça avait fini par ne plus l'agacer. Elle s'en battait l'oeil, faut voir comme... se disait-elle à elle même... Ce qu'il venait de lui servir n'était évidemment pas ce qu'elle attendait, mais il pariait qu'elle s'en contenterait... Comme d'habitude. Il avait somme toute complètement tort, mais il n'aurait pas d'autre occasion de préciser sa pensée. Leurs deux sourires ont alors définitivement disparu dans la lourdeur de l'air. Avant de claquer la porte dans son dos, elle lui a lancé d'un trait: 
Et puisque tu tiens tant à le savoir, c'est moi qui ait fini le pot de Nutella!!! Et non, je ne t'en ai pas laissé. Pas même une virgule.
Si ça n'était pas d'une terrifiante tristesse... C'est sur ce mot là,, c'est sur elle, "VIRGULE" que leur histoire commune s'est arrêtée. Net.

Le courant d'air créé par la fermeture brusque de la porte n'a pas suffi à troubler la dense lourdeur de l'air épais...





21 septembre 2017

Le beau.


Pour tout dire, c’était un type plutôt désagréable, mais quand on s’en rendait compte, il était déjà trop tard, on avait succombé, on était sous le charme.
Il avançait dans la vie comme un renard se balade dans un congrès de poules...
Ah ça, il était séduisant, on ne pouvait pas le lui reprocher le contraire. À ce propos, il avait quand même un gros handicap c’est qu’il était parfaitement au courant de la séduction puissante qu'il diffusait, tant et si bien qu’il n’avait jamais à la forcer. Il savait l’effet que produisait son regard et pas seulement sur les jolies femmes. Il savait que c’est ce qu’on repérait chez lui en premier, avant même d’avoir eu affaire à son sourire, bien avant, d'avoir aperçu son allure athlétique, élancée, bien avant le plat de son ventre surprenant pour un gars de cet âge. Il savait sa décontraction nonchalante, son élégance naturelle et sa mobilité féline. Il pouvait encore marcher des heures, courir des heures, rester debout des heures si c’était ce qu’il convenait de faire sans même que ses chevilles enflent d’un centimètre. Une circulation retour exemplaire. Il ne se trompait pratiquement jamais ni de lieu, ni d’acte, ni de phrases, ni même de mots. N’en eût-il fallu qu’un seul, il se serait servi du bon...
Les vêtements qu'il portait tombaient juste même s'il ne s'habillait pas haute couture. Il était du genre à s'enfiler un sac poubelle et avoir fière allure. À part pour les ordures, ce n'est pas donné à tout le monde.
Il était affable avec les affables, distant avec les distants entreprenant avec les timides et apaisant avec les coléreux. Il n'était pas seulement adapté, il était l'adaptation.
À toutes les situations, à tous les milieux, à toutes les circonstances.
Pour couronner le portrait, il pouvait se poser devant un piano, voire en jouer brillamment quelques mesures, il ne maniait pas si mal une raquette de tennis et tripotait joliment le Rubik’s cube. Il aimait les échecs, il pouvait s’asseoir à une table de bridge sans être ridicule et au scrabble il gardait rarement le Q sur sa réglette. 
Il savait, au goût, faire la différence entre un Saint Estèphe et un Châteauneuf du Pape même s’il préférait le Sancerre rouge. À condition d’avoir quelques œufs et le reste  sous la main, il vous servait en deux temps trois mouvements une omelette aux truffes et à la crème, il savait préparer les jeunes pousses d’épinards et vous levait des filets de sole sans les esclaper. Il n’avait aucune idée de comment élever un enfant mais dès qu’un chat était dans la pièce où il entrait il cherchait ses genoux pour s’y lover en ronronnant comme un diesel au point mort. 
Il faisait partie de ces types qui n’ont peur de rien, ni de personne, pas même d'eux. Eux ne peut pas les intimider puisqu'ils l’aiment.  Dix minutes après être entrés dans un bar inconnu, ils sont capables d'aller derrière le comptoir, servir des coups à tous leurs nouveaux amis pour la vie entière. Même si l’existence ici ne dure que deux, trois heures. À l'aise avec un demi, une coupe, un shoot, une poire ou un ballon de côte... Ce que pas grand monde savait, il ne s'en vantait pas non plus, c'est qu'il avait toujours sur lui un petit carnet recouvert de cuir noir où, l'histoire terminée, il notait scrupuleusement de zéro à dix chacune de ses conquêtes avec une appréciation pour chacune ou presque...
Il ne rappelait jamais mais on l’appelait toujours. J’aurais aimé être lui, mais je n'aurais pas voulu lui ressembler. Au fond, à cause de tout ce qu'il était, je le détestais, viscéralement. Mais pas seulement. Pour dire vrai, je le haïssais surtout parce qu’il faisait naître en moi une violence qui me faisait peur. 
En sa douloureuse présence, je n’avais qu’une envie, celle le gifler abondamment et, ou de lui mordre les oreilles et le nez.

Aussi, je me demandais souvent : si j’étais lui est-ce que je m’aimerais davantage ?


15 septembre 2017

Ti voglio tanto bene.

Après avoir lu le mot écrit à la main d’une écriture dessinée et mis en évidence contre une boîte de céréales posée sur la table, il l’a froissé dans sa main puis l’a jeté dans la poubelle, sous l’évier. Il a failli se demander pourquoi, dans les cuisines, les poubelles étaient le plus souvent sous l’évier, mais la question l’a vite  quitté.
Et, même, s'il a trouvé le procédé disons léger, il lui a rendue grâce de ce mot là. Au moins, il avait épargné les cris, les larmes, les portes qui claquent, les armoires qui se vident, les sacs qui se remplissent, enfin, tout ce théâtre qui n'ajoutait jamais rien de bon à une situation déjà suffisamment compliquée, si douloureuse à vivre. Il s'est cependant dit qu'elle aurait pu se dispenser du passage en italien à la fin de son petit message: "Ti amo, ti voglio tanto bene..." Ça c'était peut-être en trop... Tout le monde, dans la maison, savait bien qu'elle était née pas très loin de Morlaix...
Puis, il est allé jusqu’au réfrigérateur, il en a sorti le pack de jus d’orange et s’en est versé un verre. Alors, il  s’est assis devant un bol de café fumant et en voyant les croissants il a avancé la main vers eux pour les toucher. Ils étaient chauds. Elle est quand même descendue chercher des croissants avant, s’est-il dit, donc tout n’est peut-être pas perdu... Oui, il arrive qu'en cas de chute, on se foute pas mal de la taille de la branche... Puis, il a pris son petit déjeuner dans le calme de la cuisine. Dehors, des rafales d’un vent de colère frappaient aux carreaux qui s'en démastiquaient,  les dernières feuilles encore accrochées aux sommets des arbres n’en finissaient plus de lâcher prise et tombaient en pluie sur le vert de l’herbe. Le ciel, si sombre ces derniers jours s’éclaircissait en bleuissant au fur et à mesure que les nuages se balayaient avec rage. Déjà, la pluie giflante du petit matin avait cessé. Finalement, il allait, sans doute, faire une belle journée. Il a bien entendu repensé aux années qu’ils venaient de vivre et surtout à ces six mois d’avant. Il y a repensé avec force en essayant de ne pas trop s’appesantir sur les instants délicats, les querelles stériles, les incompréhensions déroutantes, les conflits étouffés, les différences de point de vue, les craintes à propos de l’avenir, de l’argent qui, parfois fait défaut, les projets à engager, ceux qui sont laissés pour compte, les rêves largués en route, les concessions à faire, celles qui se refusent, la bienveillance qui s’estompe, la colère qui sourd, les ressentiments qui grandissent, les mots qui se raréfient, la tendresse qui durcit, les caressent qui se raidissent, les malentendus qui se crispent et cette fatigue, celle qui accentue tout, finit par tordre l’idéal qu’on s’était inventé et auquel, malgré tout on s'accroche dur comme fer... 
Bref, la vie de couple dans toute sa splendeur tragique.
Ah! Comme il fallait être solide pour encaisser ça...  Ah! Comme il fallait vraiment le désirer encore plus que tout... Ah! Comme il fallait une résistance surhumaine pour ne pas sombrer et lâcher l’affaire dès lors qu’elle s’engageait si mal…
Il en était là de ses sombres réflexions quand il a entendu les marches de l’escalier craquer. Il s'est repris.
Ils sont descendus, les deux ensemble comme ils le faisaient les jours sans école. Après leur réveil, le petit venait dans le lit de sa sœur. Là, la plus grande lui lisait souvent un livre ou deux avant de se lever pour de bon. Ils sont arrivés l’un derrière l’autre dans la cuisine et m’ont vu seul assis à la table. Après un temps, ils ont demandé presque d’une même voix :
___ Et maman, elle est où, maman ?
J'ai rassemblé quelques forces qui me restaient et j'ai tenté:
___ Elle est partie pour quelques jours, maman... Heu, elle avait besoin d’air… Mais, je suis là. Nous sommes là, ensemble et on va se battre, on va faire ce qu’on peut pour lui redonner l’envie de nous…
Le petit a coupé:
___ Encore?
La grande a répondu:
___ Hé oui, encore! C'est bien notre veine d'être tombés sur une maman qui a sacrément la bougeotte...
Alors, je me suis levé et je suis allé vite fait dans la salle de bain m’essuyer le visage et surtout les yeux qui commençaient un peu trop à rougir…

... De nous, l'envie de nous. Il y avait un point après nous.


04 septembre 2017

Un naufrage?

Lorsque le vent, ce voyou mal dégrossi, mal élevé, malveillant, ne risquait pas de l’envoyer dinguer contre les murs des maisons, elle ne sortait de chez elle que le plus tard possible, souvent après sa sieste de l’après-midi. C’était alors, du jour, sa deuxième apparition dans le monde. La première, tôt le matin, l’amenait vers le buraliste, le beau Bastien qu'elle n'appelait que petit, qui lui vendait ses deux journaux et une boîte de cigarillos. Elle revenait les lire, sans lunette, dans le fauteuil posé près de la fenêtre, une couverture de laine épaisse sur les genoux, un petit cigare allumé à la bouche. Un chat couché sur le haut du fauteuil en surveillance. Elle les lisait comme un livre, de gauche à droite, de haut en bas,  du début à la fin. Entièrement, quelle que soit l'actualité, quelles que soient les teneurs des articles. Bien entendu, elle pestait quand les analyses ne lui convenaient pas ou bien quand elle estimait qu'un sujet avait été mal traité, insuffisamment argumenté. Ça lui prenait trois bonnes heures tous les matins. Chaque matin. Après un repas frugal, fait de trucs, surtout des légumes et des fruits, qu’elle allait glaner ou qu’on lui donnait, à la fin des marchés du jeudi et du samedi sur le boulevard, elle se reposait d'une sieste, dont elle disait à chaque fois qu’elle s’en réveillait vaguement dans le vague, la bouche pâteuse et le chignon défait: C’est fou, plus on vieillit, plus on dort l’après-midi. Comme une sorte d’entrainement au rien faire définitif  qui nous guette?
L’après-midi, elle s’habillait chaudement si on était en hiver, un peu moins, quoique, si on était dans une saison plus clémente. Et, elle trottait faire son tour. Comme elle avait évincé tous les miroirs de chez elle depuis une bonne vingtaine d’années. Je ne veux plus voir ça avait-elle expliqué aux rares qui venaient chez elle, en s'y montrant du doigt… Enfin, du temps où quelqu'un venait encore… Elle était habillée avec élégance, plutôt Bon Marché que La Redoute (Pas les moyens d'acheter pas cher, disait-elle aux surpris) mais un peu en vrac, boutonnant souvent le lundi de son manteau avec le mardi après-midi d’une autre veste, les cheveux poivre et blancs ramenés en un semblant de chignon comme un pâté de sable précaire, sur le dessus du crâne… Elle faisait tenir le tout tant bien que mal, avec de jolies pinces à cheveux de jeune fille et traînait toujours avec elle, pendu au bout d'un bras, un sac plastique jaune et géant d'une marque de meubles suédois... On pourra m'y mettre dedans le jour où je ne pourrai plus avancer, s'amusait-elle... Et je marche de plus en plus longtemps, fiérote… Seulement, je fais la même distance, tempérait-elle.
Elle vivait seule depuis si longtemps qu’elle avait presque oublié qu’un jour elle avait partagé sa vie avec un homme. Ou même deux. Elle s’en doutait bien à cause des images de ce type là, en photo dans son cadre sur la cheminée ou de celui-ci, le même sur le bahut ? Elle avait un doute sur celui-là, à moustaches si fier dans son cadre sur la console de l’entrée. Elle ne se souvenait pas avoir eu d'enfants et comme aucun ne donnait jamais signe... Elle avait débranché le téléphone, de toutes façons, il ne sonnait jamais, que pour lui proposer des diagnostiques isolation. Pour ça, elle avait son compte, merci.
Sur le chemin du retour, après avoir donné des punaises aux pigeons, elle les détestait, des rats à plumes disait-elle, elle s’arrêtait dans le même bar et s’asseyait à la même table ou une autre si la sienne était prise et buvait d’abord un thé noir au gingembre puis un petit blanc sec dans un verre ballon. En entrant, elle se présentait à l’assemblée qui la regardait de travers comme s’ils avaient peur d’elle, comme si elle pouvait être l’image d’eux mêmes, un peu plus tard, ce qu’ils allaient devenir, au fond…
Pour les désarmer, elle disait en entrant : Salut la compagnie, je m’appelle Lucie, Laissez Lucie faire ajoutait-elle avec un sourire malicieux.
Et puis, assise, elle parlait. Seule. Enfin, elle se parlait à elle-même de telle façon qu’on pouvait penser qu’elles étaient deux. Elle engageait une conversation. Mais elle ne haussait jamais le ton. Elle se posait des questions et tentait d’y répondre.
Les plus gentils du quartier l’appelaient La Folle, les autres, en nombre, le nombre est souvent imbécile, la vieille folle. Si l’on s’approchait de sa table, on pouvait entendre des bribes des questions qu’elle se posait comme : Penses-tu, vraiment, qu’un jour les mammifères pourront croire en Dieu ? Et les insectes ? Dirais-tu que le vent est une personne ? Peux-t-on trancher vraiment entre philo et folie ?
Alors, dans le bar, les pauvres poivrots défaits et les autres abrutis de fatigue s’esclaffaient et se moquaient de la vieille femme habitée. Ils avaient trouvé pire qu’eux, soi-disant.
Leurs jugements faisandés auraient-ils changé s'ils l'avaient connue, avant? Leurs moqueries auraient-elles été davantage bienveillantes s'ils avaient appris? 


Leurs si assassins caquets auraient-ils été rabattus, si ils savaient qu’elle avait été, il y a bien longtemps, la plus jeune et brillante, agrégée de philosophie de tout le pays?


Publications les plus consultées