29 mai 2011

A toutes...



A vraiment toutes: les futures, les récentes, les "grand", les "arrières grand", les "pas encore", les: "deux, déjà?" Les:" trois, bravo!" Les: "quatre? Mais comment faites vous?", les :" cinq? Vous êtes dingues!", les célibataires, les belles, les dures, les isolées, les esseulées, les Catherine Hiegel... A celle d'Arno, à la Denis, à la Michu, aux "patience", aux porteuses, aux "courage", à la "Michel"... A celles qui restent "au foyer", à Neuilly la sienne, à la carte, aux "fouettarde" (les femmes du...), aux "supérieure", aux "maquerelles", à la Poulard, à la Térésa, à la "Méditerranée", la rouge, la noire, la morte, à celle d'Aral... bref à toutes, quoi! 

22 mai 2011

Deux gars de la côte.

Mi Mai, voici venu le temps des balades en vélo. Mi Mai-fin Juin, et un peu en Septembre, c'est la durée de ma saison cycliste. Au même titre que les professionnels j'ai une période de balades à vélo et c'est maintenant. Mi Mai.
Avant il fait trop froid, après il fait trop chaud. On peut comprendre aisément que mon souci premier est de  préserver l'intégrité physique de l'athlète...
Comment ça une saison bien courte? C'est en plein milieu de l'époque des cerises, puis des abricots et enfin des amandes fraîches... Pour Septembre ce sera le temps des figues, des noix et noisettes... Il faut de sérieuses motivations pour arpenter la région en bicyclette à pédales.
Donc hier, première sortie. Je décide pour le tour, l'habituel. Enfin, je décide... Je suis parti sur le coup de la fin d'après midi, disons que je me suis collé un coup de pied aux fesses vers seize heures trente, j'ai regonflé les pneus de l'engin qui, tout l'hiver était resté accroché dans le garage, j'ai viré le compteur dont la pile était morte, j'ai lustré mes mollets, les deux, et je suis parti. Non, je n'ai pas enfilé de casque, je laisse ça aux professionnels et puis, fidèle à Pierre Légaré, je pense, comme lui, que le casque c'est DANS la tête qu'il faut le mettre... Il faisait encore doux, voire chaud. Une mise en jambes sur du plat, vent sur les lombaires, un petit mistral complice, Je n'avais rien prévu comme parcours, je me suis dit on verra bien où tu en es, ne vas pas t'enferrer dans un truc impossible à suivre, garde-toi la possibilité de faire demi-tour si l'envie t'en vient. Je suis d'une bienveillance à mon égard qui, parfois s'approche du complice... Du raisonnable... J'ai assez bien fait. C'était dur.
C'est toujours dur une reprise, on ne devrait jamais s'arrêter. C'est ce qu'avaient bien compris les grands patrons du début de l'autre siècle pour éviter les souffrances des reprises, ils ne donnaient pas de congés aux ouvriers et ne s'enrichissaient pas moins. Les fortunes de ces familles, amoncelées sur la sueur et la peine... Croyez vous qu'ils soient morts de honte, les descendants? Que nenni, regardez les, ils ont encore de la bave aux lèvres...
Voilà ce que je me disais comme ânerie en pédalant, j'avais une vague excuse,  j'étais en hypoxie. Pas comme certains qui dégoisaient des bêtises à tout bouts de champs. Et ces derniers jours on en avait entendu des trains de cargos...
Après le plat, une première côte, celle qui longe le golf... Ah, il y en a certains qui choisissent le bon sport... Se promener sur une herbe rase, assis sur le siège mou d' une petite voiture électrique et en descendre de temps en temps pour, avec une canne filer un coup sur une balle qui n'a rien demandé à personne, remonter dans son engin et recommencer toute une après midi entière... Une belle façon de ne pas voir sa vie passer.
J'arrive au sommet, une petite bascule gentille et ensuite l'attaque de la vraie deuxième côte qui mènera là-haut, sur les hauts de Saumane, face au Ventoux dans le lointain comme un appel: Quand est-ce-que je te vois sur mes pentes? Quand viens-tu me grimper?
Dis donc, toi, le chauve, tu ne lis pas les journaux? On va éviter certains termes si tu veux bien, et puis tu es trop haut et je ne prends aucun produit illicite et je n'ai pas encore besoin de mourir. Voilà ce que je lui répondais, au grand pelé.
Je filais mon petit quatre à l'heure, la vitesse en marchant d'un poney malade ou d'un enfant regimbeur, j'étais sur le plateau moulinette quand j'ai entendu leurs souffles réchauffer ma nuque. Ils étaient deux, ils parlaient fort et pédalaient vite. Ils avançaient, eux. Ils arrivaient à ma hauteur. J'en ai entendu un dire: "Dans l'autre sens c'est moins difficile..." Ma parole, ils se payent ma tête, ces deux crétins. Ils m'ont dépassé en soufflant comme deux baleines blanches poitrinaires, déguisés en coureurs du Tour de France, des maillots de cyclistes d'une discrétion relative, rouges et blancs avec une bonne cinquantaine de marques floquées dans le dos et sur leurs cuisses qui étaient sèches comme des cosses de pistaches, leurs grosses veines bleus gonflées d'un sang probablement impur... Ils traçaient comme des super étendards à roulettes et quand ils se taisaient on entendait comme un sifflement dans leurs sillages, il y avait même des tourbillons de poussières qui naissaient de leurs pneus arrières. Ils ont disparu vite fait au premier virage. Avec leurs casques et leurs lunettes futuristes, je n'ai pas vu leurs visages. Ils m'ont laissé rouge comme un camion de pivoines... Autant d'effort que de colère.
Je me suis reconcentré sur ma souffrance et mes quatre pauvres malheureux kilomètres par heure. J'ai fini par arriver en haut de la côte. Ils étaient encore là, mes deux champions imbéciles posés sur leurs belles bécanes en carbone. Ils buvaient à même leurs gourdes, ils avaient déserrés leurs casques et à mon passage, j'en ai entendu un lâcher clairement: 
__Déjà... Pas trop tôt...
Les benêts, j'ai pensé. Je ne me suis pas arrêté, j'ai entamé la descente vers Saint Didier, son cours ombré de platanes centenaires, sa fontaine d'eau potable fraîche de source, ses bars. Je me suis assis à une table et j'ai demandé deux vichy orgeat que j'ai engloutis en une fois.
Ils sont arrivés peu après, les deux merles. Ils se sont assis à la table voisine. L'un m'a rebranché: 
__Alors, cette côte, elle est raide hein? Elle est dure quand on débute, non?
Je les ai regardé, l'oeil brillant. Je tenais ma vengeance... J'ai pris un temps pour envoyer:
__C'est dur mais je ne suis pas mécontent de moi... Quinze jours seulement après mon amputation de la jambe droite, ce n'est pas si mal... 
"Quand tu as ouvert une brèche, pousse ton avantage!"  Fun Tsu, l'Art de la bataille...
J'ai tenté le coup de grâce:
__Bon, c'est pas tout ça les gars, je suis ravi de parler avec vous, qui êtes si sympathiques, mais j'ai encore deux cent cinquante deux bornes à plier avant de rentrer chez moi... Allez salut, bon samedi!
Et je les ai plantés là.


Malheureusement, je n'ai pas pu voir leurs deux visages d'abrutis taquins cyclistes, de honte, se décomposer.
C'est une des  limites de l'exercice...






20 mai 2011

Les fondamentaux.

Dans la pratique sportive et le plus souvent dans le jeu de rugby, quand on est largué par un adversaire, bousculé par sa prestation, dépassé par sa vitesse, malmené par sa tactique, sa puissance sa détermination il est courant et recommandé, avant toute opération de reconquête, de venir se réfugier, se blottir, se protéger, s'adosser sur ce qu'on appelle les fondamentaux. Ils sont la base du jeu, les règles profondes, l'essence même du jouer ensemble. Ils sont, ce qui depuis le début apparait dans la formation, ce que le joueur  intériorise depuis le démarrage de sa pratique. Ils sont le socle sur qui tout le monde s'entend, sur qui  tous peuvent être en accord, ils sont le fond de la piscine sur lequel  donner un coup de pied pour tenter de remonter à la surface et revoir le jour.


Et si dans la vie il en était de même? Ces derniers jours, au milieu de tout le fatras de discours compassés, de démonstrations d'imbécillités, d'horreurs entendues, d'affirmations péremptoires, de jugements hâtifs, de condamnations à l'emporte pièce, de souvenirs douloureux, de déclarations partisanes, de vilaines blagues sexistes... Au coeur de ces interprétations psychanalytiques, de ces soupçons de complots mêlant les russes, les adversaires politiques, les propres "amis" de l'accusé... Au centre des avis, des commentaires, des voix médiatiques... en ces temps formidablement troublés me sont revenus quelques fondamentaux:

Il y a des actes qui ne se commettent pas. Et cela n'est pas négociable: On ne tue pas un petit peu son grand frère...
Même si on en a très très envie, on ne peut pas prendre par la force quelque chose qui  nous est refusé. 
Si quelqu'un dit non, il faut entendre: NON, même si on est absolument persuadé qu'il ou elle le regrettera, un jour.
Tant qu'on n'est pas condamné, on a les mains pleines, on est innocent.
Jusqu'à preuve du contraire, la parole d'une employée d'un Sofitel vaut exactement celle du Directeur Général du FMI.


Quand on ne sait rien il vaut mieux se taire. Mais se taire vraiment.

On devrait pour l'instant s'en tenir à ça. Il sera bien temps de parler, d'écrire, de dire,  plus tard.
Heu... Coco, t'es tout mignon ahèque tes fondamentaux, mais on n'a pas que ça à faire! On a des colonnes à remplir, des espaces publicitaires à vendre, nous...



17 mai 2011

Toile de fond.

Quand on aime le cinéma, enfin quand on aime y aller, se laisser emporter par une histoire, un point de vue, on ne boude aucune séance, presque aucune... On peut cependant, sans trop se tromper, se passer de Kad Méraderies,  de Dubosqueries et de quelques autres.

Mais, il y a certains cinéastes dont on n'oublie plus jamais les images dès qu'on les a vues. Terence Mallick est un de ceux là. Assister à la projection d'un de ses films est une expérience très  particulière. Que ce soit La balade sauvage, Les moissons du ciel, La ligne rouge ou Le nouveau monde, on sort de la salle différent de ce qu'on était en y entrant.
Le petit dernier, The tree of life n'y échappe pas... Et comment!

Offrez vous de vivre cette expérience singulière même si elle vous emmènera, parfois dans des régions étrangement étrangères. L'ensemble est bien plus profond, éblouissant, émouvant que la vision d'un direct live du tribunal de New York...


Oui, le film peut agir comme un... détergent.



15 mai 2011

Le cas DS...

Si tout cela est vrai, voilà une preuve, s'il en fallait une, qu'on peut être amateur de bien trop énormes pavés de viande rouge, directeur chef du FMI, éventuel candidat à la Présidence de la République française, ex-maire socialiste de Sarcelles ET... dévoré par ses appétits. Quelle misère!

Si, jamais tout cela est faux, qu'est-ce-que c'est que ce bazar? Quel serait l'intérêt de "monter" une telle saleté? 

Quoiqu'il en soit, que, sur cette étrange affaire, tout le monde passe à table et que la lumière soit... faite.
Harlem.




DSK une explosion en viol?


10 mai 2011

Crocodile, la vie...

Il marche sur le pont qui ensaute le fleuve. Il marche lentement comme un homme qui a du temps devant lui. Ou qui saurait le prendre, c'est à dire se l'offrir.  Il a le temps, rien ne le presse, rien ni personne. Parfois, il s'arrête et se penche au parapet en métal pour regarder au-delà des tourbillons noirs du courant. Il se dit qu'il n'aimerait pas du tout y être prisonnier. Il essaie de compter les chances qu'il aurait de s'en sortir et puis il abandonne ne s'en accordant aucune. Il marche sur ce pont ou plutôt cette passerelle au plancher de bois. Il flâne, le nez au vent comme un épagneul. Il regarde sans voir, il voit sans regarder.
Puis, il y a elle.
Elle est accoudée sur le fer de la rambarde. Une silhouette fine, les deux mais sur son visage pour s'y cacher. En passant à sa hauteur, il s'aperçoit qu'elle pleure. Elle pleure et ajoute au noir du fleuve le sel de ses larmes qui se perdent à grosses gouttes dans les remous.
Elle est belle comme un naufrage et sombre comme une âme damnée. Elle a le dos scindé en deux par une longue natte noire qui tient ses cheveux en laisse. En la voyant, il s'est  dit que tout n'est pas perdu puisque elle a pris le temps de cette coiffure. Il s'approche et lui parle. Elle lui dit tout comme on donne tout à un inconnu de passage et de préférence.
Ma petite mère, si c'est pour cette raison et seulement pour celle là que tu es là sur ce pont à regarder en bas et t'arracher toutes ces larmes, je ne vais pas te dire: que du temps perdu, que du liquide gâché, mais figure-toi que je vais le penser assez fort...
Pourrait-elle entendre que quelle que soit son intensité,  sa douleur finirait par s'estomper, qu'elle en reviendrait à en sourire un jour et qu'elle finirait par la trouver bien exagérée cette douleur exprimée? Pouvait-elle entendre que tout passe? Les amours, les hommes, les souffrances. Pouvait-elle entendre que le temps se charge de tout?
Dans toute une vie, que faisons nous d'autre que rire ou pleurer? Et parfois les deux en même temps. Qui a, au moins un jour  aimé, sait bien ce que je veux dire... Avec avoir vient très vite le désir ou la peur de perdre. Les deux reviennent au même.
Maintenant, je suis à peu près certain, vois-tu ma belle, que les gens sont interchangeables. A condition que tout ça se tienne un peu, que ça reste dans le même panier, dans un environnement pas très éloigné, dans une banlieue proche. Si je suis avec une telle, je pourrais tout aussi bien être avec une autre qui, elle même, serait très heureuse avec un troisième... Regarde bien autour de toi, lui ai-je dit, et change les couples, vois bien si certains ne s'accorderaient pas aussi bien avec d'autres... Les bras dans lesquels tu te jetais hier se sont fermés mais il y a des milliards d'autres bras prêts à s'ouvrir. Ne les ignore pas! Tout cela, le temps s'est bien chargé de me le faire savoir... Et tu es en train de l'apprendre, toi aussi, jolie demoiselle qui pleure sur un pont. Elle a reçu ces mots comme si je lui avais offert une quenelle d'aloé véra.
Son visage s'est éclairé, elle a alors relevé la tête.

En vrai, elle souriait, déjà, au très beau jeune homme qui, vers eux, là-bas, s'avance...





02 mai 2011

A deux brins d'une gerbe.

Je revenais du plein Nord du pays des fromages au cumin, des tulipes en taches et des bébés magnifiques. Je revenais d'avoir passé quelques jours avec mon dernier amour (au sens chronologique...) et ses parents dont sa maman qui m'était assez proche. C'était un samedi, mais là-bas, un samedi de fête. Nationale, la fête. Le jour de la reine. La veille du premier mai. Oui, eux, ils avaient des vélos, des canaux, des grandes blondes costaudes et une reine. Et des xénophobes, mais là quel pays, de nos jours, en Europe, n'en avait pas? Aucun. Nous avions chacun les nôtres et parfois c'étaient les mêmes, comme autrefois les riches avaient leurs pauvres. J'avais vu, le matin, une ville entière devenir un gigantesque vide grenier, j'avais vu des gens de tous âges habillés d'orange, enfiler des bières à la vitesse d'une connexion supra rapide. Forcément plus la journée avançait plus j'avais vu de la viande  saoule en veux-tu-en-voilà. J'avais entendu des dizaines de bateaux sur l'eau noire des canaux parcourir la ville en tous sens et ceux qui tenaient dessus, entassés, chantaient et beuglaient de plus en plus fort alors que la réserve de bière était de plus en plus vide. J'avais vu des hordes d'oranges entrer dans les bars en n'en plus sortir, j'avais été tenté par du hareng cru, mayonnaise arrosé d'une petite bière et puis j'avais renoncé n'étant pas tout à fait  prêt à mourir à l'étranger. J'avais vu des jeunes gens, blancs, mettre leurs têtes dans des sortes de piloris et se faire bombarder d'oeufs frais en souriant, jaune... J'avais senti ce déferlement, ce relâchement cette ambiance de fête mais j'avais aussi dû reprendre le chemin de ma patrie chérie et de ses sillons.
Deux heures de train plus tard, la dernière gare avant celle de Chripol l'aéroport international. Amsterdam central. Un wagon en approche encore vide... J'étais installé peinard à côté d'un vieux chinois, je l'ai su à son improbable costume. Nous étions chacun dans nos pensées. Au moment où les portes s'étaient ouvertes, une horde vêtue d'orange (la couleur, pas les fruits!) s'est précipitée comme de la flotte au fond d'un entonnoir. Mon Dieu, ce qu'ils hurlaient fort! La bière? Ils la transpiraient aussi, pas mal et ça s'est mis à sentir le houblon fermenté dans le wagon. C'était limite insupportable. Comme le trajet entre les gares ne devait durer qu'un petit quart d'heure, je me suis dit que ce ne serait pas long et je suis allé me blottir auprès des genoux de mon Maitre Zen, de sa respiration salvatrice et des ses pensées positives.
Erreur fatale, j'ai vécu le quart d'heure le plus long de ma vie. 


Deux jeunes filles à la mine extrêmement fatiguée sont venues se camper juste devant moi. Au dessus de mon visage, presque. Sainte Leffe veillez sur moi! Elles ont écarté les jambes pour assurer un équilibre vaguement défaillant. Elles se soutenaient l'une l'autre et j'ai bien vu à leurs regards perdus qu'elles n'étaient pas vraiment là.  De temps en temps un hoquet les faisait sursauter, une remontée de houblon les spasmait. Sainte Gueuze aimez moi!
Bon sang, elles vont me vomir dessus je me suis dit. Sainte Piétra épargnez moi! J'ai surveillé la plus entamée du coin de l'oeil. Avec la chance que j'ai, si elle envoie une gerbe d'Amstel ou de Heineken, c'est sur moi que ça tombe... En mai, ce sont des brins de muguet qu'on s'offre, pas autre chose! Pas ça, pas avant d'aller prendre l'avion... Sainte Hoegaarden protégez moi! S'il vous plait Seigneur, soyez sympa permettez lui d'attendre un gentil petit quart d'heure. Chaque mouvement du wagon lui faisait remonter l'estomac en entier, je pouvais voir les litres à l'intérieur qui gigotaient. J'ai poussé ma valise qui était juste devant moi, non pour la sauver mais pour pouvoir m'éjecter de la trajectoire au cas où... Sainte Guiness absolvez moi!  Des gouttes de sueur perlaient sur son front, certaines, grosses comme des balles de golf venaient s'écraser à mes pieds et libéraient à chaque fois des puanteurs. Je surveillais son regard comme le lait sur le feu et je le voyais bien qui s'en allait dans l'au-delà du du wagon, je le sentais bien, son regard, devenir flou, voguer doucettement vers le pays des prairies tranquilles où l'on peut s'allonger dans l'herbe haute et dormir une année ou deux. Sainte Chimay bénissez moi! Je voyais ce qu'elle se disait dans sa tête tout embrumée de vapeurs alcooliques, elles aussi: "Juste une petite gerbe de rien et je dors, là debout. Je promets de ne plus jamais toucher à une canette pour le restant de ma vie, laissez moi m'endormir ici, maintenant..." Sainte Kriek croyez moi!
Voilà ce qu'elle se disait en burpant dangereusement.
Ca va me tomber dessus, ça va me tomber dessus, je me disais, moi. Pitié, j'implorai: Sainte Corona sauvez moi!
Et puis le train a ralenti, freiné, couiné et s'est arrêté. La horde est sortie en chantant comme s'ils avaient repris du poil de la bête, comme si leurs batteries à plat, s'étaient rechargées durant le court trajet. Je n'avais pas été décoré. J'ai poussé un ouuuuuuf de soulagement et je suis sorti à mon tour. Sainte Tourtel lâchez moi!


Je les ai vu en sortant, les deux filles appuyées, leurs deux bras levés, accrochées à un pilier, les jambes bien écartées pour éviter les éclaboussures.

Sainte Mort subite, merci, merci, c'est le gris du quai qui a tout pris... 







01 mai 2011

Deux jours entre autres...

« Que chaque jour que l’on vit soit une preuve que l’on vit. »
A Christine et Philippe ...
                Nous sommes arrivés vers la fin de l’après midi. Nous avions passé la journée à nous procurer des plaisirs comme on offre un bouquet de souvenirs à un amnésique. Nous étions bien, sans savoir d’où ça venait, sans, surtout chercher à le savoir. De peur de nous sentir un peu moins bien ? Nous étions fatigués, aussi. L’endroit où nous allions devait être quelque part au-dessus de ce village où nous nous sommes arrêtés pour vider deux verres et demander notre chemin. Il avait fallu poser la question à plusieurs reprises pour que quelqu’un, même d’ici, puisse seulement nous donner une vague idée de la direction à prendre. D’emblée ça nous l’a rendu sympathique.
Le dernier bonhomme a qui on a parlé nous a montré un coin de montagne touché par un chemin torturé. Un chemin à flanc de pierres dessiné comme une âme de mélancolique. Il avait ajouté qu’on ne verrait les toits des maisons qu’en ayant le nez dessus. « Soyez pas surpris, il n’y a que des ruines, là-haut ! » Nous avions pris la bande de terre tarabiscotée dès la sortie du village. Pour grimper fort, ça grimpait fort. La pente finale était si raide qu’on a pensé la prendre en marche arrière. Les virages étaient si secs qu’on se dévissait la tête à chaque pour deviner le suivant. Vers la fin, le gars qui avait tracé la route devait être si fatigué de triturer son crayon dans tous les sens qu’il s’était offert une ligne droite de cinquante bons mètres. C’était là, et nous étions contents d’y être. Peut-être aussi à cause de la chaleur.
Depuis le départ nous avions roulé sans la capote avec un soleil chacun sur la nuque. Ca finit par peser son poids. Les cinq, six ruines du hameau s’accrochaient aux rebords d’une falaise qui plongeait à la presque verticale sur une vallée coincée entre deux pans de roches et du fond montait la colère d’un torrent comprimé. Ici, tout se tenait droit, sauf nous. Nous sommes sortis de la voiture en nous défroissant, nos tee-shirts collés à nos peaux par la sueur. Accueillis par le seul chant lancinant de cigales agacées. En regardant autour de nous, nous nous sommes demandés si UNE âme pouvait vivre ici. Au dessus de nos têtes, il y avait bien une escadre de corneilles qui planait en craillant. Mais peut-on écrire raisonnablement que des oiseaux vivent quelque part ? Et puis nous avons regardé plus loin. Dans le fond du tableau, le soleil au couchant comme le bouquet final d’un feu d’artifice, foutait le feu au Lac maintenu par un barrage arrondi comme une main de béton qui retiendrait l’eau. Il voulait se faire regretter avant de disparaître. Le miroir de l’eau s’embrasait et c’était somptueux. Les monts alentour en rosissaient de stupeur. Nous étions bouches bées devant cette magie rouge, à nous étire en langueur, quand de derrière une ruine, un géant courbé a surgi.
Il s’est avancé d’un pas tranquille pour nous dire :
___Vous en avez mis du temps pour monter ! Il avait du roc dans la voix. Moqueur, un peu:

___Je vous suis depuis le bas. On peut pas dire qu’il soit nerveux votre engin, ma mule montait plus vite!

___C’est que ça grimpe! On a dit bêtement. Il nous regardait du coin de l’œil en se roulant une cigarette. Après la première bouffée, il a lâché :

___Alors, comme ça, vous êtes des amis des deux autres ?  Il ne nous a pas laissé répondre, il a continué :
___Je les ai vu prendre le chemin de la source, au plus chaud du jour. Ils ne devraient plus tarder à être rôtis à point, maintenant, ils vont redescendre. 
Nous nous sommes demandés où nous étions. Nous nous croyions en pleine montagne et voilà que nous parlions à un gardien de phare. Ca aussi, il l’a lu dans nos yeux:

___Regarder autour de nous, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire par ici. Et puis le regard porte si loin qu’on est bien obligé de tout voir. Mais vous devez avoir soif tous les deux, venez. 
Il avait dit ça sur un ton qui n’appelait pas le non. Nous lui avons quand même dit qu’on avait bu un verre avant de monter, il a répliqué : « Vous avez peut-être bu mais moi, je vous offre à boire. » Comme il ne nous laissait pas une chance de dire non, comme il faisait déjà demi-tour, nous l’avons suivi. Avant, nous avons fait mine de fermer les portes de la voiture, alors sans se retourner, en souriant :

___  Soyez tranquilles, personne  la volera, les corneilles savent pas conduire !
Nous avons marché entre les restes ébranlés des baraques croulantes, nous avons traversé un champ dont le foin était couché à l’horizontale par le sec et le vent pour arriver sous l’ombre dense d’un chêne liège. Une ficelle d’eau claire coulait en silence sur deux plaques d’ardoise. Elle y dessinait des reflets comme un collier de perles fines sur un écrin noir. Il a sorti un verre d’entre les racines de l’arbre et il l’a posé à plat sur l’humide des pierres. Attentif à ce qu’il faisait, il a dit :

___Vous avez déjà bu de la montagne ? 
Il était sûr de la réponse, ça c’est vu à sa façon de nous tendre le verre. Il nous aurait tendu une plein poignée de diamants son sourire n’eût pas été différent. Le fil d’eau venait du ciel, il en avait le goût. Nous avons senti le liquide se glisser jusqu’au fin fond de nos ventres, comme si la flotte pouvait nous passer droit dans les veines. Pendant qu’on se purifiait, une silhouette sombre s’est amenée en chuintant. De loin, on voyait que c’était ce qu’on appelle une petite vieille, de près on n’a plus vu que son sourire. Il était prêt à accueillir Noé son arche et dix déluges s’il avait fallu. Nous n’étions que deux et il n’a fait qu’une bouchée de nous. C’était une femme comme un grain de café torréfié, abritée du chaud sous un parapluie noir. A son cou pendait une paire de jumelles grosse comme des avants bras. Une des optiques était obstruée par un couvercle rouge de moutarde. Comme nous nous étonnions de ça, elle nous a dit son habitude des longues vues. Elle ne scrutait que d’un œil. Sans se défaire de son sourire, elle nous a demandé dans une langue bizarre, sans doute due à quelques dents manquantes, si on avait fait bonne route. Il n’y avait que ça qu’elle voulait savoir de nous. « Si nous avions su que c’était pour boire une eau pareille, nous serions venus bien avant ! » Cette réponse a semblé lui plaire. « Moi, je n’ai que ça sans les artères, je ne risque plus rien ! » Pour eux deux, nous étions des amis de Christine et Philippe et ça leur suffisait. Alors, elle nous a proposé de les attendre chez elle. « Alors, vous venez me les enlever ? » Et comme pour effacer très vite cette phrase, la remplacer par une autre : « Ils passent toujours saluer le soir avec moi » Elle a dit avec du regret dans la voix. Nous n’avons pas su quoi répondre. Camille nous a lâché là: "Une fouine rôde j'ai mes poules à rentrer, je ne veux pas qu'elle me les saigne." Avant de nous quitter il a embrassé Honorine comme s'il embrassait un cristal. Ils avaient eu une histoire ces deux là...
Nous nous sommes remis en route derrière elle qui marchait à pas de mulot. Parfois, elle pointait une ruine du bout de sa canne et nous racontait qu’ici avait vécu tel ou telle, enfin d’autres qui s’en étaient allés, mais il n’y avait pas de tristesse dans sa voix, juste un constat et pas mal de nostalgie. Elle ressentait sûrement leurs présences, peut-être même qu’au fond d’elle, elle en souffrait mais comme tous quand on évoque l’avant. S’y appesantir était une perte de temps, il vaut bien mieux se préoccuper des soleils à venir. Alors que son passé s’était décomposé comme ces maisons entre lesquelles nous passions, elle restait tournée vers maintenant et ce qu’elle allait nous offrir pour les attendre. Pour les attendre et nous faire plaisir. Nous avons abouti devant sa porte, si basse qu’il nous a fallu nous baisser pour la franchir. Pas elle. Dedans c’était comme le cœur d’une humide caverne qui sentirait la lavande, le thym, le pèbre d’ail, le romarin... En fait ça sentait une vie, une vie entière. Elle s’est engagée dans un escalier raide comme un vieux marc, aux marches creusées près du bord, du côté de la rampe qu’elle agrippait à pleins doigts. Nous n’avons pas fait un geste pour l’aider, elle n’aurait pas voulu. Nous sommes entrés dans une pièce basse, sombre, meublée d’un vaisselier, d’une table et de chaises courtes sur pattes. Il y avait aussi dans un coin près d’une minuscule fenêtre donnant sur le paysage, un évier taillé à même la pierre. Ici, ça ne sentait que le feu éteint et l’alcool des lampes. Elle nous a fait asseoir en s’excusant pour le confort, elle a du nous imaginer les fesses tendres. D’une huche de pain, elle a sorti une enclume de miche à peine entamée. Pour se déplacer, elle s’appuyait d’une main sur la table. Trois appuis valent mieux que deux. En la calant contre son ventre, elle a découpé avec une presque égoïne, deux tranches larges comme des raquettes à neige. Le vaisselier lui a donné un pot de miel liquide, de l’or en fusion. Elle en a tartiné le pain sans s’occuper des flaques de miel sur la toile cirée de la table. On s’est engouffré quelques jours d’été. Elle, elle avait deux ours brun dans sa cuisine. Nous brillions de bonheur. Et de nous voir, elle irradiait. En retour elle n’attendait que deux mots de nous : « c’est bon » Nous ne nous sommes pas gênés pour les lui dire. Nous les lui avons même servis plusieurs fois. "Que c'est bon!" Si ça manquait un peu de vocabulaire, ça disait bien ce que nous ressentions! Pendant qu’on dévorait, elle nous a raconté les hivers quand elle était enfant et qu’avec son frère le soir elle devait aller dormir dans la petite grange avec les brebis, celle qui est là à côté de la maison et comment il leur fallait, les soirs de neige courir en levant les jambes saisies par les morsures du gel. Comment, une fois dans la grange, ils se collaient l’un à l’autre, l’autre aux brebis pour se réchauffer, un peu. Elle nous a dit comment ils descendaient à l’école à pied par le chemin qui y mène et comment certains soirs ils étaient obligés de rester en bas, de dormir près du poêle, à même le sol de la classe. Elle nous a dit tout ça avec un sourire, son impensable sourire édenté...
Là-dessus, Christine et Philippe ont frappé à la porte. Elle leur a sculpté deux raquettes, à eux aussi. Ils se sont, comme nous, vite retrouvés devant deux champs de miel allongés sur du pain béni comme devant les malles ouvertes d’un trésor de pirates. Les miettes qui restaient sur la table, elle en faisait de jolis petits terrils qu’elle poussait dans le creux de sa main et balançait par la fenêtre pour que les oiseaux du dehors soient aussi de la fête. Pendant qu’ils se goinfraient, le soir était tombé sans faire plus de bruit que la chute d’une plume sur le dos d’un poussin. Rassasiés, repus, ils se sont levés, ils ont embrassé Honorine à pleines joues en la remerciant pour tout et lui souhaitant belle nuit et ils sont sortis. Elle a seulement dit : Alors, vous repartez demain ? « Oui, il faut qu’on y aille, qu’on reprenne, mais nous essayerons de revenir en décembre, on vous le promet, Honorine. » Une fois qu’ils avaient disparu, elle s’était dit à elle-même : « Mais moi, je n’y serais peut-être plus. » Le noir escaladait déjà les murs des maisons. Ils avaient une heure ou deux à tuer avant de plonger leurs yeux au ciel. Tout s’annonçait tendrement bien. Quand ils sont arrivés tous les quatre, il faisait nuit. Un ou une est resté sur la terrasse pour s’en fumer une petite, il ou elle s’est assis quelques minutes le cul sur les pierres fraîchies par l’humide et il ou elle a appelé les autres. Ils sont sortis de la maison les épaules couvertes de duvets, les bras chargés: une de bougies, de quatre verres et d’une ou deux bouteilles, une autre d’une boîte en fer blanc bourrée de Merveilles, c’en était à coup sûr à cause du nuage de sucre glace qui volait derrière elle comme une traîne de mariée, le troisième de figues séchées. Des Rois Mages. Ils se sont allongés, blottis, leurs dos sur le doux de la plume, leurs regards dans l’immense profond du noir. La nuit pouvait durer, ils avaient de quoi tenir. Elle avait commencé à s’illuminer de grappes d’étoiles. Très vite, certaines se sont détachées du fond pour filer vers eux. En quelques minutes ce fut si lumineux qu’il pouvaient les voir même en fermant les yeux. De temps en temps, pour se remettre de leurs émotions, en attendant les prochaines salves, ils allumaient une cigarette ou plongeaient les doigts dans la réserve à Merveilles. A chaque fil de lumière, ils s’exclamaient comme des gamins au feu d’artifice. Ils sont restés là, sous ce drive in céleste jusqu’à la toute fin du spectacle, c'est-à-dire jusqu’au moment où l’Est se mit à rosir comme un vol de flamants. Le matin qui est venu fut une caresse de matin. Ils n’avaient pas dormi ou alors très peu, mais ils n’étaient pas fatigués. Ils se sont dépliés sur le devant de la maison et ce fut pour s’apercevoir que l’automne avait profité de cette nuit là pour débarquer. Ils l’ont senti à quelques signes à peine perceptibles, mais ils y étaient désormais sensibles. L'odeur brune d'un feu de cheminée qui flottait, la frêle éraflure d’un vent coulis qui saisissait, une ombre de nuage allongée, perdue dans un coin du rose pâle. Attentifs à ces presque riens, ils ont su qu’il était temps de filer. Ils ont fini de boucler leurs sacs bien avant la fin de la matinée. Ils ont fermé la maison et sont allés saluer Honorine et Camille. De derrière sa fenêtre, sa longue vue rivée à l'oeil, elle les regarda partir...
Honorine, elle, venait d'entrer dans son tout dernier hiver...

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