02 mai 2011

A deux brins d'une gerbe.

Je revenais du plein Nord du pays des fromages au cumin, des tulipes en taches et des bébés magnifiques. Je revenais d'avoir passé quelques jours avec mon dernier amour (au sens chronologique...) et ses parents dont sa maman qui m'était assez proche. C'était un samedi, mais là-bas, un samedi de fête. Nationale, la fête. Le jour de la reine. La veille du premier mai. Oui, eux, ils avaient des vélos, des canaux, des grandes blondes costaudes et une reine. Et des xénophobes, mais là quel pays, de nos jours, en Europe, n'en avait pas? Aucun. Nous avions chacun les nôtres et parfois c'étaient les mêmes, comme autrefois les riches avaient leurs pauvres. J'avais vu, le matin, une ville entière devenir un gigantesque vide grenier, j'avais vu des gens de tous âges habillés d'orange, enfiler des bières à la vitesse d'une connexion supra rapide. Forcément plus la journée avançait plus j'avais vu de la viande  saoule en veux-tu-en-voilà. J'avais entendu des dizaines de bateaux sur l'eau noire des canaux parcourir la ville en tous sens et ceux qui tenaient dessus, entassés, chantaient et beuglaient de plus en plus fort alors que la réserve de bière était de plus en plus vide. J'avais vu des hordes d'oranges entrer dans les bars en n'en plus sortir, j'avais été tenté par du hareng cru, mayonnaise arrosé d'une petite bière et puis j'avais renoncé n'étant pas tout à fait  prêt à mourir à l'étranger. J'avais vu des jeunes gens, blancs, mettre leurs têtes dans des sortes de piloris et se faire bombarder d'oeufs frais en souriant, jaune... J'avais senti ce déferlement, ce relâchement cette ambiance de fête mais j'avais aussi dû reprendre le chemin de ma patrie chérie et de ses sillons.
Deux heures de train plus tard, la dernière gare avant celle de Chripol l'aéroport international. Amsterdam central. Un wagon en approche encore vide... J'étais installé peinard à côté d'un vieux chinois, je l'ai su à son improbable costume. Nous étions chacun dans nos pensées. Au moment où les portes s'étaient ouvertes, une horde vêtue d'orange (la couleur, pas les fruits!) s'est précipitée comme de la flotte au fond d'un entonnoir. Mon Dieu, ce qu'ils hurlaient fort! La bière? Ils la transpiraient aussi, pas mal et ça s'est mis à sentir le houblon fermenté dans le wagon. C'était limite insupportable. Comme le trajet entre les gares ne devait durer qu'un petit quart d'heure, je me suis dit que ce ne serait pas long et je suis allé me blottir auprès des genoux de mon Maitre Zen, de sa respiration salvatrice et des ses pensées positives.
Erreur fatale, j'ai vécu le quart d'heure le plus long de ma vie. 


Deux jeunes filles à la mine extrêmement fatiguée sont venues se camper juste devant moi. Au dessus de mon visage, presque. Sainte Leffe veillez sur moi! Elles ont écarté les jambes pour assurer un équilibre vaguement défaillant. Elles se soutenaient l'une l'autre et j'ai bien vu à leurs regards perdus qu'elles n'étaient pas vraiment là.  De temps en temps un hoquet les faisait sursauter, une remontée de houblon les spasmait. Sainte Gueuze aimez moi!
Bon sang, elles vont me vomir dessus je me suis dit. Sainte Piétra épargnez moi! J'ai surveillé la plus entamée du coin de l'oeil. Avec la chance que j'ai, si elle envoie une gerbe d'Amstel ou de Heineken, c'est sur moi que ça tombe... En mai, ce sont des brins de muguet qu'on s'offre, pas autre chose! Pas ça, pas avant d'aller prendre l'avion... Sainte Hoegaarden protégez moi! S'il vous plait Seigneur, soyez sympa permettez lui d'attendre un gentil petit quart d'heure. Chaque mouvement du wagon lui faisait remonter l'estomac en entier, je pouvais voir les litres à l'intérieur qui gigotaient. J'ai poussé ma valise qui était juste devant moi, non pour la sauver mais pour pouvoir m'éjecter de la trajectoire au cas où... Sainte Guiness absolvez moi!  Des gouttes de sueur perlaient sur son front, certaines, grosses comme des balles de golf venaient s'écraser à mes pieds et libéraient à chaque fois des puanteurs. Je surveillais son regard comme le lait sur le feu et je le voyais bien qui s'en allait dans l'au-delà du du wagon, je le sentais bien, son regard, devenir flou, voguer doucettement vers le pays des prairies tranquilles où l'on peut s'allonger dans l'herbe haute et dormir une année ou deux. Sainte Chimay bénissez moi! Je voyais ce qu'elle se disait dans sa tête tout embrumée de vapeurs alcooliques, elles aussi: "Juste une petite gerbe de rien et je dors, là debout. Je promets de ne plus jamais toucher à une canette pour le restant de ma vie, laissez moi m'endormir ici, maintenant..." Sainte Kriek croyez moi!
Voilà ce qu'elle se disait en burpant dangereusement.
Ca va me tomber dessus, ça va me tomber dessus, je me disais, moi. Pitié, j'implorai: Sainte Corona sauvez moi!
Et puis le train a ralenti, freiné, couiné et s'est arrêté. La horde est sortie en chantant comme s'ils avaient repris du poil de la bête, comme si leurs batteries à plat, s'étaient rechargées durant le court trajet. Je n'avais pas été décoré. J'ai poussé un ouuuuuuf de soulagement et je suis sorti à mon tour. Sainte Tourtel lâchez moi!


Je les ai vu en sortant, les deux filles appuyées, leurs deux bras levés, accrochées à un pilier, les jambes bien écartées pour éviter les éclaboussures.

Sainte Mort subite, merci, merci, c'est le gris du quai qui a tout pris... 







14 commentaires:

Anonyme a dit…

...le jour de la reine est dangereux pour ceux qui ne la fêtent pas!!
tu nous manques!
le glouton fait la sieste (ailleurs que dans mes bras!)
et moi je t'embrasse!

chri a dit…

@ Li: J'ai eu la peur de ma vie! J'ai cru que j'y avais droit! Vous aussi... vous me... Et moi aussi je t'em...

Obélix a dit…

Ils sont fous ces hollandais... !

Tilia a dit…

Beuuurk !
"Exclure impérativement les alentours du jour de la Reine". C'est gravé en rouge dans mes tablettes, pour quand je me déciderai à aller visiter le pays de Hieronymus, Albrecht, Rembrandt et Cie.

Chripol pour Schiphol, ça m'a bien amusée !

Tilia a dit…

Albrecht ?! n'importe quoi !!! c'est Johannes que je voulais dire. Quelle bourde ! et pourtant je n'ai rien bu

Tilia a dit…

Le dégobillage c'est rien à côté de ça ...

chri a dit…

@Vous: Il ferait beau voir que vers le 14 Juillet par chez nous... les français ne consomment que de l'eau claire...

véronique a dit…

çà aussi çà ne s'invente pas ... il aurait fallu les filmer et puis faire une petit BUP pour "tu t'es vu quand t'as bu ? "
je pense très efficace.
enfin, suis contente que vous soyez rentré sain et sauf ! entre les attaques des fromages en boule, les indigestions d'orange, les gazouillis et le jamais trop plein d'odeurs de bébé .. vous vivez dangereusement :o)

chri a dit…

@Véronique: Rentré ? Ben oui, faut bien, mais j'aurais bien resté mon nez dans son ptit cou...

Nathalie H.D. a dit…

Moi le orange je ne connaissais pas. J'ai eu peur avec toi tout le long. Devoir s'arracher à la douceur d'un petit cou pour tomber dans cet enfer bierreux, la vie est bien méchante !

(suis rentrée moi aussi, adieu Mafate et le calme incroyable des cirques...)

chri a dit…

@Nathalie: Ah oui, le contraste a été terrible... Je n'ai presque pas exagéré... Dans le port d'Amsterdam... La douceur des cirques, des cascades et des bassins...

Lautreje a dit…

j'ai adoré, j'ai prié avec vous (quel connaisseur vous êtes !), j'ai eu peur pour la valise, votre chemise et j'ai éclaté de rire sur le quai ! Merci !

PS : à part ça, y a pas une pub ! ;-) !!

chri a dit…

@Lautreje: Merci de votre éclat!
Ce n'est pas de la pub, c'est du placement de produit!

chri a dit…

PS Dans les glacières sur la barge(!) que des bières....

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