16 décembre 2017

Carnage nocturne.

Sept. On en a tué sept. 
En quelques minutes. Dans la même nuit. Une folie meurtrière. Une boucherie à la nuit noire.
Et, pire, tout ça s’est passé sans qu’aucun voisin, dont moi, n’ait rien entendu de ce carnage. Pas le moindre petit bruit, pas la moindre minuscule plainte, pas le moindre hurlement de terreur, de douleur. L’horreur se déroulait sous mes fenêtres et nous n’en avons rien perçu. Rien. Et je ne suis pas le seul à être stupéfait de cette nouvelle qui nous brise le coeur et nous renvoie à des âges farouches. Pourtant, cette épouvante qui laisse sept cadavres exsangues a eu lieu. À une maison de la mienne, même pas, pendant mon sommeil. Je ne l’ai appris que dans la matinée. Il semblerait que les gendarmes et les voisins aient , d’ores et déjà, en tête, deux suspects mais il faut raisonnablement attendre la fin de l'enquête. Aucune piste n'est à priori écartée.
Nous sommes dans une petit village, étendu en surface mais assez peu peuplé. Environ trois mille personnes y vivent c’est dire le retentissement que va avoir cet événement sur la vie de cette commune. Déjà, le Maire et une bonne partie de Conseil municipal seraient passés tout au long de la mâtinée, autant  pour se montrer que pour faire savoir quelles dispositions ils s’apprêtent à prendre face à ce tragique fait d’hiver. Des mauvaises langues se pressaient de dire: S’il s’occupe de ça comme il s’occupe du village le, la ou les coupables n’ont pas de souci à se faire. Ils ne sont pas prêts d’être arrêtés ni  jugés et encore moins condamnés. Et donc ils ne seront pas mis hors d’état de nuire et pourront, à loisir, recommencer.
On attend pourtant, dans le quartier des mesures efficaces. Finies les caméras de surveillance inutiles, les éclairages vains, les rondes de la police qui est désormais beaucoup plus pale que munici.
Un tel carnage au nez et à la barbe de tous sans qu’on puisse s’accrocher au moindre indice si ce n’est le mode opératoire qui révèle quand même une furieuse pulsion meurtrière. Un, une, des déséquilibrés sanguinaires ? Une terrible  vengeance qui se serait abattue sur la famille des voisins en une nuit, en un moment de massacre tragique ? Il eût fallu qu’ils en fassent pour mériter ce genre de vengeance, pour susciter un tel ressentiment à leur égard et faire de cette sanglante nuit la pire de toute l’année, de toute l’histoire du village, même.
Un différend qui les aurait opposé à des ennemis potentiels et tellement dangereux? Si c’était le cas, c’était un différend d’une sacrée nature, la tension devait être extrême pour en arriver là.
Pour l’instant, les premiers constats, d’après ce que m’avait appris le voisin lui-même laisseraient à penser à une intrusion volontaire qui aurait mal tournée.
Mal tourné ? Sept cadavres mutilés aux têtes arrachées, éparpillées sur la pelouse, les corps vidés de tout leur sang, tu parles d’un mauvais virage…
Sept poules et un jar, en une nuit, monstrueusement décapités retrouvés,  éparpillés, dans l’enclos du jardin. Quand j'ai suggéré, ce qui n'était pas si malin, au voisin de  préparer un grand bouillon de poule, il n'a pas souri en disant : Autre qu'un bouillon!

Deux fouines seraient sur la sellette, dans le collimateur et chacun ne pense, ce matin, qu'à mettre tout en œuvre pour se débarrasser de ces assassines bestioles.

Il faut dire, s'il est prouvé qu'elles sont dans le coup, qu'avec ce carnage, ce n'est pas l'esprit de Noël qui les a étouffées, ces deux là.


11 décembre 2017

Dans son île...



Quand elle a appris la nouvelle, (tout fini par se savoir, toujours et partout) là où elle était, elle s’est retournée. Deux fois. C’est que ça lui a fait un choc, elle qui n’avait guère bougé depuis une dizaine d’années. 
Et puis une petite colère en elle, s’est allumée :
Je m’appelle Marie-Héloïse Montabord. Allée trois, rang neuf. J’étais si tranquille. J'y suis depuis dix ans. Je suis partie, j'en avais quatre vingt trois et j'avais eu une belle vie. Je suis entourée de mes amies. Nous étions tous tellement au calme, à deux pas du bleu étincelant, couchés dans le sable blond, sous nos jolies tombes blanches, au coeur de l'Anse. Ceux de l’Île nous saluaient en passant, les autres venaient nous voir quand ils pouvaient. Il faut dire qu’ils débarquaient surtout après le passage d’un cyclone pour voir si rien n’avait bougé. Ils débarrassaient les allées des débris accumulés, ils ratissaient le sable blanc, ils taillaient les bougainvillées, ils retapaient ce qui avait besoin de l’être et tout redevenait comme avant calme, paisible, fleuri du rouge pétant de ces grandes fleurs exotiques et pas avec ces chrysanthèmes minables. Le reste du temps que voulez vous qu’il nous arrive, ici ? Alors, pourquoi ont-ils fait ce choix là ? À cause du burger pas loin? J'ai du mal à y croire. Tous ce chemin pour ça? Je dois avouer que j’ai un peu peur en imaginant tous ces métros qui vont débarquer avec leurs blousons noirs, leurs lunettes noires, leurs fringues noires, leurs souvenirs noirs, leurs âmes noires parce qu’ici la couleur du deuil c’est le blanc… Et puis, la nuit, s’il se met à crier oui parce que pour moi, il crie même si vous, vous dites qu’il chante. Enfin qu’il chantait. Je suis désolée mais ma musique à moi ce n’est pas la sienne. Sur la mienne, on DANSE, à deux,  enlacés avec volupté alors que sur la sienne on se trémousse, on gigote, on s’agite seul. À plein, mais seuls. Il va falloir que je me bouche les oreilles. Je viens de voir qu’ils allaient le mettre tout près de chez moi, la tombe à côté. Ils ont commencé à creuser ce matin, il arrive, en avion.
Je sens, je sais, je devine que je vais être piétinée par des va-et-vient incessants des visiteurs futurs et je n’ai pas envie de ça, je veux juste continuer à me reposer en paix. À mon âge on aspire plus qu’à ça, le calme et là j’y étais dans ce petit cimetière de l'anse Lorient à Saint Barthélémy.
Quand il sera là il faudra que je lui fasse promettre de ne plus chanter ou alors seulement des bossas douces ou  des biguines lentes.
Il saura faire ça, lui ? S'il ne sait pas on aura le temps de lui apprendre... On va commencer par celle là s'est-elle mise à chanter:




Une vue du cimetière d'Anse Lorient de Saint Barthélémy prise sur internet.

09 décembre 2017

Bikram.


  
Le soleil venait à peine de finir d’incendier le haut de la verrière du Grand Palais. Le ciel de la ville était, ce soir particulier, une splendeur unique. Comme il sait l’être souvent ici. Dans l’air étonnamment doux de ce début de Mai, flottait une brume de bienveillance souriante. Les gens semblaient heureux d’être là où ils étaient. Heureux de marcher sur les trottoirs, heureux de longer le fleuve, heureux de le traverser, heureux de croiser d’autres gens tout aussi sensibles qu’eux au merveilleux spectacle qui leur était offert aux regards. Leurs pas ralentissaient, ils levaient les yeux aux nuages pour admirer le ciel puis ils se regardaient semblant se dire : C’est beau, n’est-ce-pas ? Et ça l’était. Vraiment.
C’est dans ce paysage qu’une jeune femme dans la quarantaine joyeuse s’avançait sur le quai de la rive droite. Il n’y avait pas besoin de la connaître pour savoir qu’elle s’était habillée avec attention. Une silhouette longue, mince, due à la pratique régulière du bikram, d’une élégance légère comme savent si bien se vêtir les parisiennes. Elle portait son manteau long comme s’il avait été cousu sur elle, en cachemire chameau, beaucoup trop chaud pour la saison mais avec lui,  elle se sentait protégée.  Rien n’était de guingois, tout en harmonie discrète, ample, fluide, animée au rythme saccadé de ses talons à semelles rouges sur le noir du bitume. L'anse d'un petit sac en beau cuir, d’huppée facture ornait son coude gauche. En avançant, elle entrait dans l’air et le fendait… Il se refermait derrière elle et son passage. Elle avait un sourire maquillé au visage et une jolie écharpe de soie imprimée autour du cou. Elle s'était faite belle.

Elle longeait les quais et marchait vers la passerelle des arts.
Elle n’était pas pressée mais elle ne trainait pas. Elle était un peu en avance à son rendez-vous et savait qu’il ne valait mieux pas.
À quelques brasses de là, sur l’autre pont, là-bas, plus loin, celui du Carrousel, lui était déjà sur zone. Il enchainait les cigarettes avec belle régularité. Une blonde, une pastille à la menthe, une blonde etc. Il savait qu’il ne fallait pas arriver trop en avance mais il avait si peur de la manquer. C’était la bonne, quelque part, quelque chose lui disait qu’elle c’était la bonne Il n’aurait pas su dire pourquoi. Ce sont des constats qu’on fait après vingt ans, triomphant, en général on ajoute: Pourtant ce n’était pas gagné, les débuts ont été difficiles et puis, ça s’est arrangé, nous nous sommes peu à peu apprivoisés et nous sommes là, ensemble, amoureux plus que jamais... Voilà ce qu’il savait qu’il dirait d'eux, lui, dans vingt ans. La troisième cigarette l’avait contrarié. Enfin pas elle directement mais un peu quand même. Quand il avait voulu sortir son paquet de sa poche intérieure, il ne savait plus comment il s’était débrouillé mais il avait fait tomber son portable sur le sol. Après un rebond plutôt élégant, le smartphone avait  basculé dans le vide et plongé droit dans l’eau noire tout en dessous.
Après un Putain de merde plutôt bienvenu, pour se calmer,  il s’était évertué à mettre en pratique les séances de yoga bikram qui lui coûtaient un avant-bras...  Il en allait ainsi sur cette terre, certains donnaient leur chemise pour manger un morceau, d'autres pour éviter de prendre un gramme.  Enfin, ça  lui avait permis d’avoir envie d'un rendez vous avec la jeune femme, maintenant adossée à une des balustrades de la passerelle des Arts. Elle s'était arrêtée en plein milieu avec l'idée de le voir arriver de loin et de pouvoir encore s'en aller si quelque chose de mystérieux l'avait poussée à le faire. Elle était inscrite au même cours de Bikram que lui et, après quelques mois de proximité chaleureuse, régulière et animée, ils avaient fini par échanger leurs numéros de téléphone. En ayant une bonne vue, il pourrait presque l’apercevoir d’où il était. C’était trop con, elle s’était trompée de pont. Le premier après le Pont Neuf n'était pas un pont, mais une passerelle... Une passerelle...
Elle a attendu un long moment, lui aussi. Elle a bien essayé de l’appeler mais comme  il ne répondait pas…
Puis, vaincus, ils sont rentrés chez eux. Chacun de son côté. Lui, s’en est pris une bonne, elle est passée pleurer chez sa meilleure amie. Elles en ont pris une bonne, ensemble.
Ils ne sont plus jamais retournés à leur cours, ils ont pensé, chacun, que l’autre leur avait posé une de ces lapins majestueux, un de ceux qui font date. Ils ont eu trop peur des moqueries, pire ils ont craint d’avoir fait l’objet d’un pari. Quand la machine à paranoïer est en route il en faut pas mal pour l’arrêter. Elle s'est inscrite à un autre cours dans un autre quartier, lui a laissé tomber mais pour augmenter un peu ses chances, il a arrêté de fumer, ils ne se sont jamais plus recroisés.
Ils n’étaient plus liés, dans la ville  que par le fleuve qui leur glissait dessous, par le ciel qui leur passait dessus et un bref souvenir émouvant, ce qui n'est pas donné à tous les couples…

Au moins ces deux là n’auraient pas à se quitter.




01 décembre 2017

Ma neige.

Avant que le noir de la nuit descende sur la plaine désormais transie, c'est l'or du couchant qui là, l'embrase pendant que le mistral,  catcheur sociopathe, achève son misérable ménage... 
Quelques nuages à peine délissés persistent à parcourir l’encor bleu en glissant sous nos regards étonnés. Le froid, lui, s’installe sur nos peaux comme un chat sur un canapé. En prenant ses aises, et nos os. Sans nous voir, sans nous prêter la moindre  attention, comme si nous n’existions pas. Il nous tremble.
Du reste nous existons si peu. Nous tenons à peine sur nos jambes, bousculés par le malade qui déboule du Nord. Celui là est puissant, glacé, impétueux, violent, sans scrupule, absent à sa folie furieuse. Il déplace, décoiffe,  déchire, démolit, dérange, balaye d’en haut, d’où il dégouffre, des souvenirs à s’inventer, des paroles à prononcer, des images de bretelle de robe sur une épaule nue, de caresses effleurées, de doigts entrecroisés, de douces soirées d'été et de vin partagé. Une nostalgie d’empreintes le suit de près nous laissant externués, hacrassés, sans force, en pleurs discrets, l’âme à Juillet.
Quand les deux s'étaient trouvés trop tôt ou trop tard, quand les deux avaient une histoire d’amour mais ne se croisaient pas au bon moment. Quand ils passaient à côté l’un de l’autre même en se rencontrant. Quand Roméo et Maria s'accidentaient... La chance, comme l'eau claire des rivières,  ne passe que rarement deux fois au même bonheur.


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