27 avril 2014

D'origine contrôlée.

Je venais d’entrer dans la boutique de mon boucher préféré. Nous étions en fin d’après midi et je n’avais rien à manger pour le soir. En face de chez lui il y avait un légumier fameux. Après une balade en moto à faire le canard, dans quelques uns des plus beaux coins du coin, l'après midi avait été ensoleillée et chaude, j’avais fini ma virée par chez lui. 
Elle, elle y était déjà, une cinquantaine insignifiante, fringuée banalement, un jean, un pull, rien ni à dire ni à redire. Je la verrais dans la rue, je ne la reconnaitrais même pas. Elle avait rempli son cabas, rangé sa monnaie et elle s’apprêtait à partir. Comme, à part moi, personne ne la pressait elle s’était mise à blaguer avec le vendeur. Blaguer, ici c’est parler et c’est, en vrai, la deuxième utilité des courses.
A la première phrase entendue, j’ai compris que ça allait, comme on dit déraper. Mais je ne savais pas encore à quel point…
J’ai attrapé au vol les derniers mots:
___ Ah ben non, moi, je veux qu’il me ramène une blanche…
J’ai fait mine dans mon crâne de penser à la bière, à la salade, à une baguette mais non ce n’était pas de ça qu’elle parlait… C’était de son fils…
Et oui, oui si c’est à ça que vous venez de penser, vous n’avez pas eu tort. C’était de ça qu’elle vomissait. Bienvenue en Vaucluse. Et puis, comme une digue qui lâche, elle a continué :
___ Une italienne, une espagnole oui, d’accord, mais (un peu plus bas) pas une arabe, ni une noire et (plus fort) je ne suis pas raciste. Ah ça non je n’ai rien contre les autres mais je veux qu’elle soit blanche et il le sait. (Plus bas encore) Une arabe je n’aurais jamais confiance et une noire on serait trop différents, alors il a intérêt à se trouver une gentille petite blanche de chez nous… Et je ne suis pas raciste, ils ont le droit de se marier mais entre eux, qu’elles ne touchent pas à mon fils…
J’étais anéanti et je regardais le boucher qui entendait ce torrent abject. Il avait l'air atterré.
À la fin de son tsunami ordurier, elle s’est tournée vers moi, elle m’a regardé  et elle m’a interrogé: N’est-ce pas Monsieur ?
Je ne suis pas Desproges (Madame mon père est arabe...) mais dans l'instant le seul truc qui m'est venu a été : Ne me parlez pas, Madame... Puis, j'ai tourné les talons et je suis rentré chez moi, vite fait, prendre une douche.  
Pour moi, ce soir, ce sera poisson riz.





23 avril 2014

Pas d'un Phil.

Pour les impromptus littéraires de la semaine. La consigne obligeait à citer au moins un tissu.

C’est quand le jeune adjoint au maire, qui avait dû regarder trop de films américains, a demandé si quelqu’un voulait s’opposer à ce mariage que tout est parti de travers.
Pourtant, la température était douce en ce début de printemps dans la banlieue de Granville. De la pluie avait été évidemment annoncée, mais seulement pour la fin de journée, le midi de cette fin de semaine devrait être épargné, et donc la modeste fête prévue après, aussi…
___  Tu vas pas mettre ça ? Un jean pourri, aujourd'hui?
___  J’v’ais m’géner. C'est pas le mien que je sache!
___ Dites, tous les deux, vous n’allez pas commencer ? Je vous préviens qu’aujourd’hui je ne veux pas vous entendre, je ne supporterais aucune bisbille, aucun accroc, aucune engueulade, il va falloir que vous y mettiez du vôtre, les jumeaux. Aujourd’hui c’est MA journée et vous n’avez pas intérêt  à me la gâcher. Je vous en voudrais à mort, alors vous allez prendre sur vous mes chéris d'amour.
___ T’inquiète M’an je ne laisserais pas faire ce crétin.
La tartine gorgée de sucre comme un B 52 bourré de myrtille a volé gentiment dans la cuisine, a été esquivée par le visé et a fini sa course écrabouillée contre le blanc à côté du frigo. Elle a ensuite lentement dégouliné le long du mur en laissant une trace d’un mauve profond jusqu’au carrelage du sol.
La tension de l’ambiance qui était déjà assez forte depuis une belle semaine avait encore franchi un cran ce matin. Il faut dire que nous étions enfin au jour h. C’est en effet aujourd’hui que Mary-Anne, la mère des deux jumeaux allait se marier pour la sixième fois. Il y a quelques mois, alors que tout allait bien, jusque là dans sa vie, elle avait rencontré Pablo le carreleur et en était tombée, sur le champ raide amoureuse… comme à chaque fois. En quelques mois, elle avait pris ses garçons sous les bras, elle avait quitté sa vie d’avant, elle avait déménagé et s’était installée avec Pablo, chez Pablo qui ne demandait pas mieux et, dans la foulée avait fait le nécessaire pour se marier. Grande amoureuse Mary-Anne, il fallait que les choses aillent vite. Pour elle, les pages se tournaient à vitesse grand V.
La petite mairie était bondée. Il y avait là tous les amis de Pablo et ceux de Mary-Anne et même quelques uns de ses ex-maris, mais pas tous... Tout ce beau monde s’était mis sur son trente et un et la salle des mariages ressemblait à l’intérieur d’une boite de Quality Street. C’était à celle qui avait les plus beaux frous-frous. On avait découpé de l’organza saumon de synthèse au kilomètre. Les sourires illuminaient les visages. Puis le silence s’est fait quand le maire est entré dans la salle.
Et c’est quand son adjoint, le dingo des US a demandé, sans rire si quelqu’un souhaitait s’y opposer, c'était maintenant ou qu'on la boucle à jamais que c’est parti en digue-digue. Après la question, profitant sans doute de l'occasion, dans le silence lourd, du fond de la salle une voix a lancé :
___ Moi, je m’y oppose.
Tous les visages se sont tournés vers l’endroit d’où était sortie cette phrase.
Un type, la cinquantaine élégante. Comme Pablo, Mary-Anne s’est tournée vers lui les yeux grands ouverts et la bouche, aussi. L'homme à la voix qui fout le bazar, s’est approché d’elle en fendant les rangées de bonbons anglais. Elle l’a reconnu de suite bien qu’elle ne l’ait plus vu depuis une double paire d’années et qu’il soit désormais barbu comme un terre neuva. Alors avec un certain sens du spectacle, il a envoyé:
___ Je suis encore son mari a-t-il balancé. Son troisième, Phil. Phil Barnett. 
Ah Mary-Anne et son goût pour l'exotisme... Mais dans son désir effrené de tourner les pages, elle devait en avoir oublié quelques unes…
La cérémonie s’est arrêtée là. La fête aussi. Tous les bonbons roses sont remontés dans leurs boites à pneus. Pour le peu qui est resté, la fin de journée a été un vrai cauchemar…

C'est un vieil oncle toujours saoul qui en marmonnant a résumé le tout d'un cinglant:

___ A Granville, ne te découvre pas un Phil…



16 avril 2014

Décalées.

Pour les Impromptus Littéraires de la semaine. Il fallait écrire un texte avec du chocolat dedans.

___ Allo ?
___ Allo, c’est Bob à l’appareil.
___ Salut Bobby chéri t’es où ? Comment vas-tu bien ? Qu’est ce qui donc t’amène ?
___ Heu… Je réponds à laquelle en premier Cinda love ?
___ Oui excuse moi Bobinou d’amour mais tu me connais, je suis toujours à deux cent pour cent à l’heure… Et là, j’ai de l’huile sur le feu si tu vois ce que je veux dire.
___ J’en ai pas pour longtemps ma Cindabelle. Je t’appelle parce que demain soir j’ai des amis à manger et je voudrais leur faire ce qui nous avait régalé la dernière fois chez toi tu sais ta recette de filet de Saint Pierre à la mousse de cacao…
___ Mais je n’ai pas reçu l’invitation mon vilain Bobinou…
___ Heu mais heu ce sont des amis heu lointains de Jord qu’il n’a pas vu depuis longtemps et puis heu toi  tu n’as pas besoin d’invits, pas de ça entre nous, tu viens quand tu veux, tu es chez nous comme chez toi, tu le sais bien depuis le temps qu’on se connaît, je n’ai même pas besoin de te le dire. Ct’une évidente évidence Ma Chérie.
___ Peut-être mais c’est bon à entendre… Bon alors la recette, attends je farfouille dans mon Palaxitron et je te dis ça de suite. En vrai c’est facile, d’un côté tu fais une mousse au chocolat toute bête avec des fèves venues du Nord Congo, quand même et au gingembre-sauge. De l’autre, tu fais griller des filets de Saint Pierre ou de vivanneau, selon ce que tu trouveras. Je fais venir mes Saint Pierre par Armando, un pêcheur de Vila Nove de Milfontes au Portugal. Ils sont pêchés la veille... Quand ils sont prêts, il vaut mieux attendre qu’ils le soient, c’est bien meilleur, tu les citronnes légèrement au citron de Grenade et juste avant de servir, tu poses deux ou trois cuillères à soupe de LA mousse sur les filets. Puis tu te dépêches de filer à table. Normalement tu verras, ils devraient être surpris…
___ Formidable, je te remercie bien. Tu sais que tu es géniale tu as des idées toujours un peu folles, j’adore…
___ Et en entrée tu as prévu quoi chéri ? Que je salive à l’avance même si je ne suis pas la bienven…
___ D'abord, en mise en bouche, je vais partir sur un Tempura de joues de castor et ensuite, un chausson  de carottes râpées au gorgonzola avec une sauce  Limoncello menthe de Djerba…
___ Whaouh ! Tu es sur de ton coup ? Tu es certain qu’il n’y a rien qui cloche ?

___ Heu non, je me lance mais j’ai vu la recette dans Cuisine Extrême du mois dernier : Un spécial recettes décalées…



13 avril 2014

Abattons, rompus.

Ils sont deux, elle dans un canapé, un magazine à coiffeurs dans les mains, ses deux jambes allongées posées sur les siennes à lui, un casque à musique sur la tête. 
Il essaie d’écouter. A chaque fois qu’elle lui parle, il doit décoller une oreillette  pour entendre. Elle, elle lui parle. Beaucoup. Il est un peu agacé mais il s’efforce de ne pas le montrer. Il n’y arrive pas et plus elle le sent tendu plus elle lui parle. Evidemment.
___ Dis Choupino, tu as vu comment il l’a quittée ce monstre ?
___ Qui a quitté qui, Mour ?
___ Comment tu ne sais pas ? Tout le monde en parle, tu reviens d’où, tu as passé ta dernière semaine sur un anneau d’Uranus ?
___ Les anneaux c’est Saturne Choup.
___ Oui, peut-être, mais Pluton ou Saturne c’est pareil. C’est loin de nous.
___ L’une est plus loin que l’autre quand même Namour et surtout l’une a des anneaux que l’autre n’a pas…
___ Tu me fais un cours ou quoi ? Quel frimeur tu fais avec tes anneaux…
___ Je ne frime pas, je précise… Bon comment l’a-t-il quittée, alors ?
___ Un sms, il lui a envoyé un sms. Tchaac. Trois mots. Je te kit. Une claque.
___ Et ça te choque, ça ?
___ Ben oui c’est violent quand même, non ? Dans ces circonstances, on a droit à des mots, mieux on a droit à des phrases, à des explications, à de l’articulé, du prévenant, de l’argumenté, de l’emballage, du civil, du correct…
___ De l’emballage, dis-tu ? Pour ce genre de cadeau pourri ? Et puis, la nouvelle même en forme de lame, merci bien, je détesterais ça, j’aurais envie de t’arracher les yeux si tu me faisais ça…
___ Tu en aurais envie même si je te le disais en face, non ? Sois honnête… 
___ C’est pour ça qu’il vaut mieux être loin, que tu n’aies pas l’autre sous la main. En plus ça évite de s’humilier à pleurer, supplier, ce qui ne sert à strictement rien puisque la décision est prise. Ça ne fait que la renforcer. Alors, une fois que tu as bien pleuré, ne pas être présent  ça t’évite aussi de te lâcher, de dire des saletés, des trucs qui vont forcément dépasser ta pensée parce que là où tu en es, tes pensées, elles ne sont pas jolies jolies à surprendre si tu veux mon avis… Un autre avantage que je vois c’est que ça peut aussi dispenser des gifles que tu dois avoir une belle envie d’envoyer… Non, non moi quitte à l’être, j’aimerais bien que tu me quittes comme ça… Un sms, trois petits mots, « je te quitte » et hop, tout est dit, du moins l’essentiel, le tour est joué, les carottes sont cuites, l’affaire est finie, je m’arrange avec ma douleur… Ainsi je ne t’infligerais pas ma peine et mon ressentiment. Je n'aimerais pas que tu te sépares de moi en me disant que c'est toi qui débloque, que j'aurais toujours ton admiration, que je suis un gars formidable MAIS... Si je suis si formidable, ben reste, alors... Les raisons qui font que tu me quittes, elles t'appartiennent, tu n'as pas à me les livrer...
___ Ah tu l’avoues tu aimerais que je te quitte… Tu n’as pas le courage de le faire ?
___ Ne mélange pas tout tu veux ! On parle méthode, pas finalité.
___ Tu sais que tu es chiant à tout pinailler ? Un jour, un jour je te quitterai pour ça. On ne peut pas parler avec toi.
___ C’est bien pour ça que je me tais.

Mue par un agacement certain, elle s’est levée du canapé et, en ronchonnant :

___ Puisque c’est ça, remets bien bien ton casque, je m'en vais passer l’aspirateur…


09 avril 2014

Surprise, tu parles!

Pour les impromptus littéraires de la semaine. Il fallait raconter une fête d'anniversaire.

Le premier qui s’est pointé a sonné vers huit heures.
A cette heure là, ce jour là, j’avais déjà fini de bouffer, je m’étais envoyé le reste de la daube d'hier et un sachet entier de patates rissolées. Pour accompagner les deux petits chèvres, j’avais descendu une bouteille de Morgon aussi. J’étais plein, gonflé. J’avais  débarrassé la table, passé un coup d’éponge et enfourné la vaisselle sale dans le lave-vaisselle. J’avais posé les pieds sur la table basse et déboutonné mon falzar. Je m’étais collé un bâton de réglisse dans la bouche comme je le faisais après chaque repas depuis que j’avais arrêté de fumer. Je trouvais ça dégueulasse mais ça me calmait. J’avais éteint les lumières dans la cuisine et plus personne allait venir m’emmerder... Que je pensais.
Deux coups, il a sonné deux fois cet imbécile. Je me suis levé en râlant et je suis allé lui ouvrir. Il avait un carton à gâteaux dans les bras.
Qu’est-ce-que tu fous là à cette heure ? Je lui ai demandé.
J’avais envie de te faire une bise, il m’a répondu. Première nouvelle. Je le pose dans la cuisine? Fais comme chez toi, mon grand.
Après un temps, j’ai dit : Ben, entre, reste pas là dehors comme un con.
En vrai, j’avais envie de lui refermer la porte sur le nez et je me demandais pourquoi il venait m'emmerder, gentiment mais m'emmerder quand même, ici, à cette heure là. Est-ce que je débarquais chez lui le soir, moi ? J’aurais vraiment aimé qu’il fasse pareil, c’est à dire qu’il reste dans sa baraque et pourtant, lui, je l’aimais bien.
On était à peine assis l’un en face de l’autre, avec la télé derrière qui gueulait encore, que ça a sonné à nouveau.
Bordel, mais c’est la soirée ! J’ai dit. D’habitude ça ne sonne jamais et là deux fois en dix minutes !
Quand j’ai ouvert, je l’ai vue, elle, toute pimpante avec un bouquet dans les mains et Lui, derrière un plateau de fruits de mer au-dessus de la tête et après ces deux là, il y en avait encore trois autres. Tous des potes mais des potes de jour, des potes du boulot que je ne voyais jamais quand la nuit était tombée. Ben merde vous n’êtes pas chez vous à cette heure ? Vous avez vu qu’il fait nuit non ? Vous voulez quoi ? C’est quoi votre délire j’ai dit.
On vient boire un coup et manger deux huitres avec toi qu’ils ont dit. Mais en quel honneur ? Je vous ai rien demandé ! J'ai fait mine de protester mais ils n'ont rien voulu entendre.
Mais c’est ton anniversaire aujourd’hui grand couillon… Qu’ils ont répondu en un chœur écoeurant.
Eux, ils avaient tous l’air ravis de leur surprise. Je hais les surprises. Je déteste encore plus les anniversaires. Vieillir c'est pas mon truc. Fêter ça encore moins. J'avais tout fait pour l'oublier celui-là. Qui peut se réjouir de n’être pas encore mort à quarante ans ? Alors, ils sont entrés en me bousculant, presque. J'ai eu envie de vomir. Ils n’avaient pas fracassé la première pince du premier crabe, ils n'avaient pas englouti la première des six douzaines que j’étais dans ma chambre, couché, une bassine à mes côtés. 
Je m’en souviendrais  de cet anniversaire. Ah pour l’avoir bien fêté, ça,  ils l’ont bien fêté!
Je n’ai pas dormi de la nuit à cause de la bamboula qu’ils faisaient en bas.
En plus de ça, elle m’a coûté un bras leur petite fiesta : Ils avaient amené à bouffer pour douze, ces crétins, mais comme ils n’avaient rien apporté à boire…

C’est ma cave qui s'en est pris un sacré... De coup de vieux.



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