31 janvier 2013

Le dessus de la crême du haut du panier.


Un concert gratuit. Un concert de musique classique. A l’Opéra d’A. Ce samedi. Viendrais-tu ? C’est à vingt heures, placement libre, il faut y être un peu avant, mais sans excès, l’opéra sera assez grand pour contenir tout le monde crois-en mon expérience. Au programme du très classique et éclectique, on y entendra du Beethov, bien sûr du chopin et du Poulenc aussi, je crois. A vérifier sur le programme. Mais ils peuvent le changer au dernier moment.
Dis, il faut s’habiller ?  Evidemment, tu ne vas pas venir nu ? Mais tu peux venir sans cravate ni smoking ce n’est pas une soirée grand siècle. C’est juste un temps pour les amateurs de musique classique. Il y aura la crême du gratin, l'écume de la mousse, le haut du panier...
J’étais content qu’elle me propose ça, j’allais entendre de la musique jouée en vrai dans ce magnifique théâtre à l’italienne. De plus, et ce n’est pas négligeable, enfin une soirée où je pourrais me passer de mon Nunchaku. Nous serons entre gens bien. Bien élevés, je veux dire. Bref ce ne sera pas un concert de rock avec un public de sanguins.
Ouverture des portes à vingt heure trente, début du concert prévu à vingt et une heure. Nous sommes arrivés vers les dix neuf heures devant le théâtre. La soirée était particulièrement douce, le vent qui avait soufflé pendant les cinq derniers jours avait calé en début d’après midi. La soirée s’annonçait parfaite. Nous étions dans les premiers rangs devant la lourde porte. Nous nous sommes assis sur les dernières des six marches. Elle qui fumait encore malgré tout ce qu’on entendait partout, malgré les interdictions de plus en plus agressives s’en est grillée une en parlant. J’ai failli en allumer une, mais j’ai réussi, cette fois encore, à tenir bon. On a refait le monde, en mieux, c’est finalement ce qu’on faisait de mieux quand on avait une demi-heure à perdre. Sans qu’on s’en aperçoive vraiment, ils sont arrivés par petits groupes, par familles, par couples, par cercle d’amis, par covoiturage, à pieds et nous ont obligé à nous lever puis à nous avancer vers les portes. On a commencé à sentir leurs haleines sur nos cous étonnés. Plus l’heure avançait, plus ils avançaient avec elle, plus ils nous coinçaient contre les lourdes portes en bois du théâtre. On entendait des bribes de leurs conversations où il était question d’églises et de monde insensé, de pertes des repères et de tout ce qui foutait le camp, de cette jeunesse qui ne respectait plus rien et que de leur temps ça ne se passait pas comme ça, mais comme ils avaient le droit de tout faire, il ne fallait pas s’étonner, de bazar ambiant etc etc.
Alors, les portes se sont ouvertes et là… Là, on a vu ce qu’on a vu ! Une vague de chenapans hermessisés, une bande de malotrus en lodens, une escouade de goujats hystériques, une horde énervée de voyous endimanchés, âgés, rustres, malveillants, poussant et repoussant ceux qui étaient devant eux pour entrer quoiqu’il arrive. Craqué le vernis de la belle éducation, hachés menus les bonnes manières, le savoir-vivre, effondrée la bienveillance tranquille… Je n'aurais pas aimé devoir évacuer avec eux le Costa Concordia, j'aurais détesté les avoir comme compagnons de cataclysme!
Le haut du panier touchait le fond. Juste humain. Désagréablement mais terriblement humain. Chacun pour soi. Tout ça pour être assis aux meilleures places d’un concert  de musique classique, gratuit…

Imagine pour un cuissot de chevreuil ou une miche de pain…


25 janvier 2013

En beauté...


Bizarrement, c'est un gel qui a mis le feu aux poudres...
La nuit venait de tomber quand le bonhomme a appris que le montant de sa retraite de misère n'allait encore pas être augmenté cette année. 
Bien avant, le soleil s'était, lui, abimé en mer en ayant foutu le feu à tout l'horizon. Ne nous venaient plus de là-bas que des nuages noirs de cendres.
Le type, lui, est arrivé, sous l'immense porche à paillettes du casino, celui qui sert à abriter les clients descendant des grosses bagnoles noires, tranquillement, sans nervosité particulière, comme un client banal. Il a passé la porte tournante sans fébrilité, normalement, sans toucher aux parois de verre, pour qu'elles continuent de tourner. Il a salué de la tête le gars de la sécurité qui se la jouait agent secret avec son micro au poignet et ses lunettes de soleil à une heure où le soleil était dans de beaux draps depuis un bon moment. L'homme qui s'avançait était habillé d'un costume un peu vieillot, d'une coupe ordinaire, une cravate grise pendouillante sur une chemise qui, en son temps, avait été blanche. Il tenait un sac plastique à la main. Ça oui ça aurait dû  surprendre. Hé bien personne n'y a porté attention. Pas même l'agent secret normand. Comme dans la vie, quoi... En général, personne ne le remarquait. Quand il entrait dans un bar, dans une banque, à la poste on ne lui manifestait absolument aucun intérêt. Il devait d'abord, lui, appeler, demander, se racler la gorge, envoyer un signe de sa présence pour qu'on daigne lever les yeux sur lui, pour que de mauvaise grâce on abandonne ce qu'on était en train de faire et  s'aperçoive de sa présence, pour qu'on le regarde... Pour lui, mais pour des tas d'autres c'était comme ça. Lui, et la plupart ne l'avaient pas: Le charisme? la lumière? Une aura? Un don? Comment appeler cette chose très particulière que d'être de suite remarquable dans une foule, une queue ou bien une salle, fut-elle bondée...
Et pourtant il avait croisé certains gars capables d'acheter un bar cinq minutes après y être entrés, il avait même eu comme patrons quelques gars capables de jurer leurs grands dieux qu'il ne feraient aucun licenciement... Mais pas lui. Lui, il montait juste dans les charrettes. En baissant la tête.
Il a filé droit vers la caisse, il connaissait visiblement bien les lieux et là, on a commencé à y prêter un poil attention. De son sac plastique, il a sorti un semblant de fusil de chasse amputé aux deux bouts, crosse et canon. Il ne s'est couvert le visage d'aucune cagoule mais il a pointé son escopette de voyage droit sur le joli visage de la caissière. Bien sur elle a eu l'air paniqué, ça s'est vu dans son regard. Évidemment, des larmes lui sont venues, mais elle n'a rien crié. Elle s'est penchée sur son comptoir et lui a remis une liasse qui trainait là. Il a semblé satisfait puisqu'il a reculé. L'autre, le karatéka d'opérette, à l'entrée, était plat comme une limande, la bouche à son poignet, en train d'appeler des renforts et les rares clients qui ont vite compris ce qui se tramait dans le secteur ont fichu le camp en courant comme des hystériques apeurés. Quand il est arrivé sur le parvis de casino, une estafette de bleus se rangeait, enfin se rangeait... parcourait le terre plein central à toutes blindes en arrachant au passage le tronc du palmier... 
Il a pointé son arme vers elle et a tiré, d'une main, une fois. Une seule. Un gros trou béant dans la porte et le bras d'un gendarme en sang. Alors, il s'est dirigé vers SA bagnole, une  RENAULT 14 hors d'âge, une de celles qu'on appelait poire... La bien nommée... Il l'a mise en route après avoir perdu pas mal de temps pour retrouver les clés au fond de sa poche et il a démarré. Il a tiré une deuxième cartouche au passage au ras de l'estafette. Un autre trou dans l'autre porte et tout le monde à nouveau au sol comme des crêpes au sucre. Puis, vu l'âge de la bagnole sans que les pneus crissent sur le goudron, il a filé vers Trouville. Au Rond Point des anglais, à la sortie de la ville, les bleus avaient monté une sorte de barrage avec des herses agressives. Il s'en  est pas mal foutu. Il a foncé droit sur le vert du milieu et a balancé au passage deux coups de fusil au jugé vu qu'il avait eu le temps de recharger sa pétoire pendant la longue ligne droite menant du casino. Les gendarmes  présents ont bien essayé de riposter mais ils n'ont rien touché, ni personne. Ne toucher à rien, c'est encore ce qu'ils faisaient de mieux! Sauf que l'un d'eux s'est entaillé une main sur des débris de pare-brise, rien de très grave  bien que ça pisse le sang.
Malheureusement, au croisement de la D834, c'est une autre paire de manche qui l'attendait, le Pancho Villa du bocage. Deux bagnoles de la BAC de Deauville. Appelée en renfort et ravie dès que ça pétarade... Des cow boys à la mauvaise réputation armés comme des chasseurs de sangliers le jour de l'ouverture...
C'est la troisième balle qu'il a reçue en plein tiroir du buffet qui l'a tué. La vieille RENAULT est allée s'écraser mollement contre le haut mur en pierres du haras de Neuville... 
Quand les flics ont vu son âge sur la carte d'identité qu'il avait dans son portefeuille, ils n'en sont pas revenus: 
___ La vache, ça lui fait soixante quinze, non, soixante seize ans. Merde! Mais c'est un vieux de chez vieux... Si eux aussi se mettent à déconner, on n’est pas sorti de l’auberge !
          Chez lui, dans le modeste et vieillot pavillon de la grande banlieue de Vire, au ras d’une rangée de vieux pommiers malades, on a retrouvé un mot griffonné à la va-vite, glissé sous la coupe de fruits en pâte de verre rouge posée  sur la toile cirée de la table de la salle à manger:
J'emmerde les gendarmes de Vire et surtout le chef T.(illisible) qui m'a flashé deux fois cette semaine à la sortie de Dives. Dites lui bien que c'est un fameux gros con! Et, pour toi, mon salopard de gendre, j'aimerais que tu saches que j'ai toujours détesté Derrick...
Suivaient quelques mots que les experts ont mis un temps fou à déchiffrer tellement c'était écrit avec rage et qui disaient:
Marre de cette vie de merde... Je m'ennuie à mourir... Partir? Oui, mais en beauté... Nom de Dieu!





17 janvier 2013

Vivement les T.


                        Une tarte Tatin pour la Tata Trottinette, une tourte au thon pour le Tonton Tambourin, aussi trompettiste à ses heures et pour toi, Tintin ? Une tartine, un tourin, une tartiflette, une tartelette et trois topettes ? Tout à leurs tentations les trois touristes tourangeaux, sans  tintamarre, tournaient et retournaient la carte du troquet des Tarterêts tout en tentant de taire leurs tristesses telluriques. 
L’atrabilaire tapisseur de plateaux, tahitien de Toulon traîna des talons pas tacticien pour deux thunes en tançant de son accent pointu : Fini l’tafia, a pus d’tatin, terminées les tourtes, tari le thon, à l’est le thé, tombées les tartines, troué le tourin, tuée la tarti flette, tôlées les tartelettes, toutes bues les topettes !
Tant pis, mais détestable et troublant ! Quittons ce ghetto, cette cantine trop tarte, ce restau ne vaut pas tripette ! Allez la troupe en route, mettez turbans et tuniques fêtons les catherinette, on trouvera à se sustenter de tartelettes de tapioca, de tourins de truffes ou de tubéreuses aux tuileries même à un tarif prohibitif  dirent-ils à tue tête au loufiat. Nec mergitur. Ils partirent en train turbo vers la capitale, trouvèrent une taverne tranquille sans attente et tentèrent, oubliant Nanterre : Un turbot trapu pour la tante, un tajine de tortue pour Tonton, une truite pour le petit ? En aparté: Le tout sans turista?
A la table d’à côté, d’étroits tourtereaux tapant dans leur tontine, sur leur trente et un verdis, un trouvère et une troubadour d'Oradour, en manque de tréteaux, ex trotskistes trouble fêtes devant des tourtières ténues. Lui trapéziste traqueur, timonier de Trieste, tricheur, tremblant. Elle, traumatisée du trocart trompettiste à toute heure, folle de troènes, de trembles, de tubas et tromblons, la trogne assez tristounette, l’âme au tapis. Ils tergiversaient, assez terre à terre sur les turpitudes du statut d’intérimaires ou la tectonique du télescopage des contrats transitoires et leurs taxations. Elle tatillonne, toquée de tocantes,  lui, style taurillon, torrent tumultueux, obsédé textuel. Elle tautologique, sa favorite: "Toi t'es toi..." lui, tellement tautologue, se taisant. Les deux se plaignant des taudis, où ils jouaient, des tatamis où ils tempêtaient, des tatanes qu’ils portaient, des tartuffes qui les tannaient. Les taciturnes taillables à merci, songeaient à changer de théâtre : La tabletterie ? Titilleurs de tarots? Tabulateurs de tentacules ? Tabaculteurs même anti-tabac ? Allègres porteurs d'autos à Porto allègre? Torpilles torpides chez torpédo ? Tondeurs de torses à Torcello ? Touaregs topless à Tombouctou ? Titien à sa mémère ? Tintoret de lumière ? A trop se détourner de la Touraine, à trop se tortiller et se torturer, les théâtreux s’attrapèrent un torticolis total et tarabiscotant. Leurs têtes touffues en totems dans la touffeur moite, ils sentirent l’entourloupe et tournoyèrent comme des toupies tourbillonnantes. Atteindre les steppes ou la toundra, faire fi des tournedos, des bavettes,  des tourteaux et des tempêtes, quitter le boulevard des tartignoles et tracer la route. Foin des tragédies, sans se trahir, sans se trancher la trachée, sans se retrancher dans la tranchée. Attraper son traîneau et se tailler, tresser sa trace jusqu’en Thrace s’il le faut. Rétablir la trame, rectifier les trajectoires, retracer le T. Alors? Se terrer dans une hutte en Tanzanie, une tente troglodyte à Tournus ? Se taire aux waters? Plégique au Grand Tétras? Se tester à la Teste? Théoriser à Taormina? Tricoter des tiretaines? Tisaner au Togo? Tocsiner en taxi? Gîter sur un tombolo sans tombola? Se vanter au Ventoux?  Tiens, tiens j’ai trouvé, dit l'un : habiter un château hanté, récolter du lapsang souchong, passer nos étés à  nous toucher les tétons, à nous sustenter sous des taies étoilées, bref à s’attabler entre potes et tutti quanti. Tema, la vie souhaitée! Sur le trottoir, tous tétanisés par la terreur et leur tri postural, ils optèrent pour la ténacité et sur le pré quittèrent la cité.
Tata, Tonton, Tintin à proximité les entendant, tarabustés : Attendez ! Attendez ! On se tire ailleurs sous d’autres éthers.
Et tous s’exécutèrent sans compter.
Moralité: Y en a pas, même feutrée. Santé!
… Mais pas des pieds !

12 janvier 2013

Mais pas des pieds...


Le thème de la semaine des Impromptus littéraires imposait un texte sans utiliser la lettre T....

Bravo aux écrivains de la semaine, mais moi, je suis désolé de vous décevoir, vous me voyez navré de ne pas suivre la consigne, je ne ferai pas sans lui... Vous comprenez, je ne peux pas faire sans lui, je ne dois pas. Il me manque à peine on pense s’en débarrasser, je le cherche dès qu’on évoque sa mis hors jeu, je l’appelle de mes vœux quand je le veux, quand j’en ai le besoin, alors l'enlever, s'en priver, s’en défaire, pourquoi faire? Lui prouver qu'on s'en moque? Lui laisser croire qu’on n’a pas besoin de lui? Lui faire savoir qu’il nous indiffère? Lui signifier qu'on se fiche de lui? Quel jeu cruel! Pas ou peu pour moi.

Alors, de lui, comme de son voisin qui erre, de son prédécesseur qu’on a en laisse, de sa voisine proche, aussi bien… Ne pas  les laisser sur le carreau, n’en pas perdre en chemin, voyager avec l’ensemble la pleine vie jusqu’à la fin.  Cela, même avec celles qu’on dessine le moins, même avec celles qu’on appelle  ou que nous ne  lisons presque jamais. Chacune a son rôle, chacune ici-bas nous aide à écrire, à décrire parfois avec force parfois avec le plus de finesse possible nos pensées, nos douleurs, nos joies, nos envies, nos espérances, nos peines… Nous les avons apprises si jeunes, nous les avons dessinées avec peine, douleur que   nous devons nous en rappeler, nous en souvenir pour nous en servir le mieux possible à chaque fois que nécessaire. Mais de chacune. Pas d’abandonnée, pas de laissée sur les voies, sur les quais ou bien au fond d’un quelconque jardin perdu, égaré dans quelle allée gagnée pas les mauvaises herbes, ni sous je ne sais quel amas de fumier. Mais ni dans des campagnes isolées, ni dans des caisses vides, ni dans des poubelles en fer blanc comme de vulgaires breloques, de pauvres chiffons sales, de moches ordures…
Avec elles, pas d’esseulées, pas d’oubliées, pas d’humiliées.
Aucune.
Jamais.
Je m'assiérais  bien face à un, du coup... A la cannelle, au jasmin, au caramel ou à la mûre... Pour le parfum...
Enfin, face à un... bon gros bol bien plein, bien lourd, bien chaud. Sans sucre.



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