24 février 2011

Et puis…

Et puis, et puis, un matin, j’ai reçu un mail qui disait:

“Cher Chra, vous ne me connaissez pas, mais je viens vous lire régulièrement et j’aime assez commencer mes journées par la lecture de vos petites histoires, un thé à la main. Après les dernières, je me permets de vous envoyer une adresse qui pourrait peut-être vous intéresser. J’ai eu affaire à lui voilà quelques années et ma vie a changé. J’espère qu’il exerce encore et qu’il vous soulagera comme il m’a soulagée. Bien à vous. D.Voilà ses coordonnées: 
Alphonse Plagnol Clos D’Hullias 30 760 à Saint Christol de Rodières ”.

J’ai lu et relu l’adresse et je l’ai copiée sur un morceau de papier que j’ai glissé dans mon portefeuille. Et j'ai tout oublié. Jusqu’à ce jour où, chez le médecin que je venais consulter pour une une vieille indécrottable douleur dans le bas du dos, le bout de papier est venu AVEC ma carte vitale. Que j’ai eu à me baisser pour le ramasser n’a pas arrangé mes affaires… Je me suis dit que conduire avec une chaise collée aux fesses n’allait pas être vraiment pratique. J’ai dû patienter un bon quart d’heure avant de pouvoir me relever. Je n’étais pas bloqué définitivement, mais passagèrement ça oui, on pouvait le dire. Je voyais bien que le doc si patient, si retenu, si empathique, commençait à me maudire, je voyais bien dans ses yeux qu’il allait, si ça continuait, devoir rentrer chez lui bien après la nuit tombée et que ça lui était insupportable. Je le sentais bien qu’il ne souhaitait qu’une chose c’est que je lève le camp et que je dégage de son cabinet. J’ai compris à cet instant là ce qu’avaient dû être les dernières heures des tyrans méditerranéens qui en ces temps bousculés dégageaient les uns après les autres...
J’ai fini par réussir à me déplier et c’est sur le trottoir que j’ai composé le numéro que j’avais écrit sur le papier tombé de ma poche. C’est une voix avec un accent de galets qui m’a répondu, enfin répondu est beaucoup dire puisque j’étais tombé sur un répondeur: “Je ne suis pas disponible, je suis avec mes bêtes, ne me  laissez ni votre numéro ni votre nom, je ne rappellerais pas, appelez moi plus tard. Et après un silence: Mais pas après vingt heures, le soir, j'aime bien être tranquille. Ah, venez avec deux pieds d'olivier.
S'il vous plait ce sera pour un autre jour, j'ai pensé.
Je suis rentré chez moi, tant bien que mal, et je l'ai appelé. J’ai eu un rendez vous pour le surlendemain. Il m’a dit de chercher où il vivait, il n’avait pas de temps à perdre à m’expliquer, vous trouverez, m’a-t-il dit.
___ Les "vraiment motivés" trouvent toujours a-t-il ajouté. N'oubliez pas les oliviers.
S'il vous plait ça doit être trop long à dire ou bien il a perdu l'habitude avec ses bêtes, je me suis dit. Ce n'était pas faux, non plus vous vous voyez dire s'il te plait donne ton lait deux cent cinquante fois d'affilée? Je me suis couché. Je me suis mis en chien de fusil c’est ce qui m’allait le mieux au teint. Le lendemain, j’ai passé une belle heure à trouver sur la carte Moppy, puis sur le site Michelan la route pour monter au Clos d’Hullias. Ce n’était pas une mince affaire d’arriver là-bas. Un cul de sac, une fin du monde, un bout de route. A une bonne centaine de kilomètres de mon lit. Était-ce bien raisonnable de faire ce trajet dans l’état dans lequel je me trouvais? Ne valait-il pas mieux mourir maintenant ici, de suite, sans rien tenter qui risque d’aggraver mon cas? Ne fallait-il pas renoncer à tout jamais à aller moins mal plutôt que tenter ce voyage?
J’ai à ma façon répondu à toutes ces questions puisque le lendemain, je suis monté en bagnole. Le vieux, enfin sa voix, m’avait dit:
__ Treize heures, soyez à l’heure parce qu’après, j’ai les bêtes. Je n’ai pas que vous à m’occuper. Ne vous croyez pas au centre du monde, non plus.
Après deux bonnes heures de conduite, dont la dernière demi-heure dans un paysage magnifique, déserté mais somptueux, aride mais  d’une beauté à couper le souffle… Dire qu’il nous arrivait de prendre l’avion pour aller en vadrouille dans des endroits lointains alors qu’à notre porte on pouvait trouver aussi beau… J’ai approché d’un hameau en bout de ligne sur le sommet d’une colline ronde comme le sein plantureux de femme généreuse. Plusieurs bâtisses de pierre regroupées comme des noix dans un panier. Le chemin de terre se terminait là, au pied d’un gigantesque tilleul sur une sorte de place. Sur la droite, un bâtiment tout en longueur comme une bergerie. J’ai stoppé la voiture et je suis descendu. J’ai été accueilli, agressé serait plus juste par une forte odeur de chèvres, moutons, agneaux…  bref d’ovins. Nom de bleu! J’en ai porté la main à mes narines et du pouce et de l’index, je me suis pincé le nez. J’ai regardé mon poignet, la montre m’a dit treize heures. La porte en bois de l’une des maisons s’est ouverte et un type sans âge est sorti sur le palier de pierre. Il avait une barbe fournie comme un maquis corse  mais coupée au cordeau. Il portait une combinaison de travail d'une couleur usagée et j'ai vu, dessous le vieux vert, l'impeccable blanc d'une chemise et, ce qui m'a vraiment surpris, le bleu de soie noire d'une cravate classieuse:
__ Bien tu es à l’heure, approche.
Je me suis avancé, mes oliviers dans les bras.
__ Pose-les au pied des marches, je m'en occuperais demain. Vous guérissez et moi, je plante... Une belle boucle non?
J’ai monté le petit escalier, lui, il avait fait demi-tour et était rentré. Je l’ai suivi. Une cuisinière à bois ronflait gentiment. Je n’avais pas vu ça depuis celle de ma grand mère qui s’allumait tous les matins avec des bûchettes fines qu’elle préparait le soir.  Dessus un des cercles de métal noirci, un faitout en fonte dans lequel un petit salé aux lentilles frissonnait. Ça sentait le lard chaud, la salive m’a giclé dans la bouche. J’ai entendu:
___  J’y mets des clous de girofle, c’est ça qui sent si bon… Je n’en ai préparé que pour moi, n’y pense même pas! Tout ce que je peux te proposer c'est un verre de MON vin. J'ai décliné poliment:
__ Merci mais il ne me reste qu'un point, je préfère le garder...
J'ai remarqué une vive lueur éclairant le noir de la pièce d'à côté... Le type, Alphonse, car c’était lui, bien sûr, a posé:
___ Je vais me laver les mains. Je reviens.
Puis il a disparu dans l’escalier de pierre. J’en ai profité pour aller faire un tour dans la pièce d’où luisait l’étrange lueur. Là, je suis tombé, enfin façon de parler, sur le cul! L’écran 27 pouces d’un imac dernier cri était allumé… C’était donc ça cette lumière! S'emmerde pas l'Alphonse! J’ai juste eu le temps de retourner dans la cuisine avant qu’il revienne. Ce type est bien plus qu'étrange me suis-je dit. Ma perspicacité m'a fait trembler. Je n'ai su qu'un peu plus tard qu'il vendait ses fromages par internet et qu'il faisait un malheur, avec.
___ Alors, c’est ton dos qui te fait des niches il m’a envoyé?
Je lui ai expliqué mes ennuis en gros et je suis passé très vite sur mes différentes tentatives de soin qui étaient jusqu’à présent restées sans trop d’effet. Il m’a regardé de haut en bas puis de bas en haut. J’ai eu le sentiment d’avoir été parcouru par un scanner. Un scanner qui sentirait le bouc et le petit salé aux lentilles avec des clous de girofle dedans...
Après un long silence, il m’a seulement prescrit:
___ Je ne vais pas te toucher, je ne vais rien te faire. Tu vas rentrer en te demandant pendant le chemin du retour, s'il ne serait pas temps pour toi, d'enfin, changer de vie. Quand tu auras la réponse, je crois qu'il te foutra la paix, ton dos... Le chemin que tu as choisi n'est pas le plus facile, mais dis-toi, pour te consoler, qu'il n'y a pas de chemin facile...
Tu ne me dois rien. J’ai été ravi pour toi que tu viennes jusque là., tu as décidé d'avancer, enfin...  Maintenant, tu peux t'en aller, j’ai mon repas à prendre.

Bonne route, petit…

Le chene de véro 2_cr

20 février 2011

Un petit somme…

Je me remettais lentement d'un épisode assez peu glorieux dans lequel j'avais, chez un acupuncteur de génie, chef cuistot à ses heures, joué les oursins à l'envers... Quand j'écris je me remettais, cela signifiait que maintenant, je pouvais à nouveau m'assoir sur un siège de voiture, par exemple, ce qui n'avait même pas été envisageable pendant trois longues semaines... J'étais percé de partout, je ressemblais à un très vieux pneu bardé de rustines. Je repensais à tout ça au volant et je ne crois pas que ce soient les premiers coups de klaxon qui m'ont tiré de là où j'étais parti...

__ Nom d’un sorcier birman!
__ Que t’arrive-il encore? Qu’as-tu à râler comme une fin de vie?
__ Mais c’est ce mal qui ne lâche pas mon dos, qui le suit partout, sans arrêt, tout le temps…
__ Toujours, quoi?
__ Oui c’est ça, toujours!
__ Et as-tu essayé l’hypnose?
__ L’hypnose? Ah non, ça je n’ai pas encore fait! J’ai testé les aiguilles chinoises, les pierres, les massages, TOUS  les massages, du shiatsu à l'ayurvédique,  en passant par le Nuad Bo Rarn. J'ai gouté à presque toutes les écoles de kinés, aux rebouteux d’à peu près tous les accents… Du rocailleux profond des Basses Alpes, au rocailleux doux du Gard en passant par le berrichon ou le lozérien, tu vois j’en connais un rayon… Et ce n’est pas moi qui ruine les mutuelles! Je ne leur prends pas UN centime! Je suis même allé chez un chamane aztèque si tu veux savoir! J’ai arrêté parce qu’il m’avait accroché les lombaires aux doigts de pieds…
__ Dis moi, et les médecins de la médecine,  tu les as essayé les médecins?
__ Ben non! Pourquoi faire?
__ Pour rien… Mais tu devrais tenter l’hypnose alors au moins pour l’expérience,  pour voir, tu ne risques plus rien! Et puis, on ne sait jamais, sur un malentendu, ça pourrait marcher! En tous les cas, ça ne  risque de ne pas te faire davantage de mal.
Alors, je me suis mis en quête d’un hypnotiseur. Quinze jours après, j’appuyai sur la sonnette d’un petit immeuble de banlieue à deux pas d’une gare. Au: Oui?  Je  m’annonçai. Entrez! C’est au troisième, la porte sera ouverte...
Ça sentait l’encaustique et la soupe de poireaux. J’ai poussé la porte et j’ai été accueilli par un nuage d’odeur d’encens et par la plus belle femme que j’avais jamais vu. Une trentaine triomphante, brune comme un œil de séducteur andalou, de longs cheveux attachés en une queue de pur sang, une peau mate et une voix grave comme une nouvelle d'importance.
Nom de Dieu, je me suis dit à moi-même, tout seul et comme la beauté des femmes m’intimide, j’ai été très intimidé. Un mauvais coup pour le lâcher prise… Elle m’a fait entrer dans son cabinet qui donnait sur les voies ferrées. Un porte manteaux, pour nos ennuis? Un bureau minuscule, deux grands fauteuils de cuir en face à face et un mur entier couvert de livres de chez Odile Jacob.  Il semblait y avoir tout François Roustang, tout  Victor Simon et je ne parle ni des Rufo, ni des Cyrulnik, ni des Kristeva... Si elle les a tous lu, c'est une pointure, je me suis dit.
Après m’avoir fait asseoir sur un des deux fauteuils, de sa voix  de Bessie Smith sous angine blanche ou de Sarah Vaughan sous laryngite, elle m’a entrepris:
___ Alors, qu’est-ce qui vous amène ici?
Ah, oui, elle avait un vague accent, aussi...
___ L’annuaire, j’ai dit bêtement, mais je voulais détendre un peu mon atmosphère.
Elle a souri gentiment mais n’a pas lâché le morceau.
___ Oui, mais sinon, à part lui?
Je me suis un peu raconté, dans les grandes lignes, bien aidé par les bruits des trains qui passaient sous les fenêtres…
Puis elle a fait: On va y aller, on va voir ce qu’on peut voir.
___ Asseyez vous bien au fond du fauteuil, installez vous le plus confortablement du monde. Regardez le plafond, essayez d’y repérer les deux points de couleurs qui y sont, allez de l’un à l’autre, lentement, paisiblement.
Au plafond, on avait fait deux cercles de couleurs un rouge et un vert distants de trois mètres environ, je n’ai pas eu de mal à les trouver et j’ai commencé à me balader de l’un à l’autre, puis de l’autre à l’un. Ce prénom ne me dit rien je me suis dit. J’étais aux taquets, concentré comme un tube de lait Nestlé.
Après quelques secondes de ce manège, la voix incroyable de la personne assise en face, m’a demandé de compter de un à dix puis de dix à un tout en continuant mes allers retours d'un point à l'autre. Jusqu’à dix ça va elle me prend pour qui?
Je m’y suis mis, consciencieusement, avec application et j’ai bien senti qu'il se passait quelque chose, comme un bazar qui s'installait. J'ai vaguement commencé à sortir de la pièce mais sans aller trop loin. J’ai juste fait un tour près des locomotives...
Elle, je continuais de l’entendre qui me disait des trucs où il était question de niveau de conscience, d’ici et maintenant, de relâchement… Et sa voix profonde faisait une si jolie musique qui me couvrait les épaules que je l’écoutais avec un immense et chaleureux plaisir. Un moment, elle m’a dit que mon bras droit allait avoir envie de se lever tout seul. Il n’a rien voulu savoir, il est resté ancré dans le bras du fauteuil. Alors, elle l’a pris de sa main. Elle m’a touché, j’ai été touché par elle…
Elle me l’a levée, ma main et l’a laissée en l’air, comme un imbécile et l’autre devait la rejoindre. Elle y est allée sans doute par solidarité. J’ai fait un petit tour en dehors de moi et je me suis vu, assis dans un fauteuil en cuir, en face d'une bombe, dans  le salon d’un petit appartement, les deux bras levés… J’ai souri. Alors, elle m'a proposé plusieurs balades. Une dans une barque planant au-dessus d'une forêt accueillante, une dans un traineau tiré par des rêves bleus, une sur un tapis volant poussé par le courant paisible d'une rivière enchantée... J'aurais préféré qu'elle m''invite à une petite marche  avec elle le long des quais de Seine, mais bon...  Puis, elle m'a invité à une pause dans une clairière pleine de mousse douce et là, je m'y serais bien allongé à ses côtés, mais il n'en a jamais été question. Tout ça est resté très professionnel...
Malgré ses injonctions, je ne me suis pas endormi, je suis resté là dans les odeurs d’encens, de soupe de poireaux et dans les bruits de départs et de freinages des trains d'à côté.
Pour une première séance, votre résistance est normale m’a-t-elle dit. Nous nous revoyons dans quinze jours, même heure. Je lui ai fait un chèque et je suis sorti à regrets. Ce n’est pas tous les jours qu’on passe des instants avec une si jolie personne, on a envie d’en profiter encore, un peu.
J’ai rejoint ma voiture et j’ai pris la route du retour. J’étais dans le doute.  Hypnose, hypnose, me suis jamais endormi vraiment, mon bras il n’est pas monté seul, si elle n’était pas allé le chercher, il serait resté là, je me souviens de tout, je n’ai jamais perdu le contact... Est-ce que ce ne serait pas une arnaque cette affaire? Je vais y retourner, mais c'est bien parce qu'elle est si belle...

Ce sont les deux derniers coups de klaxons agressifs des bagnoles derrière la mienne qui m’ont sorti de là.
J’étais à l'arrêt, au beau milieu de la voie, le feu était au vert, une bonne demi-heure après ma première séance d'hypnose où il ne s'était pas passé grand chose.

Je pensais à tout ça en dormant, les deux mains agrippées au volant comme un routier décérébré.

fev 033_cr_cr

09 février 2011

Awoke you.

Après un épisode longuement douloureux et, pour tout dire assez emmerdant, dû à une hernie discale dont, je ne m’étais, finalement pas si mal sorti, puisque j’avais évité l’opération chirurgicale et, donc, les anesthésies hasardeuses, les maladies nosocomiales, les réveils improbables, les erreurs possibles d’un spécialiste, certes éminent mais aussi grandement surmené, j'étais, enfin, redevenu, presque, moi-même. Ainsi, semblant réparé, du moins dans les grandes fonctions, je me remettais à courir comme un lapin dératé. Ça tombait bien, dans certains endroits, on en fêtait, ces jours-ci, la toute nouvelle année !
J’étais alors, tout entier à la joie de ma jeunesse (rigole !) reconquise, de mes forces nouvelles retrouvées ! Nom de Dieu de Nom de Dieu, le printemps qui allait bientôt pointer son joli museau rose n’allait pas en croire ses oreilles… (oui, de lapin, si tu veux !). Il allait voir ce qu’il allait voir ! Tout à cet état d’esprit sanguin, mais d’un sang plus que neuf,  un bon cent dix, je grimpai, cinq à cinq, les marches de l’escalier ce qui, hier encore, m'était un épouvantable chemin de croix à vingt six stations, quand, d’un coup, la pointe acérée d’une sagaie Peul d’apparat s’est fichée, pile, profond entre L4 et L5. Oui, là, dans le cœur même du disque, au nœud de la protusion! Ô gazelle foudroyée en vol par les griffes  acérées d’un guépard sanguinaire... Ô vol planant d’une buse  perforée par une flèche empoisonnée au curare... Ô course affolée d'un lapereau rattrapée par la patte d'un chat affamé...
En quatre. J’étais plié en quatre et, au beau milieu des marches, des larmes de rage et d’impuissance me sont montées aux deux yeux. Je n’ai plus bougé pendant un long moment. Je me suis joué un film où il était question de fauteuil, à roues, de handisport, de ces merveilleux sièges montant les étages, de véhicules aménagés, A moi les places bleues  du parking Ikéa, à moi les cartes GIC, à moi les premiers rangs dans les concerts... Mais finies les salles trois et quatre de l'utopia d'Avignon et quelques autres endroits dont j'ai renoncé à dresser la liste... La douleur violente un tantinet apaisée, je me suis demandé si je devais, maintenant, monter ou descendre. Poursuivre ma route ou revenir en arrière, avancer ou reculer. Si je montais, j’aurais à redescendre pour ouvrir aux secours, si je descendais, n’allais-je pas, en plus dévaler les quelques marches qui me séparaient du canapé et risquer la fracture d’un membre ? Remarque, au point où j’en étais autant que le samu se déplace pour du solide. Si l'on peut dire... Disons du solide qui casse...
J’ai en finale, choisi de monter pour aller m’allonger sur le lit. Je ne l’ai pas atteint. Enfin si, j’y suis arrivé mais seulement à ses pieds. Je n’ai pas réussi à y grimper dessus. Je suis resté couché, en boule, sur le tapis. C'est ainsi que l'’année du lapin, qu’on célébrait hier encore, devint en vrai, l’année du chien de fusil. J’ai réussi à trouver une position qui ne me faisait pas souffrir. Je me suis dit que je n’allais plus en bouger. Jamais. De ma vie. On allait, dans un siècle ou deux me retrouver momifié sur le tapis de ma chambre, recroquevillé comme une vieille chose informe...
Après une heure ou deux, j’ai quand même envisagé d’appeler.à l'aide J’avais, dans mes contacts une armée d’ostéopathes, d’acupuncteurs, de chiropracteurs, de phytothérapeutes, de kinésithérapeutes, de chamanes, de tripoteurs aux mains d'or, de guérisseurs, de gourous, d’imposeurs de mains, de masseurs chinois, thaïlandais, indiens,  bantous, des qui travaillaient selon des méthodes toujours ancestrales, évidemment, avec des pierres de lave du Stromboli, des fleurs de Brahms, des rameaux de la Brie, des badines  en bambous  du Bénin, des poussières de roches du Tibet, des poudres d’insectes séchés… J'avais même le zéro six perso de Corine Monbrun, c'est dire! Tout l'annuaire parfait, du magasin parfait: A la clinique des dos brisés.
J’ai opté, cette fois, pour un acupuncteur que je ne connaissais pas encore, hé oui, il me fallait attendre d’avoir le dos en deux pour aller consulter, dont on m’avait donné l’adresse lors d’un diner, en me disant que lui, soignait tellement bien qu'une fois soulagé, on regrettait même, de ne plus avoir mal… C’est dire!
J’ai fini par me saisir de mon calepin et j’ai appelé. J’ai eu un peu de mal à me mettre d’accord avec lui à cause de la langue… Il ne parlait pas très bien la mienne, et moi très mal la sienne. Quand on est en face on peut s’en sortir par les gestes mais au téléphone avec un dos en miettes cela m’a causé quelques litres de sueur. J’ai noté l’adresse et je lui ai dit : j’arrive ! Oui, en finale j’avais compris qu’il avait en quelque sorte un service d’urgence et visiblement mon état le réclamait. J’arrive, j’arrive… C’était dit un peu rapidement. Entre là où j’étais et la voiture, en bas dans la cour, il y avait un monde.
Ce fut un monde à franchir.
Je vais glisser, c’est le cas de le dire, sur la descente des escaliers en rampant, la fermeture de la maison, la montée en voiture et le trajet pour arriver jusqu’à son cabinet que j’ai eu un peu de mal à trouver. C’était au beau milieu du quartier asiatique. Il fallait, je vous le donne en mille, traverser l’odeur mêlée d’encens à la fleur de rose et de porc au caramel de la salle d’un minuscule restaurant chinois. Pour l’acupuncture c’était un bon point. En effet, je me méfiai toujours un peu des acupuncteurs occidentaux comme on se méfierait d’un boucher végétarien... Maître Shui m’attendait en préparant le service du soir. Un tablier blanc immaculé autour de la taille. Ne me dites pas que vous n’êtes jamais allé chez un thérapeute un peu spécial ou alors c’est qu’il ne vous est jamais rien arrivé! Quand on est plié en deux, on va n’importe où!
Ah vous êtes là ! A-t-il dit quand il m’a vu. Un deuxième bon point, Maître  Shui était un être perspicace. Dans ses deux professions, ça aide.
Il m’a fait entrer dans une petite pièce où il faisait une chaleur torride. Il y avait pas mal de désordre, elle n'était pas très feng, mais comme il y faisait aussi clair qu'au fond d'un sac de champignons noirs, cela passait. Il y avait au centre, une table de massage. Je me suis déshabillé du haut et du bas et je me suis allongé sur le ventre. Enfin, c’est Maître Shui qui m’a demandé tout ça. De moi-même, je serai resté courbé en deux comme un roseau plié par le vent ! Après m’avoir demandé où j’avais mal, perspicace mais pas trop, il a sorti des tas de longues et fines aiguilles d’une boite en métal et a commencé à me piquer. Il m’en a collé un peu partout dans le dos, de la nuque aux tendons d’Achille, des dos de la main aux omoplates. Dans la pièce, flottait un air de musique asiatique. Douce, mais asiatique. En peu de temps, je me suis retrouvé piqué de deux centaines d'aiguilles, comme une poupée vaudou à qui on voudrait un mal de chien... Il m’avait balisé tous les méridiens possibles, il avait assuré le coup, j’ai pensé. Je me suis vu me dégonfler mais c’était pour me faire sourire un peu. Voilà deux bonnes heures que cela ne m’était pas arrivé. Et puis, Maître Shui est sorti. Il devait avoir une soupe sur le feu.
Après un long moment, j’ai bien senti que je me décontractais, que je me relâchais, que je me liquéfiais, même. Je commence à m’endormir, ma parole… Je suis bien, il fait si chaud ici, je n’ai plus mal, je m’endors, je sombre, je m’en vais, je pars…
Comme je ne dors absolument jamais sur le ventre, j'ai été bébé en un temps où cela nous  était totalement interdit, ayant oublié où j’étais et dans quel équipage, j’ai eu LA plus mauvaise idée qui soit de la soirée… J’ai entrepris de me retourner. Pour me mettre sur le dos…

C’est mon hurlement qui a fait surgir Maître Shui de sa cuisine...

Une poêle en feu à la main! Avant de m'évanouir, je me suis dit: Une thérapie nouvelle?

fev 003

04 février 2011

Une belle journée.

         Maintenant, c’était la nuit. Nous avions levé l'ancre quatre ou cinq heures auparavant.
Nous devions faire route entre le Sud et l'île principale d'un petit archipel qu'on nous avait recommandé. Nous étions deux à bord. Une belle unité, un plan Nivelt en alu de vingt mètres qui avait dû connaitre tous les sels du monde. Nous avions mangé ensemble, un poisson grillé chassé dans l'après-midi, parlé un peu, bu, pas mal. Du rhum, des citrons verts… Nous nous étions mis d’accord sur la route à suivre et les options à prendre. Cela n’avait pas été difficile, l'autre était le spécialiste, l'expert, pas moi. Mais il faisait comme s’il me demandait mon avis, alors pour ne pas le décevoir, je lui donnais. Nous savions bien lui et moi que les décisions, lui seul les prenait. Et, qu'elle soit une femme n'y changeait rien. Elle venait de descendre se coucher. J’avais pris le deuxième quart de nuit. Il était tranquille. Nous avancions à sept huit nœuds dans le  muscle du noir. La surface de l’eau était plutôt plane, comme un drap fraichement repassé. J’avais enfilé un pull pour le confort et une paire de gants en polaire aussi. Je m’en étais allumé une et ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Les premières bouffées avaient été toussoteuses. Je n’avais pas aimé ça du... toux. Le souvenir que j’en avais était beaucoup plus agréable que le plaisir procuré. Serais-je, définitivement guéri? J’avais pourtant juré que, le jour de mes soixante quinze ans, je m’y remettrais avec application. Me fallait-il encore arriver jusque là... Des bribes du presto de l’Eté de Vivaldi m’étaient arrivées de la cabine principale, puis plus rien que les caresses de la paume de mer sur les flancs du bateau et le glang glang des haubans sur le mat. J'avais souri. Elle était la seule personne au monde que je connaisse à pouvoir s'endormir avec ça  à bloc dans les oreilles. Quand je le mettais à fond sur le pont j'étais prêt à prendre d'assaut tous les moulins du monde, un sabre au clair, une hachette entre les dents, un bandeau sur le coin de l'œil!
Le noir s’était fait plus dense mais bizarrement j’y voyais davantage. Mes yeux s’étaient sans doute habitués à l’obscurité. J’étais sous pilote mais je jetais, de temps à autre, un œil au cap, ainsi qu’à la voilure. Bref, je naviguais. Gentiment. J’avais en tête le dernier bulletin de la météo marine et franchement je ne devais pas m’inquiéter de grand chose:

Prévisions par zones valables jusqu'au vendredi 04 Fév à 22h UTC: Nord Secteur Nord Est 3 à 4, mollissant progressivement 2 à 3 par le nord, l'après midi, puis Nord à Nord Est 1 à 2 la nuit. Quelques rafales au début. Mer calme à creux variables du nord au sud. Sud Secteur Nord Est 3 à 4, parfois 5 sur l'extrême nord au large au début, devenant bientôt variable 2 à 3, localement Nord sur l'ouest. Rafales légères au début. Mer calme à remuante s'atténuant un peu en fin de nuit.
J’allais passer une nuit douillette. Je veillai sur ma pote et son bateau, j’étais le seul réveillé sur toute cette mer et sur toutes les autres mers du monde entier, si ça se trouve... J’avais une bouteille de rhum à mes pieds les jambes enroulées dans une polaire, un pull qui ne grattait pas au col, ma tête au chaud sous son bonnet, un paquet et un briquet tempête. Je pouvais attendre  et le jour venir.
Je les ai entendu de suite. De suite j’ai su que c’en était. Une équipe de dauphins qui courraient avec le bateau et qui soufflaient en sautant! Je les ai vu. J’ai vu leurs yeux qui me regardaient de côté à chaque fois qu’ils sortaient le rostre de l’eau. Je les ai vus qui souriaient. Ils souriaient! Et je le jure, non seulement ils se souriaient entre eux, mais ils me souriaient, aussi, à moi. Nous n'avions pas été présentés, mais ils semblaient ravis de me voir et de m'accompagner un moment. Ils étaient comme une chouette bande de vieux potes qui discuteraient le bout de gras en faisant leur jogging du soir et en nous invitant dans leur course.  C'était renversant. J'étais renversé. Je n’ai réveillé personne, j’ai juste regardé le spectacle tel qu’il m’était donné à voir. J’avais le cœur qui battait à deux cent. Je les avais pour moi, là à dix mètres, pour moi seul. Ça a duré une bonne demi-heure et puis ils se sont lassés, je me suis dit. Ils ont disparu. Alors, j’ai descendu une ou deux  gorgées pour fêter ça.
Et puis quelques miles après, vers l’est, ça a commencé à s’éclaircir doucettement comme si on envoyait un nuage de lait en poudre dans le noir de la nuit. Je me suis réinstallé confortablement au poste, un coussin sec sous les fesses et j’ai regardé le jour prendre à l’abordage l’étrave du bateau. Je me sentais baigné par une paix profonde. En accord avec les nuages comme vapeurs cotonneuses, en lien avec le tendu de la ligne d’horizon, en paix avec la surface plane, d'un vert émeraude, avec le chaud du jour qui s’amenait en prenant tout son temps, avec le chant de l’eau sur le carénage et les caresses du vent dans le haut du génois… De la cabine, montaient les senteurs mêlées de café neuf et de pain grillé... Bientôt, je verrai débarquer son sourire et ses yeux clairs...

Il n’allait pas nous arriver grand chose, comme à peu près toutes celles que nous connaissions depuis que nous avions embarqué, voilà trois courtes années, nous allions, encore, vivre une belle journée…

Gwad 08 127

Publications les plus consultées