24 février 2011

Et puis…

Et puis, et puis, un matin, j’ai reçu un mail qui disait:

“Cher Chra, vous ne me connaissez pas, mais je viens vous lire régulièrement et j’aime assez commencer mes journées par la lecture de vos petites histoires, un thé à la main. Après les dernières, je me permets de vous envoyer une adresse qui pourrait peut-être vous intéresser. J’ai eu affaire à lui voilà quelques années et ma vie a changé. J’espère qu’il exerce encore et qu’il vous soulagera comme il m’a soulagée. Bien à vous. D.Voilà ses coordonnées: 
Alphonse Plagnol Clos D’Hullias 30 760 à Saint Christol de Rodières ”.

J’ai lu et relu l’adresse et je l’ai copiée sur un morceau de papier que j’ai glissé dans mon portefeuille. Et j'ai tout oublié. Jusqu’à ce jour où, chez le médecin que je venais consulter pour une une vieille indécrottable douleur dans le bas du dos, le bout de papier est venu AVEC ma carte vitale. Que j’ai eu à me baisser pour le ramasser n’a pas arrangé mes affaires… Je me suis dit que conduire avec une chaise collée aux fesses n’allait pas être vraiment pratique. J’ai dû patienter un bon quart d’heure avant de pouvoir me relever. Je n’étais pas bloqué définitivement, mais passagèrement ça oui, on pouvait le dire. Je voyais bien que le doc si patient, si retenu, si empathique, commençait à me maudire, je voyais bien dans ses yeux qu’il allait, si ça continuait, devoir rentrer chez lui bien après la nuit tombée et que ça lui était insupportable. Je le sentais bien qu’il ne souhaitait qu’une chose c’est que je lève le camp et que je dégage de son cabinet. J’ai compris à cet instant là ce qu’avaient dû être les dernières heures des tyrans méditerranéens qui en ces temps bousculés dégageaient les uns après les autres...
J’ai fini par réussir à me déplier et c’est sur le trottoir que j’ai composé le numéro que j’avais écrit sur le papier tombé de ma poche. C’est une voix avec un accent de galets qui m’a répondu, enfin répondu est beaucoup dire puisque j’étais tombé sur un répondeur: “Je ne suis pas disponible, je suis avec mes bêtes, ne me  laissez ni votre numéro ni votre nom, je ne rappellerais pas, appelez moi plus tard. Et après un silence: Mais pas après vingt heures, le soir, j'aime bien être tranquille. Ah, venez avec deux pieds d'olivier.
S'il vous plait ce sera pour un autre jour, j'ai pensé.
Je suis rentré chez moi, tant bien que mal, et je l'ai appelé. J’ai eu un rendez vous pour le surlendemain. Il m’a dit de chercher où il vivait, il n’avait pas de temps à perdre à m’expliquer, vous trouverez, m’a-t-il dit.
___ Les "vraiment motivés" trouvent toujours a-t-il ajouté. N'oubliez pas les oliviers.
S'il vous plait ça doit être trop long à dire ou bien il a perdu l'habitude avec ses bêtes, je me suis dit. Ce n'était pas faux, non plus vous vous voyez dire s'il te plait donne ton lait deux cent cinquante fois d'affilée? Je me suis couché. Je me suis mis en chien de fusil c’est ce qui m’allait le mieux au teint. Le lendemain, j’ai passé une belle heure à trouver sur la carte Moppy, puis sur le site Michelan la route pour monter au Clos d’Hullias. Ce n’était pas une mince affaire d’arriver là-bas. Un cul de sac, une fin du monde, un bout de route. A une bonne centaine de kilomètres de mon lit. Était-ce bien raisonnable de faire ce trajet dans l’état dans lequel je me trouvais? Ne valait-il pas mieux mourir maintenant ici, de suite, sans rien tenter qui risque d’aggraver mon cas? Ne fallait-il pas renoncer à tout jamais à aller moins mal plutôt que tenter ce voyage?
J’ai à ma façon répondu à toutes ces questions puisque le lendemain, je suis monté en bagnole. Le vieux, enfin sa voix, m’avait dit:
__ Treize heures, soyez à l’heure parce qu’après, j’ai les bêtes. Je n’ai pas que vous à m’occuper. Ne vous croyez pas au centre du monde, non plus.
Après deux bonnes heures de conduite, dont la dernière demi-heure dans un paysage magnifique, déserté mais somptueux, aride mais  d’une beauté à couper le souffle… Dire qu’il nous arrivait de prendre l’avion pour aller en vadrouille dans des endroits lointains alors qu’à notre porte on pouvait trouver aussi beau… J’ai approché d’un hameau en bout de ligne sur le sommet d’une colline ronde comme le sein plantureux de femme généreuse. Plusieurs bâtisses de pierre regroupées comme des noix dans un panier. Le chemin de terre se terminait là, au pied d’un gigantesque tilleul sur une sorte de place. Sur la droite, un bâtiment tout en longueur comme une bergerie. J’ai stoppé la voiture et je suis descendu. J’ai été accueilli, agressé serait plus juste par une forte odeur de chèvres, moutons, agneaux…  bref d’ovins. Nom de bleu! J’en ai porté la main à mes narines et du pouce et de l’index, je me suis pincé le nez. J’ai regardé mon poignet, la montre m’a dit treize heures. La porte en bois de l’une des maisons s’est ouverte et un type sans âge est sorti sur le palier de pierre. Il avait une barbe fournie comme un maquis corse  mais coupée au cordeau. Il portait une combinaison de travail d'une couleur usagée et j'ai vu, dessous le vieux vert, l'impeccable blanc d'une chemise et, ce qui m'a vraiment surpris, le bleu de soie noire d'une cravate classieuse:
__ Bien tu es à l’heure, approche.
Je me suis avancé, mes oliviers dans les bras.
__ Pose-les au pied des marches, je m'en occuperais demain. Vous guérissez et moi, je plante... Une belle boucle non?
J’ai monté le petit escalier, lui, il avait fait demi-tour et était rentré. Je l’ai suivi. Une cuisinière à bois ronflait gentiment. Je n’avais pas vu ça depuis celle de ma grand mère qui s’allumait tous les matins avec des bûchettes fines qu’elle préparait le soir.  Dessus un des cercles de métal noirci, un faitout en fonte dans lequel un petit salé aux lentilles frissonnait. Ça sentait le lard chaud, la salive m’a giclé dans la bouche. J’ai entendu:
___  J’y mets des clous de girofle, c’est ça qui sent si bon… Je n’en ai préparé que pour moi, n’y pense même pas! Tout ce que je peux te proposer c'est un verre de MON vin. J'ai décliné poliment:
__ Merci mais il ne me reste qu'un point, je préfère le garder...
J'ai remarqué une vive lueur éclairant le noir de la pièce d'à côté... Le type, Alphonse, car c’était lui, bien sûr, a posé:
___ Je vais me laver les mains. Je reviens.
Puis il a disparu dans l’escalier de pierre. J’en ai profité pour aller faire un tour dans la pièce d’où luisait l’étrange lueur. Là, je suis tombé, enfin façon de parler, sur le cul! L’écran 27 pouces d’un imac dernier cri était allumé… C’était donc ça cette lumière! S'emmerde pas l'Alphonse! J’ai juste eu le temps de retourner dans la cuisine avant qu’il revienne. Ce type est bien plus qu'étrange me suis-je dit. Ma perspicacité m'a fait trembler. Je n'ai su qu'un peu plus tard qu'il vendait ses fromages par internet et qu'il faisait un malheur, avec.
___ Alors, c’est ton dos qui te fait des niches il m’a envoyé?
Je lui ai expliqué mes ennuis en gros et je suis passé très vite sur mes différentes tentatives de soin qui étaient jusqu’à présent restées sans trop d’effet. Il m’a regardé de haut en bas puis de bas en haut. J’ai eu le sentiment d’avoir été parcouru par un scanner. Un scanner qui sentirait le bouc et le petit salé aux lentilles avec des clous de girofle dedans...
Après un long silence, il m’a seulement prescrit:
___ Je ne vais pas te toucher, je ne vais rien te faire. Tu vas rentrer en te demandant pendant le chemin du retour, s'il ne serait pas temps pour toi, d'enfin, changer de vie. Quand tu auras la réponse, je crois qu'il te foutra la paix, ton dos... Le chemin que tu as choisi n'est pas le plus facile, mais dis-toi, pour te consoler, qu'il n'y a pas de chemin facile...
Tu ne me dois rien. J’ai été ravi pour toi que tu viennes jusque là., tu as décidé d'avancer, enfin...  Maintenant, tu peux t'en aller, j’ai mon repas à prendre.

Bonne route, petit…

Le chene de véro 2_cr

23 commentaires:

Lautreje a dit…

ah je l'aime ce bougre de la montagne, je l'aime tout entier, avec les bons morceaux de lard et son chèvre à plein nez ! Il est sage le vieux, j'ai suivi ces conseils il y a 4 ans, j'ai pas regretté !

Tilia a dit…

Changer de vie, changer de vie, c'est vite dit. Encore faut-il pouvoir. Là où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute (Le Médecin malgré lui). Il doit savoir ça le vieux chevrier !

Pas bien compris le rôle de la couverture. Pour mettre les reins au chaud sûrement, mais pas très logique par rapport au conseil donné...

Ceci dit, ça fait un moment que je pense à une origine en partie "psychologique". Je dis "en partie", car l'arthrose est là.

Anonyme a dit…

explosée de rire, je suis, et pourtant j'ai pas le coeur à.
marie.

véronique a dit…

mais quelle histoire ... le problème Chriscot, c'est qu'il a sans doute raison le bougre !
ne dit on pas " j'en ai plein le dos!" "çà pèse lourd sur mes épaules"..symptomatique tout çà et assez révélateur !

tout est dit !
bon c'est une fiction bien sûr !en attendant, mordez la vie à pleine dents et continuez à nous faire rire comme des bossus, sans nous faire perdre la tête, gardez votre sang froid. Vous avez le coeur sur la main, bon pied bon oeil ... çà roule Chriscot, çà roule !

mais entre l'acupuncteur chinois, le rebouteux et le grand sommeil, j'ai des doutes tout à coup

... et puis suis contente d'apercevoir le chêne sur votre page.. lui et la montagne sont verts, je n'arrive pas à voir si le champ est planté de lavandes !
juste pour me situer dans le temps

ah oui ! j'ai bien rigolé, à gorge déployée et c'est pas douloureux du tout, du tout .. merci, merci

chri a dit…

@Marie Content quand même de vous avoir fait rire, surtout si vous n'avez pas le coeur à...

@Véronique Je suis très content de vous faire sourire, c'est le but.
L'image du chêne date du 20 avril 2006... pas de lavande dans le champ.
Pour ce qui est de l'histoire, allez savoir ce qu'il en est! Moi, je ne sais plus si c'est du lard ou du bouchon.

chri a dit…

@Lautreje Je suis content que vous l'aimiez, je l'ai voulu aimable... enfin pas trop mais un peu

@Tilia: Si je vous disais pour la couverture!
Ah oui qu'il y ait une partie psy ne fait pas de doute...

Tilia a dit…

Envolée, la couverture !...
Le mystère demeure.

chri a dit…

@Tilia/ Bon je le lève! Au départ, elle devait servir à s'allonger dans l'herbe pour une sieste avant de refaire la route à l'envers et puis comme il n'a touché à rien, elle était inutile, aussi, elle est devenue deux oliviers... Voilà, vous savez tout!

Nathalie H.D. a dit…

Bon alors moi là tout à coup je me suis surprise à me demander si elle était vraie, l'adresse d'Alphonse, parce que si oui j'allais la recopier là, tout de suite, avant que le papier ne tombe par terre et qu'il faille que je me baisse pour la ramasser parce que moi aussi depuis hier 11h j'ai le dos bloqué.
Je découvre pour la première fois de ma vie que se relever de sa chaise peut devenir un projet, et enfiler ses chaussettes aussi.

Mais finalement tu m'as évité le trajet jusque chez Alphonse (encore que vu la beauté sauvage du site je le regrette presque) j'ai reçu le message de sagesse : serait-il temps que je change de vie ? Je propose qu'on se rencontre pour en parler :-)

Lequel de nous deux se plie de douleur dans sa voiture pour aller retrouver l'autre ? :-)))

chri a dit…

@Nathalie Des "obligations" m'ont appelé jusque dans le tout nord de la hollande... A mon retour j'espère bien que tu te seras redressée... Je compatis. J'esère que ça n'est pas contagieux...
Je me demandais si quelqu'un allait voir du côté de l'adresse... Tu l'as fait. C'est un bel endroit, non?

Nathalie H.D. a dit…

Chri - enjoy les 'obligations', si elles sont de la nature que j'imagine elles ne doivent pas être trop pénibles ?

Eh oui je suis allée voir, c'est absolument splendide. Il faut que j'aille me promener par là ! (quand je pourrai remarcher autrement qu'à petits pas... :-))

J'espère moi aussi être remise avant ton retour.

Nathalie H.D. a dit…

PS - tu nous avais promis Mangue-omelette chez un interprète de rêves, finalement on a eu lentilles-clous de girofle chez un sage à Mac. Décidément tu nous mènes par le bout du nez...

chri a dit…

@Oui, oui, c'est pour ça que je "monte" j'ai un rendez vous avec un jeune bouddha...
Pour ton dos, je peux te donner l'adresse d'un... acupuncteur, mais c'est vers Ivry sur Seine...
Bon courage...

Plus sérieusement, je connais un médecin ostéopathe à Aix en Provence qui est très bien... Marc Porteron...

Nathalie H.D. a dit…

On attend la précieuse rencontre avec ce que tu imagines de fervente empathie.

(et merci pour l'adresse)

Anonyme a dit…

Une vraie source d'inspiration cette lombalgie. Ton dos nous fait du bien ... si ça peut aider.

Mais peut-être que la meilleure thérapie viendra de Hollande, à moins que la hauteur des berceaux là-bas, n'oblige pas à se pencher ??

Slev

chri a dit…

Les chéris, ce bouddha n'est pas beau, il est magnifique!!! Et pas très lourd pour mon dos... 3.8
Je lui parle de vous.
Bises...

Nathalie a dit…

Aaaaaah, des nouvelles du bouddha !

Merci pour ces quelques mots qui nous mettent l'eau à la bouche... je suis en train d'imaginer tout ce que la rencontre nous vaudra de belles pages (allez, on acceptera même que tu sombres dans un océan bleu layette d'une mièvrerie atypique et délicieuse).

Nathalie a dit…

Je cherche les parfums associés :

- talc poudré et creux du cou chaud
- lait caillé et savon doux
- laine mousseuse et coton frais

???

Anonyme a dit…

Hihihi, Nathalie
La Vie, le bonheur doux en quelque sorte ;-)
Je me réjouie pour vous que cette belle rencontre ait eu lieu...
Et puis vous nous direz, j'en suis certaine, les mots qu'il vous inspire ce p'tit Boudha de 3kg8...
Ce doit être un "drôle" de changement dans une vie... le fils de sa fille, la fille de son fils... toussakoi !!!
Pour ma part, je m'habitue tranquillement à l'adolescence de mon Pierrot ; ce soir 3 ado en vacances et affamés... de tout !!!
QUE DU BONHEUR de les voir "s'autonomiser"... mais je m'égare pardon !
Profitez un max de ces bons et beaux jours avec les vôtres Cher Chri ;-))

Coquelicot

chri a dit…

Je fais tout comme vous me dites, Coq!

Anonyme a dit…

;-))

Tilia a dit…

et le banc...
il est fermé ?

chri a dit…

Surprise, il a réouvert!

Publications les plus consultées