27 janvier 2014

Une histoire de sac.

Il venait de tourner à angle droit à la sortie du hameau et s'apprêtait à prendre la route qui, à travers les champs, menait à l'autoroute. 
Alors seulement, il rangea la voiture dans le gras de l'herbe sur le bas-coté, coupa le moteur, se prit le visage entre les mains et posa son front sur le volant. Il était comme  agité de l'intérieur par des hoquets  incontrôlables. Des spasmes. Cependant, il avait beau les guetter, les attendre et peut-être les désirer, aucune larme ne vint. Il se dit qu'il était si triste qu'il n'arrivait même pas à pleurer. 
Jusque là, pourtant, il avait fait preuve d'une maîtrise implacable. Tout au long de la matinée, tout le long de cette implacable descente, il avait réussi à se contrôler.  Comme s'il ne voulait pas être atteint par les évènements et leur précipitation. Comme s'il voulait rester en dehors des coups. Mais quand ça partait dans tous les sens n'importe qui traversant l'endroit était susceptible de s'en prendre un. 
Ca avait commencé dès le réveil. Voilà plusieurs années déjà qu'ils ne faisaient plus lit commun. Ce n'est qu'au début, qu'au tout début qu'ils passaient toutes les nuits dans le même lit. Puis,  ils se sont mis à la commencer ensemble et  au beau milieu l'un, réveillé par l'autre, vaincu, s'en allait. Ensuite ce fut à lui qu'on demanda de partir ronfler ailleurs et les derniers mois, ils se la souhaitaient bonne sur les paliers ou bien au sortir de la salle de bains où ils prenaient soin de se suivre, plus question de l'occuper en même temps...
Ils étaient allés ensemble lentement vers une telle destination...
Ensuite ce furent les matins ensemble qu'ils évitaient.
C'était devenu comique. Les premiers mois, il lui montait le thé au lit sur un plateau, ces derniers jours, comme il y avait deux escaliers qui descendaient de l'étage, il prenait le premier et vite habillé fichait le camp dehors en essayant de faire le moins de bruit possible. Il allait au village voisin, buvait un café au bar des Sports, lisait le journal achetait du pain frais et vers dix heures revenait. Pendant ce temps, elle avait fait ses exercices de yoga, s'était douchée et installée au soleil, elle lisait quand il arrivait.
S'il avait le malheur de lui demander si elle avait bien dormi, elle l'envoyait bouler gentiment en pointant du doigt la banalité d'une telle question. Mais si au matin on ne se demande pas si on a bien dormi que reste-t-il?
Alors, ils reprenaient ensemble, lui une tasse de café, elle, un bol de thé. Dans un silence à faire peur.
Combien de fois avait-il été tenté de remplir son sac et de filer en douce dans le noir d'une jolie nuit?
Il faisait malheureusement partie de la bande de ceux qui pensent que ça s'arrange, que tout s'arrange, qu'il y a des mauvais moments mais qu'ils finissent par passer, qu'il suffit d'être patient, d'attendre un peu, que le temps, s'il s'en mêle, saura dénouer ce qu'eux ne savent plus faire... Tu parles. Une fois que la dégringolade est amorcée plus rien ne peut se mettre en son travers. Il aurait dû le savoir. Disons aussi, qu'il faisait aussi partie de l'immense cohorte des hommes qui manquent de courage devant l'adversité, de ceux bien trop nombreux qui ne veulent pas voir la réalité en face et qui sont incapables de préparer leur sac en plein jour. Ah, avec tous ceux là, les fourmis peuvent dormir tranquille, elles ne seront jamais chamboulées. Ce que la plupart des femmes savent faire, elles.
Et puis le séjour étant arrivé à son terme, leurs vacances étant finies, il fallait que chacun rentre chez soi. Ils n'attendraient pas la fin de la semaine, ils anticiperaient, ils n'étaient pas à deux jours près, non? Alors, il l'avait rempli son foutu sac. Mais officiellement. Et puis ils s'étaient dit au revoir sans fixer de date pour se revoir. Ils savaient sans doute qu'ils ne se reverraient pas. 
Il y avait aussi du soulagement dans ce départ. Une fin était posée à cette mascarade d'être ensemble. Deux étranges étrangers sous le même toit, ça ne fait pas un ensemble. Mais il y avait aussi une profonde tristesse, de celles qui naissent lors d'un ratage, de celles qui sont si profondes qu'elles empêchent de pleurer...
C'est exactement ce qu'il s'est dit avant d'appuyer sur
 son clignotant.




19 janvier 2014

Un bon bout.

Malgré les piscines de flotte mouillée qui nous dégringolaient sur les museaux ces jours ci, un bout est  tenu  et ça semble être un bon bout... En effet, c'est fait. Enfin. Nous y sommes presque. Qu'on se le dise. Que ça se sache. Qu'on le remarque. Qu'on en sourie. Qu'on s'en réjouisse. Qu'on le partage...

Depuis très peu de temps, il fait, allez Louïa, désormais, encore jour, à dix huit heures...




Pour fêter un anniversaire?

15 janvier 2014

Pour un joli matin...

Pour les Impromptus littéraires de la semaine. Il fallait donner sous la forme d'une recette la description d'un instant.


Pour réussir presque à coup sûr un joli matin, il suffit :
D'une saison bienveillante, une saison intermédiaire, entre deux, ni trop chaude ni trop froide… Printemps ou Automne, quoique... Les deux autres ont leurs avantages… L’été la langueur, les fenêtres ouvertes, les oiseaux qui s'invitent... L’hiver s'il neige dehors, l'épais de la couette, les plumes de l'édredon… En vrai, il faut au moins une saison quelle qu'elle soit...
Ensuite, vous avez besoin d'une journée à suivre sans travail… Quoique… Il est préférable que ce soit une période AVEC travail mais alors un de ces jour où l'on se repose. Une de ces journées où l’on se réveille parce que le corps en a l’habitude mais où l’on sait qu’on peut se rendormir. Il faut donc avoir du temps devant soi.
Il n’est pas inutile que la nuit qui précède ait été agitée, très agitée, intense, même voire dévergondée... Si, au plein milieu d’elle, vous vous êtes évanouis harassés au lieu de vous endormir ce n’est est que mieux. Et donc, au matin, puisque c’est lui que nous devons réussir, la fatigue sera encore présente, languissante, dans chacun de vos muscles, sur toute la surface de vos peaux…
A propos d’elle, il vous en faudra une, carressable sur la rondeur soyeuse d’une hanche acceptante sous votre main déjà éveillée…
Vous avez aussi besoin d’un sourire de premier rang, de première pression à chaud, de premier choix… Dès la main posée sur la hanche ou l’épaule précédente… Les premiers mots prononcés doivent impérativement être d’une banalité bienveillante pour n’éveiller aucun soupçon, aucune gêne : Tu as bien dormi ? Fera absolument l’affaire, c’est même le seul souhaitable…
Si vous avez la chance que la fenêtre de la chambre soit orientée vers l’est, poussez votre avantage en l’entre ouvrant… Qu’une lumière chaude fasse mine d’y entrer et ainsi éclaire sans toutefois éblouir. Il faut maintenant que l’on devine mais pas qu'on y voit.
Voilà vous avez à peu près tout sous la main.
Avant de vous lever pour aller mettre du thé en route, n’oubliez pas de déposer un tendre baiser sur une épaule nue. Il ne coûte rien et produit toujours son petit effet.
Vous pouvez aussi mettre de la musique dans la chambre. Je recommande particulièrement celle d’Anouar Brahem…
Profitez du temps que l'eau chauffe dans la bouilloire pour faire un brin de toilette, on ne sait jamais les délicieuses hostilités pourraient reprendre à ton retour...
Ensuite, il y a deux écoles, monter un plateau jusque sur le lit ou bien appeler d’en bas et mieux encore, monter et glisser que c’est prêt à une des deux oreilles maintenant rendormie.
On peut avoir pris soin de demander les préférences avant…
C’est fait, profitez.

PS : Entre nous, on doit, pour que ce soit parfait, préférer un amour naissant à un vertige de passage… d’expérience, les heures y sont plus douces encore et celles d’après partageables à merci… Ainsi, la matinée peut se prolonger jusqu’au midi voire l'entier du reste de la vie. Mais là, il s’agira de réussir davantage qu’un simple petit matin…






12 janvier 2014

Une si mauvaise compagnie...

Pour être bien certain d’aller jusqu’au bout, il n’avait acheté qu’un billet. L’aller. Pour le retour, il verrait bien le moment venu.
Pour avoir réfléchi à son affaire, il avait réfléchi. Le plus long avait été de dresser l'inventaire de tous ses disques et de ses livres et de les entasser dans des cantines en métal qu'il avait déposées chez l'un chez l'autre en leur demandant d'y veiller.  Il avait pris un congé sans solde, ce dont l’état, son employeur était friand : Un de moins à payer, en ces temps d’économies générales, c’était plutôt bien vu. Il avait confié sa maison à une agence qui louait en colocations meublées à des étudiants étrangers. La région était courue surtout des riches américains et la plupart de leurs enfants trouvaient so cute de venir tartiner de la tapenade sur du pain bio en se gavant de rosés frais. Surtout en été… Pour ce qui est de l’hiver, ils se couvriraient comme des inuits en maudissant le vent qui leur gercerait les lèvres et le reste. Autrement dit, ils feraient comme tout le monde: Ils se pèleraient. Dans sa baraque, on pouvait aisément en mettre quatre et, là où il se préparait à aller, les revenus de quatre loyers lui permettraient de tenir le coup facilement.
Il avait vendu ce qu'il pouvait vendre: bagnole, moto, quelques meubles, il avait fourgué tous ses manteaux, blousons, impers, polaires, chez Emmaüs, il avait vidé sa cave...
Un vol pour Caracas, Simon Bolivar, un bus pour Maiquieta et, de là-bas, il louerait un bateau pour aller naviguer dans l’archipel des Roques au large du Veneze où il se trouverait un bel endroit pour y poser ses fesses le temps qu'il faudra. Il n’aurait pas loin à chercher, Là-bas ça regorge de belles plages comme du foin dans les bottes, comme des courtes vues chez un presbyte. Et là, à lui la belle vie. Simple mais vaguement sauvage et surtout, surtout peinarde. Plus de réveil au beau milieu d’un rêve puisqu’il vivrait DANS le rêve. Plus d’emmerdement, d’obligation, de contrainte autre que manger, boire, sentir, toucher, dormir, regarder, profiter de chaque instant. Vivre quoi.
Ah comme il l’avait bien ficelée, son affaire, comme il l'avait bien menée sa barque!
Quand je serai installé, je vous enverrai mon adresse et vous pourrez venir me voir quand bon vous semblera. Je suis parti pour quelques années, vous aurez le temps de vous décider, de vous organiser, d’économiser vous aussi. J’ai lu sur ces Roques tout ce qu’il y a à lire, vu tout ce qu’il y a à voir et je connais même le film de l’autre  chevelu là, celui aux lunettes magiques, par cœur. C'est  simple, c'est comme si j'y étais déjà allé dans une autre vie... 
Regardez sur la carte, sur Google map, quand vous volerez au-dessus de  l'archipel, je ne serais pas bien loin mes chéris.
Pêcher, siester, griller, buller, m’en fourrer jusque là… Voilà mon programme des prochaines années, mes amours. Pas belle la vie?
Ah comme il le faisait son fiérot, comme il l'endossait bien son costume de Vendredi
Et tous autant que nous étions nous pensions : Le salopard, il l’a bien emballé, son départ, sa désertion, oui... Il t'en avait touché un mot à toi? Pas plus qu'à moi. Il a bien le goût du secret ce salopiot...

Et alors ? Alors... Je rigole... Figure-toi que le jour du départ, il n’est même pas allé jusqu'à l’aéroport! Non? Mais pourquoi ? Qué pasa ? 
On ne sait pas vraiment. Tout ce qu’on a appris, c’est qu’il n’a pas pris le taxi pour Roissy, cet imbécile.
Et on a su pourquoi ? 
On a une petite idée, oui, sans doute... Un éclair de lucidité...
A la perspective de se retrouver seul avec lui même, pendant plusieurs semaines, voire des mois entiers peut-être, même, des années, on pense qu'il a pris peur.

Je l’ai retrouvé le lendemain en bas de chez lui qui tentait de négocier à l’interphone et en anglais de pouvoir au moins dormir sur son canapé pour quelques nuits...
Comme j'éclatais de rire en même temps que mon nez à cause du coup de poing lourd d'orgueil blessé qu'il m'a balancé, ses derniers mots ont été : Tu te vois passer six mois avec moi ? Non ? En se frottant la main rougie par la beigne: Ben moi c’est pareil!
Si tu veux savoir, oui, j’ai eu les jetons d'une si mauvaise compagnie...


02 janvier 2014

Bilan sans Rémo.

Au moment où, d'un peu partout dans le monde, des envols de voeux sincères mais sans doute pieux (les années sont aussi ce que nous en faisons...) de bienveillance, bonté, richesse, douceur, amour, délicatesse, tendresse, félicité, bonheur, santé, joie, tempérance, légèreté, j'en passe et des pires, polluent gentiment l'atmosphère en planant guillerets, des uns aux autres, je me suis dit que c'était le bon moment de faire un bilan rapide mais furieusement nombriliste de l'année écoulée:

En deux mille treize, je n'ai  toujours pas convolé avec Rémo (ni avec personne d'autre) d'où ce bilan sans lui...
L'année 2013, la disparue n'a rimé à rien. En effet, en fin de compte, pas plus de pèse, de Zambèze que de balaise. On me dira pas non plus de prothèse ni de malaise et on aura raison,  ça équilibre...
En 2013, j'ai eu la chance de ne pas dîner au restaurant avec une femme qui ferait du bruit en avalant sa soupe ou qui écarterait les coudes en mangeant... De ça je suis vraiment heureux parce que sil y a une chose à redouter... 
Imaginez la première soirée, vous avez choisi l'endroit avec soin, vous avez téléphoné pour réserver,  vous vous apprêtez à passer un moment plutôt agréable et slurp... Brrr ça fait froid dans le dos...
L'année passée, j'ai trouvé le moyen d'être enfin certain de l'attachement de l'autre. Il suffit de lui demander de se faire tatouer son prénom. Pas fou on lui laisse le choix total de l'endroit où sera gravé ce tatouage... Je vous garantis l'efficacité d'une telle demande. On le vérifie de suite, c'est imparable... D'ailleurs...
L'an passé, je ne suis sorti avec aucun mannequin italien, ni anglais, ni russe, ni letton, ni bulgare, ni auvergnat, ni melunais et pas même avec une garagiste hongroise mais je m'en suis  à chaque fois très bien remis...
L'année finie, je ne me suis jamais demandé ce qu'étaient devenus les frères Malet qu'on ne vayait plus depuis bien longtemps au cinéma... Mais si, les frères Malet. Pierre et Laurent.
En 2013, je ne me suis pas baigné des journées entières dans un lagon turquoise et chaud, je n'ai donc pas nagé parmi des poissons de coraux multicolores aux formes toutes aussi étranges que merveilleuses et donc je ne me suis pas abîmé la bouche avec le caoutchouc dégueulasse de l'embout d'un tuba... Mais, je l'ai bien regretté!
L'année passée, grâce à Dieu, je n'ai pas fêté mes quarante ans et ça m'a  arrangé parce que si je me souviens, j'ai détesté avoir quarante ans.
L'an qui vient de se finir, je n'ai perdu aucun être cher mais en revanche j'ai des amis qui en ont perdu et ça c'est une immense douleur.
L'année passée, j'ai volé. Pas comme certains, non... Une fin d'après midi nuageuse, je me suis retrouvé au dessus du Lac d'Annecy, avec un Sylvain accroché dans le dos et un rectangle de toile au-dessus de la tête certes, mais j'ai volé les gars, j'ai volé. A défaut de Rémo, merci Rémi.
En 2013, je n'ai pas eu à voter pour un candidat louche sur les bords mais c'est un peu normal, il n'y a pas eu d'élection.
En 2013, je n'ai pas mis UNE SEULE fois un imperméable en Bretagne ni les pieds du reste.
En 2013, j'ai embrassé un bébé fille pour la première fois jour pour jour comme il y a vingt huit ans... Déjà.

L'année dernière je me suis vite vite retrouvé en Décembre. J'espère que cette année il en sera autrement...



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